Enigmes de l'Histoire

Anne d’Autriche eut-elle des grossesses non désirées ?

Le 18 octobre 1615, le jeune Louis XIII épouse Ana Maria d’Autriche, infante d’Espagne, rebaptisée Anne par les français. La reine mère, l’autoritaire Marie de Médicis, ordonne que le mariage soit consommé immédiatement bien que Louis et Anne n’aient que 14 ans. Cependant, ce n’est que vingt trois ans plus tard, le 5 septembre 1638, que naît leur premier enfant, le futur Louis XIV. Comment expliquer une si longue attente ?

Certains – dont le frère cadet de Louis XIII, Gaston d’Orléans – se réjouissent très vite de la stérilité de la reine qui durera vingt-deux années. Pour d’autres, cette absence d’héritier est un vrai problème et beaucoup reprochent à Anne d’Autriche de ne pas remplir sa fonction. A la vérité, personne ne s’est vraiment soucié de savoir comment s’était passée la nuit de noces des jeunes époux : consommer une union à 14 ans sans se connaître et sans rien savoir des choses de l’amour a été une expérience traumatisante pour le couple. Cela aura pour conséquence un certain dégoût réciproque quand il s’agira d’accomplir le devoir conjugal. Néanmoins, Louis XIII se montre attaché et amoureux de sa ravissante épouse, qui n’est pas stérile puisqu’une première grossesse est annoncée en 1622. Malheureusement, Anne perd l’enfant rapidement à cause d’une chute, au Louvre, alors que la reine et son amie la duchesse de Chevreuse s’amusent à courir dans les couloirs. Nouvelle grossesse et nouvelle fausse-couche en 1625. Le roi, à la fois dépité, fâché, lassé par sa femme et dégoûté de son devoir conjugal, s’éloigne de la reine. Louis XIII vit ce manque d’héritier comme un drame et un signe néfaste du ciel. A cela s’ajoute l’influence du cardinal de Richelieu, qui cherche à perdre Anne dans l’esprit du roi. Cela n’aide en rien Louis à se rapprocher de son épouse qu’il fuit et ne veut plus voir. Alors que la France désespère d’avoir un dauphin et que Gaston d’Orléans se voit déjà roi de France, on annonce en février 1638 que la reine est enceinte. Comment cela a-t-il était rendu possible ?

Louis XIII et Anne d'Autriche, par Rubens (vers 1625)
Louis XIII et Anne d’Autriche, par Rubens (vers 1625)
Le 5 décembre 1637, Louis XIII rend visite à son ancienne favorite, Louise de la Fayette, devenue Sœur Angélique, au couvent des filles de Sainte-Marie, rue Saint-Antoine à Paris. Le roi revient de Versailles et doit se rendre ensuite à Saint-Germain. De ce que les deux anciens amants se sont dit dans le parloir, personne n’en saura jamais rien. Mais peut-être Louise de la Fayette a-t-elle fait comprendre à Louis que sa situation était grave. S’il vient à mourir sans laisser de fils, la couronne passerait à son frère cadet, l’intriguant Gaston d’Orléans. Au sortir du couvent, un orage s’abat sur la ville. Le roi décide d’attendre que le temps se calme, en vain. Encouragé par son capitaine des gardes, Guitaut, et peut-être suite à sa conversation avec Louise, le roi prend la décision de passer la nuit au Louvre où se trouve justement la reine Anne d’Autriche. Louis XIII partage le repas de son épouse ainsi que son lit. Il repart le lendemain. Neuf mois après, jour pour jour, naît le futur Louis XIV.
C’est un miracle qu’à 37 ans, la reine mette enfin au monde un dauphin… si miraculeux que très vite – dès l’annonce de la grossesse – des rumeurs circulent. La première veut que ce n’est pas la première fois que la reine accouche : en effet, l’Histoire prête à Anne d’Autriche de nombreux amants parmi lesquels le duc de Buckingham, le prince de Montmorency (décapité en 1632, à cause de cette liaison ?) et Antoine de Bourbon (fils d’Henri IV et de sa favorite Jacqueline de Bueil). Encore plus surprenant : Anne d’Autriche aurait été  la maîtresse du propre frère de Louis XIII, Gaston d’Orléans, avant son mariage avec Marie de Bourbon en 1626. D’après l’historien Jean Guénot, la preuve des infidélités d’Anne se serait traduite par des grossesses non désirées  et des avortements, pratiqués en secret avec l’aide de son apothicaire, ce qui n’aurait pas empêché la reine de France de faire dire officiellement  des messes pour devenir féconde. Anne d’Autriche aurait fait une fausse-couche en 1631 alors que Louis XIII n’aurait plus eu de relations intimes avec elle depuis 1625. Enfin, à l’approche de la naissance du dauphin, on murmure dans Paris qu’en 1636, la reine a déjà accouché d’un premier enfant, un garçon qu’elle s’est empressée de faire disparaître, ayant réussi à cacher sa grossesse au roi. La disparition de ce premier enfant aurait beaucoup affecté la reine*.
Anne d'Autriche et le dauphin Louis Dieudonné (anonyme, vers 1639)
Anne d’Autriche et le dauphin Louis Dieudonné (anonyme, vers 1639)
Si, jusqu’à la mort de Louis XIII en 1643, le jeune dauphin est considéré comme son fils légitime, au cours de la Fronde (1648-1653), une nouvelle rumeur affecte la reine : Louis XIV ne serait pas le fils de Louis XIII. Qui est le père ? On avance le nom de Mazarin, qui est le parrain de Louis XIV, un modèle,  un père spirituel pour le jeune roi. Un argument renverse cette hypothèse : le cardinal de Mazarin est à Rome de 1636 à 1639. On évoquera également le cardinal de Richelieu qu’Anne d’Autriche déteste. On voit mal comment, de ce fait, ce dernier pourrait être le père biologique de Louis XIV. Néanmoins, après l’affaire du Val de Grâce, suite à laquelle la reine est menacée d’être répudiée pour avoir correspondu avec l’Espagne, le cardinal aurait pu lui faire du chantage. De là, sort une histoire incroyable : la reine aurait cédé à Richelieu pour ne pas être renvoyée en Espagne. Aujourd’hui Anne d’Autriche est considérée comme ayant été une reine pieuse qui, si elle a vécu un amour platonique avec le duc de Buckingham, n’a pu tromper le roi. Si les rumeurs servent les intérêts des uns, elles ne sont pas toujours fondées. La conception de Louis XIV est entourée de mystères que chacun interprète. Cependant, la naissance, le 21 septembre 1640, du petit Philippe, duc d’Anjou, montre que Louis XIII et son épouse avaient fini par se rapprocher et mettre  leurs différends de côté, pour assurer l’avenir de la dynastie de Bourbon.   

*Rumeurs rapportées par Alexandre Dumas « Louis XIV et son siècle » (1866)

Bibliographie :

– Le lit, le pouvoir et la mort : reines et princesses de la Renaissance aux Lumières, par Bartolomé Bennassar
– Les reines de France au temps des Bourbons : les deux régentes, par Simone Bertière
Louis XIV et son siècle, par Alexandre Dumas
– Louis XIII, par Jean-Christian Petitfils
– Anne d’Autriche : la jeunesse d’une souveraine, par Marie-Catherine Vignal Souleyreau

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