Reines du haut Moyen Age

Brunehaut : une reine à la tête du royaume des Francs

Afin que le lecteur puisse s’y retrouver avec les quatre générations de rois mérovingiens dont il est ici question, je vous propose cette généalogie simplifiée, à laquelle vous pourrez vous reporter tout au long de l’article :

La jeunesse de Brunehaut : l’alliance avec le royaume des Francs 

Brunehaut naît vers 550, dans une famille aristocratique. A sa naissance, son père, Athanagild, n’est pas encore roi de l’Espagne wisigothique.  Peu de temps après la venue au monde de Brunehaut, Athanagild se révolte contre le souverain en place, Agila, qui est assassiné en 555. Les guerriers wisigoths portent alors Athanagild sur le trône. Avant la naissance de Brunehaut son épouse, Goswinthe,  lui a donné une première fille, Galswinthe, vers 545. L’éducation de deux fillettes est confiée à leur mère, très cultivée et imprégnée de la culture byzantine. Brunehaut est ainsi élevée à la cour princière de Tolède, où elle acquit des rudiments de droit, de géographie, et de théologie.  Athanagild, dont la position de roi reste fragile, cherche de nouveaux appuis et se tourne vers le royaume des Francs.

A cette époque notre France forme le « regnum francorum » (royaume des Francs) et est divisée entre les quatre fils du roi mérovingien Clotaire Ier, le droit d’aînesse n’étant pas encore instauré. Ainsi, Caribert Ier (roi de Paris) règne sur le royaume de Paris et l’Aquitaine ; Gontran Ier (roi d’Orléans et de Bourgogne) règne sur la « Burgondie » ; Sigebert Ier (roi de Reims) sur « l’Austrasie » et  le cadet, Chilpéric Ier (roi de Soissons), sur la « Neustrie ». Chacun d’entre eux envie les possessions des autres et les conflits sont fréquents. Chercher à éliminer les membres de sa famille pour conserver ou agrandir son royaume est chose courante : souvenons-nous qu’à la mort de son frère Clodomir, Clotaire Ier a fait assassiner ses neveux, afin de s’approprier leur héritage.

Le royaume des Francs à la mort de Clotaire Ier (561)
Le royaume des Francs à la mort de Clotaire Ier (561)

Les Mérovingiens sont des adeptes de la monogamie : à l’exception de Sigebert, les fils de Clotaire prennent pour épouses des femmes de basse condition, ou vivent avec leurs concubines. Né vers 535, le roi d’Austrasie ne s’est jamais marié et désire faire une alliance prestigieuse, afin de se démarquer de ses frères. Pieuse, intelligente et d’une grande beauté, Brunehaut est la candidate idéale pour faire une grande reine. Si Athanagild propose à Sigebert sa fille cadette, c’est que le roi de Tolède n’a pas de fils pour lui succéder. Dès lors, il souhaite conserver auprès de lui sa fille aînée, Galswinthe, pour la marier à un grand seigneur dont il pourrait faire son héritier.

Sigebert épouse Brunehaut en 566, à Metz. Celle-ci lui apporte une dot importante et reçoit, en retour, plusieurs biens de grande valeur de  la part de son époux, comme le veut  la coutume : cela permet aux reines d’être autonomes en cas de veuvage. Dans les années qui suivent son mariage, la reine d’Austrasie met au monde trois enfants :

– Ingonde (567- vers 586), mariée à Herménégild, prince wisigoth
– Childebert II (570-595), marié à Faileube (d’origine modeste)
– Clodoswinthe (vers 571-?), mariée à un certain Chrodoald (apparenté aux ducs de Bavière)

Sigebert Ier entend montrer à tous que ses enfants sont légitimes et dignes descendants des grands mérovingiens. Ainsi, il donne à sa fille aînée le prénom de sa propre mère, la reine Ingonde, première épouse de Clotaire Ier. Son fils reçoit le prénom du prestigieux mérovingien Childebert Ier, l’oncle de Sigebert (frère de Clotaire Ier, décédé sans héritier mâle). Dès lors qu’elle est mère, Brunehaut conforte sa position et se permet de conseiller parfois son époux : ainsi, la reine favorise l’ascension d’un certain Grégoire, qui obtient l’Évêché de Tours (il est connu aujourd’hui sous le nom de « Grégoire de Tour »). En favorisant certaines nominations, Brunehaut se crée une clientèle d’obligés.

Sigebert épouse Brunehaut, d’après les “Grandes Chroniques de France” (XVe siècle)
Sigebert épouse Brunehaut, d’après les “Grandes Chroniques de France” (XVe siècle)

La guerre fraternelle : Sigebert contre Chilpéric

La mort de Caribert Ier, en 567, fragilise l’équilibre géopolitique du royaume des Francs, et entraîne un nouveau conflit entre les trois frères survivants. Dans le partage de 568, où il obtient des cités en Aquitaine, Chilpéric se sent lésé. Il est également jaloux – et inquiet – du mariage prestigieux que vient de faire son frère Sigebert. Le roi de Neustrie demande alors la main de la sœur de Brunehaut, Galswinthe. Athanagild voit là un moyen de renforcer son alliance avec les mérovingiens d’autant que Chilpéric possède désormais des territoires derrière sa frontière nord. Néanmoins, le roi de Tolède exige que sa fille soit la seule femme à demeurer auprès de Chilpéric (sans doute espère-t-il que Galswinthe saura ainsi influencer son époux). En 565, celui-ci s’est déjà séparé de sa première épouse, Audovère, d’origine modeste, qui lui a donné plusieurs enfants. Il vit désormais avec sa concubine, Frédégonde (dont le prénom signifie « Paix et guerre »!). On ignore tout des origines de celle-ci, entrée au service de la reine Audovère et qui n’a pas tardé à se glisser dans le lit de Chilpéric. Belle et ambitieuse, celle-ci est parvenue à faire répudier Audovère. Pour épouse Galswinthe, en 568, Chilpéric est contraint de renvoyer Frédégonde. La nouvelle reine de Neustrie est dite aussi charmante que sa sœur, et l’ancienne concubine supporte mal d’être mise à l’écart.

A la fin l’année, le roi de Tolède décède. Sa mort a de lourdes conséquences pour Galswinthe, qui ne s’entend pas avec son époux, lequel a rappelé Frédégonde. Méprisée par Chilpéric et persécutée par sa maîtresse, la jeune reine demande à pouvoir rentrer dans son pays natal. En vain :peu de temps après la disparition de son père, Galswinthe est retrouvée morte, étranglée. Pour certains, la maîtresse de Chilpéric a elle-même commandité l’assassinat de sa rivale. Pour d’autres, c’est le roi qui aurait donné l’ordre de faire disparaître son épouse (à moins qu’il ne l’ait assassinée lui-même). A peine Galswinthe mise en terre, Chilpéric donne à son royaume une nouvelle reine, en épousant Frédégonde.

“Chilpéric Ier étrangle Galswinthe”, tiré des Grandes Chroniques de France (1375-1380)
“Chilpéric Ier étrangle Galswinthe”, tiré des Grandes Chroniques de France (1375-1380)

Si Brunehaut est choquée d’apprendre la mort de sa sœur, il n’est pas certain qu’elle ait poussé Sigebert à déclarer la guerre à Chilpéric. Ambitieux, le roi d’Austrasie saisit là une occasion pour récupérer les possessions de la défunte (offertes par Chilpéric lors du mariage), au nom de Brunehaut.

Suite à un compromis – et l’intervention du roi Gontran qui tente de rester neutre – Chilpéric est contraint de céder plusieurs cités en Aquitaine à Sigebert, en 574, en « compensation » de la mort de Galswinthe, sœur de la reine d’Austrasie. Mais Sigebert, qui rêve de reformer le royaume de son ancêtre Clovis, reprend la guerre fraternelle dès l’année suivante, en envoyant ses troupes sur Paris (ville qui appartient désormais au roi de Neustrie). Le jeune Théodebert, fils aîné de Chilpéric et de sa première épouse Audovère, est ainsi tué par l’armée du roi d’Austrasie. Victorieux, Sigebert s’installe à Paris avec sa famille tandis que Chilpéric et les siens doivent fuir à Tournai.

Non satisfait d’avoir conquis Paris et rallié de nombreux neustriens à sa cause, Sigebert envoie son armée assiéger la ville de Tournai.  Anticipant sur la mort de Chilpéric, Sigebert veut être reconnu roi de Neustrie par l’aristocratie, à Vitry-en-Artois (dans le Pas-de-Calais). Mais au cours de la cérémonie, en décembre 575, le roi conquérant est mortellement poignardé par deux hommes au service de Frédégonde. La mort de Sigebert entraîne le ralliement des aristocrates neustriens à Chilpéric, tandis que le royaume d’Austrasie revient à un enfant de 5 ans.

"Assassinat de Sigebert Ier", tiré des Grandes Chroniques de France (1375-1380)
« Assassinat de Sigebert Ier », tiré des Grandes Chroniques de France (1375-1380)

La régence de Brunehaut : s’imposer face aux Grands du royaume 

A l’annonce de la mort de Sigebert, le petit roi Childebert II est mis en sûreté. A son arrivée dans Paris, Chilpéric capture Brunehaut et ses filles et envoie les captives à Rouen. C’est là, en 576, que Brunehaut épouse le prince Mérovée, second fils de Chilpéric et d’Audovère, qui est tombé sous le charme de la reine. Cette union scandaleuse – Brunehaut est la tante par alliance de Mérovée et leur mariage est donc considéré comme incestueux par l’Eglise – n’est pas désintéressée pour autant : Mérovée convole avec une riche veuve. Quant à Brunehaut, tombée aux mains de Chilpéric, elle évite ainsi d’être enfermée dans un couvent ou mariée de force à un homme de moindre importance, choisi par son ennemi.

Lorsque Chilpéric apprend le mariage de son fils, il le fait tondre et l’enferme dans le monastère de Saint-Calais, près du Mans. Brunehaut est renvoyée à Metz par Chilpéric, en signe d’apaisement. Par cette manœuvre, le roi de Neustrie espère peut-être profiter de la zizanie que le retour de Brunehaut produira en Austrasie, les aristocrates voulant conserver la régence de Childebert II. La mère du jeune roi se retrouve veuve à nouveau, en 577 :  après s’être évadé de sa prison et avoir tenté de ressembler des partisans autour de lui, Mérovée meurt, sans doute assassiné – sur ordre de Frédégonde ?  – pour s’être rebellé contre son père. Brunehaut ne tenta rien pour soutenir  – et secourir – cet époux, désormais devenu gênant : Mérovée aurait pu mettre en danger Childebert II, en ayant un jour des prétentions sur l’Austrasie.

A Metz, la régence de Childebert II est assurée par le maire du palais, Gogo, un proche de Brunehaut qui était venu chercher la princesse à la cour de Tolède en 566 lorsque son mariage avec Sigebert avait été décidé. La reine a toute confiance en lui mais entend désormais participer activement à la vie politique. Ainsi, en 579, elle négocie le mariage de sa fille aînée Ingonde, avec Herménégild, fils du nouveau roi des Wisigoths, Léovigild.

En Neustrie, Chilpéric voit la maladie lui enlever les fils que Frédégonde lui a donnés. L’aîné, Samson, est emporté par la dysenterie en 577, suivi par ses jeunes frères, Clodebert et Dagobert, en 580. Furieuse – et craignant sans doute pour sa position n’ayant plus de fils –  Frédégonde accuse Clovis, troisième et dernier fils de Chilpéric et d’Audovère, d’avoir fait assassiner ses enfants afin d’accaparer l’héritage de Chilpéric  : Clovis est emprisonné puis assassiné sur ordre de Frédégonde, en 580. La terrible reine s’en prend également aux femmes : Audovère, réfugiée au monastère d’Étampes, est elle-aussi éliminée. Quant à sa fille, Basine, elle est violée par les serviteurs de Frédégonde, afin de plus pouvoir prétendre au mariage.

Chilpéric Ier et Frédégonde (manuscrit “le Recueil des rois de France”, XVe siècle)
Chilpéric Ier et Frédégonde (manuscrit “le Recueil des rois de France”, XVe siècle)

En 581, Gogo décède et Brunehaut doit composer avec des aristocrates avides de pouvoir. En accordant des faveurs à différents clans, la reine parvient à se maintenir au pouvoir tant bien que mal, les hommes ayant du mal à laisser une femme intervenir en politique. Chilpéric n’ayant alors plus d’héritier, les austrasiens lui proposent une alliance, espérant ainsi que Childebert II hérite un jour de la Neustrie. La naissance d’un nouveau fils, Thierry, en 582, remet en cause cette paix fragile.

En 584, le petit Thierry décède mais Frédégonde, à nouveau enceinte, met au monde un autre garçon prénommé Clotaire – en l’honneur de son grand-père – en juin. En septembre de la même année, Chilpéric Ier est mortellement poignardé à son retour de chasse. Pour certains, c’est Frédégonde elle-même qui aurait fait assassiner son époux, désormais assurée de contrôler le royaume au nom de son fils Clotaire. D’autres y voient la main de Brunehaut, qui dispose alors du pouvoir et de l’influence nécessaire pour avoir commandité le meurtre de celui qui lui a enlevé ses deux époux. De plus, la mortalité infantile étant élevée, rien ne permettait de dire que le dernier-né de Frédégonde allait vivre. Faire disparaître Chilpéric pour gouverner au nom de son fils aurait été risqué de la part de la reine de Neustrie, d’autant que l’exemple de Brunehaut montre qu’il n’était pas facile pour une femme d’obtenir la régence.

Veuves toutes les deux et mères d’un jeune roi, Brunehaut et Frédégonde doivent faire face aux aristocrates, qui tentent d’accaparer le pouvoir. Les reines ennemies font alors toutes les deux appel au roi de Burgondie,  afin qu’il adopte leurs fils. Gontran voit là l’occasion de régenter les royaumes de ses défunts frères. Quant aux mères des jeunes rois, elles espèrent que Gontran fera de leur fils respectif son héritier, le roi de Burgondie ayant perdu les siens en bas âge. Bien que celui-ci adopte ses deux neveux, les tensions ne disparaissent pas entre Brunehaut et Frédégonde, qui entrent en conflits plusieurs fois avec Gontran. De partout, il est question de complots, de retournement d’alliance et de tentatives d’assassinat. En 587, lors du pacte d’Andelot, Gontran fait de Childebert II son héritier.

"Entretien entre Gontran et Childebert II" par Jean Fouquet (vers 1455)
« Entretien entre Gontran et Childebert II » par Jean Fouquet (vers 1455)

A la mort de Gontran, en 592, l’Austrasie et la Burgondie fusionnent, mettant en difficultés la Neustrie du jeune Clotaire II et de sa mère, la régente Frédégonde. Mais pour Brunehaut, le danger vient surtout des  aristocrates de Burgondie, officiers de Gontran, qui veulent conserver leurs postes en dépit du rattachement de la Burgondie à l’Austrasie.

La grand-mère de deux rois : une position inédite et difficile 

En 595, Childebert II meurt, probablement empoisonné avec son épouse, sur ordre de Frédégonde. Les petits-fils de Brunehaut, Théodebert II (né en 586) et Thierry II (né en 587), sont encore des enfants. L’aîné devient roi d’Austrasie, et le cadet hérite de la Burgondie. Si la reine veut se maintenir au pouvoir, au nom de ses petits-fils, elle mécontente les Grands car, selon eux, elle n’a plus de légitimité pour assurer la régence. C’est une situation inédite que celle d’une grand-mère exerçant la régence, et les Francs souhaiteraient que Brunehaut se retire de la scène, à l’exemple d’autres reines mérovingiennes, et laisse les hommes détenir le pouvoir durant la minorité de Théodedert II et Thierry II. C’est mal connaître Brunehaut, qui n’entend pas céder la place.

En décembre 597, Frédégonde meurt, léguant à son fils un royaume stabilisé. D’après la légende, son seul regret aurait été de ne pas avoir pu tuer tous ceux qu’elle avait prévu de faire disparaître, dont probablement Brunehaut.

“Frédégonde et son fils Clotaire II à la tête de l’armée contre Childebert II”, tiré des Grandes Chroniques de France
“Frédégonde et son fils Clotaire II à la tête de l’armée contre Childebert II”, tiré des Grandes Chroniques de France

En 599, Théodebert II, lassé d’être dominé par sa grand-mère, la chasse de la cour d’Austrasie. La reine se réfugie en Burgondie, auprès de Thierry II. Il semble que celui-ci se consacre à la guerre, laissant Brunehaut en charge de l’administration de son royaume. Afin d’éviter une cohabitation avec une jeune reine, Brunehaut n’encourage pas Thierry II à se marier, et celui-ci vit entouré de concubines, qui lui donnent plusieurs enfants naturels. Allié à son frère Théodebert II, ils combattent Clotaire II et parviennent à s’emparer d’une grande partie de son royaume, entre 600 et 604. Au cours de la bataille d’Étampes, le fils aîné du roi de Neustrie, Mérovée – âgé de 4 ans – est capturé et meurt peu après, probablement assassiné sur ordre de Brunehaut.

Toutefois, l’entente entre les deux petits-fils de Brunehaut ne dure pas. Ne parvenant pas à renouer avec l’Austrasie, la Burgondie propose une alliance avec la Neustrie de Clotaire II. En  gage de paix, Thierry II fait baptiser son dernier fils, né en 607, du prénom de Mérovée et lui choisit Clotaire II pour parrain, donnant à celui-ci un « fils spirituel »  venant remplacer celui que le roi de Neustrie a perdu de manière tragique quelques temps plus tôt lors de la guerre.

Ce rapprochement inquiète l’Austrasie et débouche bientôt sur une guerre fratricide. La première victime est Bilichilde, épouse de Théodebert II, qui avait tenté de restaurer la paix entre l’Austrasie et la Burgondie, en échangeant régulièrement avec Brunehaut : la jeune reine est assassinée par son époux, en 610. Les deux petits-fils de Brunehaut prennent ensuite les armes l’un contre l’autre. Il est possible que Thierry II ait été poussé par sa grand-mère à se retourner contre son frère aîné, la reine ne supportant pas d’avoir perdu son influence sur Théodebert II.

Affrontement entre Théodebert II et Thierry II, tiré des "Grandes Chroniques de France" (XVe siècle)
Affrontement entre Théodebert II et Thierry II, tiré des « Grandes Chroniques de France » (XVe siècle)

Au terme de batailles sanglantes, Théodebert II est vaincu à Toul et à Tolbiac en 612. Trahi par ses derniers soutiens, il est livré à Thierry II, avec sa famille. Suivant la « coutume » mérovingienne, Thierry II fait exécuter les deux fils de Théodebert, encore enfants. Théodebert est ensuite enfermé dans un monastère, sur ordre de son aïeule Brunehaut. Il disparaît mystérieusement quelques temps après, probablement assassiné sur ordre de sa propre grand-mère.

Avec la disparition de son frère aîné et de sa descendance, Thierry II devient roi d’Austrasie. Avec Brunehaut, il s’installe à Metz, où la vieille reine avait épousé Sigebert Ier quarante-six années plus tôt. Le répit est de courte durée pour Brunehaut : au début de l’année 613, Thierry meurt de dysenterie, laissant quatre fils naturels. Plutôt que de diviser à nouveau le royaume d’Austrasie-Burgondie entre eux, Brunehaut désigne l’aîné de ses arrière petits-fils, Sigebert II, comme unique roi, afin de garder l’héritage de Thierry II intacte. C’est la première fois que l’aîné des fils est favorisé, au détriment des cadets, alors que le droit d’aînesse n’est pas encore appliqué.  Le choix de Brunehaut peut s’expliquer par l’écart d’âge entre Sigebert II, qui a 12 ans, et ses frères cadets : diviser le royaume entre eux aurait conduit à plusieurs tutelles, que les Grands auraient revendiquées. Cependant, ceux-ci considèrent vite que Brunehaut n’a aucune légitimité pour régenter une nouvelle fois, au nom d’un arrière petit-fils. En 613, la reine est face à une nouvelle génération d’aristocrates – la plupart de ceux qui ont vécu sous le règne de Sigebert Ier sont morts – qui revendiquent le pouvoir : il n’est pas d’usage que celui-ci soit exercé par une femme, dont le seul rôle est d’être féconde et soumise, toute reine soit-elle.

Gravure colorisée représentant la reine Brunehaut
Gravure colorisée représentant la reine Brunehaut

La chute de la reine et l’entrée dans la légende 

En octobre 613, Brunehaut est trahie par les Grands, qui la livre à Clotaire II avec ses arrière petits-fils. Afin de s’emparer pleinement du Regnum Francorum unifié par Brunehaut, Clotaire II fait exécuter Sigebert II et ses frères. Seul le plus jeune, Mérovée, est épargné, Clotaire étant son parrain : si, au Moyen-Age, on hésite pas à tuer des membres de sa famille pour se protéger de toute rébellion, la filiation spirituelle est considérée comme sacrée. Le jeune Mérovée finit vraisemblablement sa vie dans un monastère.

L’historien Jules Michelet écrit à propos de la reine prisonnière : « Tout abandonna Brunehaut. Les grands la haïssaient. La vieille Brunehaut, fille, sœur, mère, aïeule de tant de rois, fut traitée avec une atroce barbarie ». Captive du fils de son éternelle ennemie, Brunehaut affronte un « tribunal » monté de toute pièce par Clotaire II, où son sort est joué d’avance. Afin de ternir l’image de la reine pour la postérité, on l’accuse de multiples meurtres, dont certains sont l’œuvre de Frédégonde… une manière, pour Clotaire, de dédouaner sa mère des crimes dont elle s’est rendue coupable. Brunehaut est torturée durant trois jours,  avant d’être hissée sur un chameau  – animal jugé ridicule – et promenée afin que les hommes de Clotaire II puissent l’insulter à leur guise. En dépit de ce châtiment dégradant et éprouvant, la reine déchue vit toujours. Clotaire II fait alors attacher Brunehaut à la queue d’un cheval indompté par les cheveux, un pied et un bras, avant de lancer l’animal au galop. Le corps de celle qui fut reine d’Austrasie est ensuite brûlé.

Gravure représentant l’exécution de Brunehaut (XIXe siècle)
Gravure représentant l’exécution de Brunehaut (XIXe siècle)

Un tel traitement, inhabituel chez les Mérovingiens, marque la volonté de Clotaire II de faire totalement disparaître son ennemie, jusqu’à son souvenir. Au delà de l’ennemie vaincue, c’est bien le « corps politique » de Brunehaut qui doit être réduit à néant : la fin de la reine et le non-respect de son corps, tendent à montrer à tous qu’elle n’était qu’une criminelle (accusée de nombreux assassinats) et une usurpatrice, ayant régné à la place de ses descendants mâles.

Clotaire II ne se contente pas de faire exécuter Brunehaut : il lui refuse une sépulture, en incinérant son cadavre, rendant ainsi tout culte impossible , rompant là une nouvelle fois avec la tradition franque, qui veut que tous les rois et reines soient enterrés dignement, même s’ils n’ont pas eu une vie exemplaire.

Avec la disparition de Brunehaut et celle de ses descendants – à l’exception du petit Mérovée qui deviendra moine –  Clotaire est désormais le seul roi des Francs, vainqueur de l’ennemie jurée de Frédégonde, laquelle remporte une victoire post-mortem sur sa rivale.

Si l’image de la reine déchue est noircie par les descendants de Clotaire II, Brunehaut va être réhabilitée sous le règne des Capétiens, grâce aux nombreuses églises qu’elle a fait bâtir. Ainsi, on retrouve du règne de la reine une description plus respectueuse, dans les Grandes Chroniques de France, commandées par Saint-Louis, en 1250. Frédégonde, au contraire, est considérée par la postérité comme une reine cruelle, ambitieuse et frénétique. Les historiens du XIXe siècle feront d’elle une ensorceleuse « souple et glacée comme la vipère […] dénuée de sens moral, animée des plus ardentes passions, toujours ivre d’ambition et altérée de vengeance, elle frappe sans pitié tout ce qui la menace, l’humilie ou la gêne ».  Les efforts de Clotaire II pour faire oublier Brunehaut et glorifier sa mère auront donc été vaincs.

La reine Brunehaut (gravure du XIX siècle)
La reine Brunehaut (gravure du XIX siècle)

Si Brunehaut ne s’est pas rendue coupable de tous les meurtres qu’on lui a imputés au Ve siècle, n’oublions pas qu’elle en a commis certains, allant jusqu’à faire éliminer quelques uns de ses descendants, pour sauvegarder l’unité du royaume. Reconnue par ses contemporains pour ses talents en matière de politique et de diplomatie, Brunehaut rentre dans l’Histoire comme étant l’une des plus grande reines mérovingiennes, ayant régné pendant près de quarante ans à travers ses descendants.

Bibliographie : 

Les derniers jours des reines, sous la direction de Jean-Christophe Buisson et Jean Sévillia
La reine Brunehaut, par Bruno Dumézil
– Les reines de France, par Paule Lejeune