Marie-Louise d’Orléans, sacrifiée à la raison d’Etat
Mariée depuis mars 1661 à Philippe d’Orléans (dit Monsieur), frère cadet de Louis XIV, la jeune Henriette d’Angleterre tombe rapidement enceinte. Belle et cultivée, Madame éclipse jusqu’à la reine Marie-Thérèse, qui a mis au monde un dauphin, en novembre 1661. La duchesse d’Orléans compte bien, elle-aussi, donner naissance à un fils. Le 27 mars 1662, après une grossesse difficile – en raison de sa santé fragile – Henriette accouche d’une fille et ne cache pas sa déception : « Madame avait une passion que ce fût un fils [qu’]ayant trouvé que c’était une fille, elle dit qu’il fallait la jeter à la rivière ». Ce comportement reflète le peu de cas que l’on fait à l’époque des filles : alors que la mortalité infantile est élevée, on souhaite avoir des garçons, pour pouvoir faire perdurer sa dynastie. Anne d’Autriche blâme sa belle-fille de « se fâcher ainsi d’une chose qui dépend absolument de Dieu ». Le duc d’Orléans semble moins contrarié de la naissance d’une fille et s’en réjouit dans une lettre à sa tante Christine de France : « Madame n’a eu qu’une fille, qui est pourtant fort jolie ».
Prénommée Marie-Louise et titrée « Mademoiselle d’Orléans », la petite fille fera partie des rares enfants survivants de l’union de Philippe et d’Henriette : de 1662 à 1669, la duchesse d’Orléans est enceinte à huit reprises et seules Marie-Louise et la petite dernière, Anne-Marie, née en 1669, survivront. Entre fausses-couches et enfants mort-nés, le couple n’a réussi à avoir qu’un fils, le duc de Valois, qui décède à l’âge de 2 ans. Si Philippe d’Orléans reste au chevet de Marie-Louise lorsqu’elle tombe gravement malade, en 1665, Henriette d’Angleterre ne semble pas se préoccuper de sa fille et se persuade que son époux (avec lequel elle ne s’entend pas) s’emploie à lui enlever l’affection de ses enfants. Ainsi, en 1670, Madame réprimande la gouvernante de Marie-Louise au sujet de la tendresse qu’elle lui témoigne : « Au nom de Dieu défaites-vous-en. C’est une enfant incapable de sentir [ces choses-là] et nourrie à me haïr ».
Princesse de France, Marie-Louise reçoit une éducation soignée : danse, chant, musique, latin mais pas d’autre langue étrangère. Cela vient peut-être du fait que l’on songe d’abord à lui faire épouser son cousin, le dauphin. A cette époque, Louis XIV a pour projet d’unir sa propre fille, Marie-Thérèse, au futur roi d’Espagne. Le décès de celle-ci, en 1672, changera les plan du roi. Mademoiselle d’Orléans est également bonne cavalière et participera souvent aux chasses en grandissant.
Henriette d’Angleterre meurt subitement, le 30 juin 1670, à l’âge de 26 ans, laissant deux orphelines de 8 ans et 10 mois. Dés l’année suivante, Philippe d’Orléans se remarie avec la princesse Palatine, née Elisabeth-Charlotte de Bavière. La nouvelle duchesse d’Orléans n’est âgée que de 19 ans et si elle devient une mère de substitution pour la petite Anne-Marie, elle sera davantage une sœur aînée pour Marie-Louise, avec qui elle partage la passion de la chasse et des promenades à cheval. Auprès d’elle, Mademoiselle d’Orléans trouve l’affection dont elle avait manqué du vivant de sa mère. Elisabeth-Charlotte écrit à propos des deux filles de son époux : « [Anne-Marie] n’avait jamais vu d’autre mère que moi. Je l’aime aussi comme si elle était ma fille. [Pour Marie-Louise] je l’ai aimée de tout cœur comme si était ma sœur […] nous avons joué et galopé ensemble. »
Pendant longtemps, il s’est murmuré à la cour que Marie-Louise était destinée à épouser son cousin, le dauphin Louis. D’après certains contemporains, la grand-mère des enfants, Anne d’Autriche, aurait été favorable à ce projet. Si le duc d’Orléans ne serait pas mécontent que sa fille devienne reine de France, la Grande Mademoiselle (cousine du roi et de Monsieur) assure qu’une telle union n’est pas envisagée : « Le dauphin ne donnait nulle marque qu’il souhaitât ce mariage, ni le roi non plus ». Louis XIV destinait sa propre au trône d’Espagne. Après son décès en 1672, il ne peut proposer que sa nièce au jeune roi d’Espagne Charles II (né en 1661), pour contrer les appétits de l’empereur d’Autriche. En effet, Léopold Ier a épousé la sœur aînée de Charles II, Marguerite-Thérèse. Il souhaite désormais renforcer l’alliance entre les deux pays en mariant sa fille, la jeune archiduchesse Maria-Antonia (née en 1669), avec Charles II. Si Marguerite-Thérèse n’est plus là pour défendre les intérêt de sa fille (elle est décédée en 1673), la reine Marie-Thérèse – demi-sœur du roi d’Espagne – échange avec Charles II pour favoriser son union avec Marie-Louise. Le roi d’Espagne se prononce en faveur de sa cousine française et les fiançailles sont annoncées en juillet 1679.
La fiancée n’a pas été consultée sur consultée sur le choix de son époux et n’est pas préparée à la cour austère d’Espagne. On donne à Marie-Louise quelques leçons de castillan (langue parlée à la cour de Madrid) et on tente de lui présenter un portrait avantageux de Charles II. Mais la santé fragile et la laideur « à faire peur » du roi d’Espagne sont connus de tous. Depuis sa naissance, on doute qu’il vive longtemps. Charles II souffre de plusieurs malformations, son visage est difforme et il est en proie à des crises d’épilepsie. Roi jeune et pourtant souvent fatigué en raison de tous ses maux, Charles II est qualifié de « sot » et « d’ignorant ». Les nombreux problèmes de santé qui accablent le roi découlent sans doute d’une longue suite de mariages consanguins dans la famille (entre les Maison d’Espagne et d’Autriche, qui sont parentes). Ses parents, Philippe IV et Marie-Anne de Habsbourg, sont d’ailleurs oncle et nièce. Mais à l’époque, les espagnols expliquent les maux de Charles II par un « envoûtement » dont serait victime le roi.
A la perceptive d’épouser un roi maladif et de régner sur un royaume en partie hostile à la France, aux coutumes bien différentes, Marie-Louise ne cesse de montrer son désespoir à l’idée de ce mariage, et espère que les négociations entre la France et l’Espagne échouent. Lorsque Louis XIV qui lui annonce « Je vous fais reine d’Espagne, je n’aurai pu faire mieux pour ma fille ? », Marie-Louise aurait répondu « Vous auriez pu faire mieux pour votre nièce ». Mais Mademoiselle d’Orléans n’a pas le choix : elle est la « fille de l’Etat » et doit devenir reine d’Espagne pour servir les intérêts politiques de la France car son rôle principal est de maintenir la paix entre les deux couronnes.
Mme de Sévigné note que la future reine d’Espagne « crie toujours miséricorde et se jette aux pieds de tout le monde ». Devant la tristesse de Marie-Louise, on doute même que son père, Monsieur, la laisse partir « tant elle est affligée ». Le mariage par procuration est pourtant célébré le 30 août 1679. Mademoiselle d’Orléans doit ensuite se mettre en route pour l’Espagne, après des adieux déchirants à sa famille, ce qui fait dire à Mme de Sévigné : « La reine d’Espagne devient fontaine aujourd’hui ». Marie-Louise semble attirer la compassion de toute la cour car la princesse est « dans un si grand désespoir qu’elle ne [peut] retenir ses cris et ses larmes ». Cependant, Louis XIV fait bien comprendre à sa nièce ce qu’il attend d’elle : « Madame, je souhaite de vous dire adieux pour jamais ; ce serait le plus grand des malheurs qui vous pût arriver de revenir en France ».
Après un voyage de plusieurs semaines, Marie-Louise rencontre son époux le 19 novembre 1679. Charles II ne parle pas le français et la jeune reine ne maîtrise pas encore le castillan ; aussi les échanges entre eux se font principalement par gestes et sourires. Marie-Louise arrive dans un cour chamboulé par le décès de Juan José de Habsbourg, survenu le 17 septembre. Fils bâtard légitimé de Philippe IV, il occupait le poste de Premier ministre de Charles II et avait chassé de la cour la mère du roi. On parla de poison pour expliquer sa mort soudaine, ce qui ramène la reine-mère auprès de son fils.
La vie à la cour de Madrid est fort contraignante pour la nouvelle reine, qui doit subir l’affreux spectacle d’un autodafé le jour de ses noces. Constamment espionnée, elle est comme prisonnière. Marie-Louise est confrontée à une étiquette très stricte. En Espagne, les monarques sont isolés et demeurent inaccessibles pour mieux renforcer leur caractère sacré. A l’exception de sa nourrice, l’escorte française de Marie-Louise est rapidement renvoyée en France, laissant la jeune reine sans personne de confiance à ses côtés, car les espagnols ne méfient des français. Quant à Charles II, il est tel qu’on l’avait décrit à la princesse : c’est un être disgracié avec « les traits d’un idiot » et une démarche « qui manque totalement d’élégance et de majesté ». C’est un roi malpropre qui « croque tout le jour gousses d’ail et échalotes et ne change de linge que trop rarement », qui n’est pas cultivé et qui n’a de goût que pour la chasse. Cependant, Marie-Louise s’emploie de son mieux à plaire à son époux, en apprenant la langue de son pays d’adoption et en se comportant « avec beaucoup de douceur et de soumission ». Quant au roi, il se révèle être de plus en plus épris de sa jeune épouse, qu’il autorise à se vêtir « à la française ». Lorsqu’elle est atteinte de la petite vérole (en 1688), Charles II ne cesse de lui écrire pour l’assurer de son amour et lui souhaiter une guérison rapide.
Marie-Louise est nostalgique de son pays natale et supporte mal le protocole espagnol, qui la coupe du monde : « Notre jeune reine, pour être heureuse, aurait grand besoin d’avoir du goût pour la solitude de son triste palais ». rapporte Mme de Villars, épouse de l’ambassadeur français en Espagne. Elisabeth-Charlotte de Bavière, qui entretien une correspondance avec sa belle-fille, témoigne également : « L’Espagne est le plus affreux pays du monde ; les manières y sont les plus insipides et les plus ennuyeuses qu’on puisse imaginer. La pauvre enfant ! Je la plains de tout mon cœur de passer sa vie dans un pays pareil ».
A Madrid, Marie-Louise doit également composer avec la reine-mère, Marie-Anne d’Autriche. Celle-ci, un temps exilée, était partisante de l’alliance avec les Habsbourg d’Autriche et souhaitait que Charles II épouse Maria-Antonia (nièce du roi et petite-fille de la reine-mère puisque née de l’infante Marguerite-Thérèse). Elle voit d’un mauvais œil l’arrière d’une princesse française car elle sait que Louis XIV a des vues sur le trône d’Espagne. Marie-Anne d’Autriche semble cependant apprécier que la jeune reine ne se mêle pas de politique et l’emmène régulièrement visiter des couvents. Marie-Louise se montre méfiante envers la reine-mère car il se murmure rapidement qu’elle souhaiterait l’empoisonner.
La jeune reine, inexpérimentée, a très peu d’alliés à la cour de Madrid et les marques de faveurs qu’elle donne aux français la rende impopulaire aux yeux des espagnols : » En raison de son peu d’amour, le peuple ne l’aime point et elle n’a pas gagné l’estime de ses sujets ». Marie-Louise tremble dès que des tensions apparaissent entre la France et son pays d’adoption, redoutant un conflit entre les deux royaumes, ce qui le met au désespoir. La reine d’Espagne écrit alors à Louis XIV : « Si Votre Majesté nous faisait la guerre, cela tomberait sur moi infailliblement ». Cette lettre de Marie-Louise à son oncle montre combien la jeune femme est démunie et véritablement seule.
Le premier devoir de Marie-Louise est de donner un héritier à la couronne car la lignée des Habsbourg d’Espagne est sur le déclin : Charles II est le seul représentant direct de sa branche. Chaque soir, le roi rejoint son épouse dans son lit et pourtant Marie-Louise n’annonce aucune grossesse. A plusieurs reprises (dès décembre 1679) des rumeurs annonçant que la reine est enceinte circulent. A chaque fois, Charles II se montre comblé puis désolé lorsqu’il s’avère que ce ne sont là que de faux espoirs. Malgré sa déception, jamais le roi ne s’en prendra à son épouse.
Seule la naissance d’un enfant permettrait à la reine d’être acceptée pleinement par les espagnols et l’absence de grossesse est un drame pour la reine. Malgré les recommandations des médecins, elle continue de monter à cheval, ce qui alors contre-indiqué pour mener à bien une grossesse. Il n’en faut pas davantage pour qu’on la rende responsable de la stérilité du couple royal. En dépit des remèdes et des prières, Marie-Louise ne parvient pas à tomber enceinte. A la cour de Madrid, les ennemis de la reine tente de donner une maîtresse à Charles II, afin de démontrer que le roi est apte à concevoir, ce qui permettrait de casser le mariage d’avec la princesse française. On prête également à la reine des amants et on l’accuse d’entretenir une correspondance secrète avec la France : Marie-Louise ne serait qu’une espionne de Louis XIV, envoyée en Espagne pour compromettre l’avenir de la dynastie des Habsbourg. La reine prenant régulièrement des breuvages venant de France « contre les maux d’estomac », il n’en faut pas d’avantage pour que l’on insinue que ceux-ci l’ont rendue infertile, dès 1681. La reine-mère finit par se persuader que sa belle-fille sert les intérêts de la France, tandis que l’entourage du Charles II tente de le monter, en vain, contre Marie-Louise.
Quant à Marie-Louise, elle confie à l’ambassadeur de France que, même si son mariage a été consommé, elle pense qu’elle ne pourra jamais tomber enceinte. Dans ses lettres à sa famille qu’elle doute d’avoir un jour un enfant : « J’avais quelque espérance de grossesse […] Je doute encore que ce soit une vraie grossesse, quoiqu’il y ait quelques apparences » (1688). Les confidences de la jeune reine laisse supposer que Charles II n’est pas capable d’aller au bout de l’acte sexuel et Elisabeth-Charlotte de Bavière notera que le roi d’Espagne n’est « pas apte à la procréation par certaine débilité« . Face à la pression qui pèse sur elle, Marie-Louise multiplie les pèlerinages et prend des drogues, prescrites par les médecins, pour « échauffer le sang » et la rendre féconde, suivant là l’exemple de Catherine de Médicis et Anne d’Autriche. Rien n’y fait et au contraire, les espagnols restent persuadés que Marie-Louise fait tout pour ne pas donner d’héritier à la couronne. Beaucoup tentent de la discréditer et l’on se met en quête d’une nouvelle épouse pour Charles II. La situation fait craindre à l’ambassadeur de France, dès 1686, que l’on attente à la vie de la reine. Celle-ci est d’ailleurs convaincue que l’on cherche à la faire disparaître.
Le duc d’Orléans, bien que fier d’être le père d’une reine d’Espagne, n’a pas contenu son émotion lors du départ de sa fille aînée. Il entretient avec elle (tout comme avec sa seconde fille Anne-Marie) une importante correspondance et est affecté par les malheurs de Marie-Louise. Monsieur engage sa fille s’appliquer à plaire à son époux et à ses sujets, afin de s’attirer leur affection… ce qui n’empêche pas le père inquiet d’envoyer du quinquina à Madrid pour soigner les fièvres et les troubles digestifs de la reine d’Espagne. Bien qu’il se soumette à la volonté de Louis XIV, Philippe d’Orléans semble s’être interposé lorsqu’il est question d’unir sa fille Anne-Marie au roi du Portugal, veuf en 1683. Il encourage les négociations avec la cour de Savoie, moins prestigieuse mais aussi moins austère que celles des pays hispaniques. Marie-Louise écrit souvent à sa sœur cadette, devenue duchesse de Savoie en 1684, et déplore la rivalité qui s’était installée entre elles durant leur jeunesse : « Nous étions beaucoup jalouses l’une de l’autre, au lieu de n’être qu’une car […] nous ne devions songer qu’à nous aimer. Je vous ai toujours aimé comme moi-même ». Les échanges entre les deux sœurs tendent à démontrer que Marie-Louise espère toujours être mère, car en 1688 la reine d’Espagne souhaite « avoir un fils » pour l’unir à l’une des filles d’Anne-Marie.
Les années passants, il est de plus en plus probable que Charles II ne puisse être capable d’avoir des enfants et que sa mort ouvrira une crise dynastique. Dès lors le rôle de Marie-Louise est de défendre les intérêts de la France là où la reine-mère tente de favoriser les Habsbourg d’Autriche. Les conseillers du roi accusent encore la princesse française de comploter avec Louis XIV, contre son pays d’adoption. Ce qui sauve la reine, c’est que Charles II ne croie pas les rumeurs au sujet de son épouse : il tente toujours de la souvenir moralement et lui montre des marques d’affection qui ne faiblissent avec le temps, en dépit de l’absence d’un enfant.
En 1688, la comtesse de Soissons, née Olympe Mancini, arrive à Madrid. Ancienne passade amoureuse de Louis XIV, elle a été compromise dans l’Affaire des Poisons et a dû fuir la France. La comtesse est soupçonnée d’avoir empoisonné son époux, Eugène-Maurice de Savoie-Carignan, en 1673. Intrigante, elle soutient désormais les Habsbourg, depuis que son fils, le prince Eugène, s’est mis au service de l’empereur d’Autriche Léopold Ier, en 1683. Il n’en faut pas davantage pour que l’on murmure qu’Olympe Mancini a jeté un sort à Charles II et à Marie-Louise pour que leur union soit stérile, qu’ils sont ensorcelés. Si les espagnols croient facilement aux envoûtements, ce n’est pas le cas des français et la reine ce montre choquée lorsqu’on lui parle d’exorcisme pour la « délivrer ».
Au début de l’année 1689, Marie-Louise demande à Louis XIV qu’il lui fasse parvenir un contrepoison, se sentant menacée. Elle n’est pas la seule à être inquiète : l’ambassadeur de France craint que les espagnols ne prennent prétexte de la santé fragile de la reine pour attenter à sa vie sans que l’on ne soupçonne rien. En février, Marie-Louise se plaint de brûlures à l’estomac, est victime de fièvres et de violents vomissements. Les médecins ne s’alarment pas car la reine a souvent été victime de troubles digestifs. Marie-Louise fait appeler l’ambassadeur de France, qui a toutes les peines du monde à rejoindre la reine car on lui interdit l’accès à sa chambre jusqu’au 11 février, lorsqu’il apparaît que l’état da la jeune femme est désespéré. Marie-Louise déclare qu’elle se croit empoisonnée, avant de revenir sur cette affirmation. Craint-elle que sa confession n’entraîne une guerre entre la France et l’Espagne ? C’est possible. La reine meurt le 12 février, à l’âge de 26 ans. Le contrepoison envoyé par le duc d’Orléans arrive trois jours plus tard.
L’autopsie met en avant le mauvais état de l’estomac, des poumons et du foie. Les médecins évoquent le choléra mais la mort brutale de Marie-Louise peut être également attribuée à une péritonite. Cependant, avec les organes touchés, la thèse d’un empoisonnement est tout à fait plausible : peu avant de mourir, la reine avait bu une tasse de lait « suspecte » offert par la comtesse de Soissons, déjà suspectée d’empoisonnement, qui quitte précipitamment la cour de Madrid pour Bruxelles. La thèse de l’empoisonnement fait son chemin à la cour de Versailles et Elisabeth-Charlotte de Bavière note que la reine d’Espagne est « devenue toute violette après sa mort, ce qui, dit-on, est aussi un indice puissant de poison ». A la cour de Louis XIV, on murmure que la reine Marie-Louise a été victime du comte de Mansfeld, ambassadeur d’Autriche. Curieusement, la jeune souveraine décède dans les mêmes conditions énigmatiques – et au même âge – que sa mère, Henriette d’Angleterre. Charles II se montre fort affecté de la perte de son épouse et fait inhumer Marie-Louise dans le Panthéon des Infants de L’Escurial.
On retrouve dans les papiers de Marie-Louise une lettre de Louis XIV, lui donnant des conseils pour s’intégrer à la cour de Madrid. Même si on peut comprendre que le roi de France essaie de guider sa nièce en lui faisant part de son expérience, les cours étrangères n’acceptent pas que l’on se mêle de leurs affaires. Aussi, la correspondance échangée entre la reine d’Espagne et son oncle a toujours fait planer des doutes : Marie-Louise n’était-elle en Espagne que pour servir les intérêts de la France ? L’une des lettres de Louis XIV se termine ainsi : « Gardez ce papier dans le lieu le plus secret de vos appartements. Vivez pour vous et pour la France ; songez qu’en Espagne, on ne vous aime ni ne vous craint […] et qu’il n’y a pas besoin de force pour commettre un crime ». Cette phrase tend à montrer qu’une correspondance secrète existait entre Louis XIV et la reine d’Espagne mais également que le roi de France craignait pour la vie de sa nièce.
Envoyée dans un pays qui n’apprécie pas les français, la jeune Marie-Louise quitte une cour joyeuse pour « s’enfermer dans un tombeau vivant ». Elle se rend vite compte, malgré ses espoirs, qu’elle n’aura pas d’enfant, alors que seule une maternité pourrait consolider sa place de reine et lui offrir un réseau d’alliés, une protection. Si elle n’est pas appréciée de son vivant par le peuple espagnol, elle est ensuite regrettée. De Marie-Louise d’Orléans reste l’image d’une princesse sacrifiée aux intérêts politiques, et celle d’une triste reine incomprise par son pays d’adoption.
Les relations déjà tendues entre la France et l’Espagne ne tardent pas à se dégrader après la mort Marie-Louise et Louis XIV déclare la guerre à Charles II, le 15 avril 1689. Le roi d’Espagne se remarie le 14 mai 1690, sous la pression de son entourage, avec Marie-Anne de Neubourg, pour espérer assurer sa descendance. Ce second mariage reste, lui aussi, stérile, preuve que Marie-Louise n’était pas coupable de l’absence d’un enfant.
Si elle ne gagna pas le cœur du peuple espagnol de son vivant, Marie-Louise est regrettée après le remariage de Charles II avec Marie-Anne de Neubourg. Princesse ambitieuse dévouée à la cause autrichienne, qui tente de gouverner son époux malade, celle-ci s’attire le mépris des espagnols.
Peu de temps avant sa mort, le 1er novembre 1700, Charles II fait ouvrir la tombe de sa première épouse, afin que l’esprit de celle-ci le conseille dans le choix de son successeur ! Il transmet finalement sa couronne au petit-fils de Louis XIV, le duc d’Anjou. Marie-Louise espérait pouvoir un jour unir son fils à l’une de ses nièces, les princesses de Savoie. Si ce vœux ne s’est pas réalisé, l’une des filles d’Anne-Marie d’Orléans monte bien sur le trône d’Espagne, après la mort de Charles II. Tout comme sa tante, elle porte le prénom de Marie-Louise.
Bibliographie :
– Lettres de Madame, duchesse d’Orléans, née princesse Palatine par Elisabeth-Charlotte de Bavière
– Le Lit, le Pouvoir et la Mort : reines et princesses d’Europe de la Renaissance aux Lumières par Bartolomé Bennassar
– Les reines de France au temps des Bourbons : les Femmes du Roi-Soleil par Simone Bertière
– Louis XIV et sa cour par le duc De La Force
– Histoire d’Espagne depuis les premiers temps historiques jusqu’à la mort de Ferdinand VII (volume 11) par Eugène Rosseeuw Saint-Hilaire