Reines d'Espagne

Elisabeth Farnèse, le roc de Philippe V

Elisabeth Farnèse descend du Pape Paul III par son fils bâtard, le duc de Parme Pierre-Louis Farnèse (1503-1547). Née le 25 octobre 1692, elle est la fille unique d’Edouard II Farnèse et de Dorothée-Sophie de Neubourg. Le couple a déjà un fils, Alexandre, né l’année précédente. Mais en 1693, Elisabeth perd son frère aîné ainsi que son père, âgé de 27 ans. C’est son oncle, François Farnèse, demi-frère d’Edouard II, qui devient duc de Parme. Quant à sa mère, elle n’entend pas rester veuve à l’âge de 23 ans et rêve de pouvoir.  Elle parvient donc à épouse son beau-frère, François Farnèse, en 1696. Celui-ci  y trouve son compte puisqu’il conserve ainsi la dot de Dorothée-Sophie. Il apparaît très vite qu’Elisabeth sera la seule héritière des Farnèse puisque sa mère ne donne pas d’enfant au nouveau duc de Parme. Quant au frère cadet de François, Antoine Farnèse, il est également sans enfant. Dans cette optique, la duchesse de Parme donne à sa fille une éducation stricte et sévère, afin de pouvoir la dominer plus tard. Les relations entre Elisabeth et sa mère se dégradent au fur à et mesure que la jeune fille grandit et affiche un caractère obstiné. La seule personne pour qui elle a de l’affection est son beau-père, François Farnèse, qui montre pour Elisabeth une grande tendresse. Cependant, il n’ose contester l’éducation que lui donne son épouse. On enseigne à Elisabeth plusieurs langues, la musique, la peinture, la danse et la broderie. Néanmoins, Dorothée-Sophie refuse que sa fille soit présentée à la cour et la tient à l’écart du monde. Malgré la petite vérole qui laisse des traces sur son visage, la princesse est une jeune fille bien faite et charmante.

Élisabeth Farnèse, enfant, par Giovanni-Maria delle Piane (XVIIIe siècle)
Élisabeth Farnèse, enfant, par Giovanni-Maria delle Piane (XVIIIe siècle)

Lorsqu’Elisabeth atteint 21 ans, sa tante paternelle Marguerite Farnèse, veuve du duc de Modène, décide de prendre sa nièce en main et la fait sortir de l’ombre. Il est d’ailleurs temps de penser à la marier ! C’est alors que l’abbé Alberoni, homme de confiance du duc de Parme à la cour d’Espagne, apprend à celui-ci la mort de la reine Marie-Louise, survenue en février 1714. François Farnèse pense alors à sa belle-fille pour épouser le jeune veuf, Philippe V. Le choix de la nouvelle épouse du roi d’Espagne passe par la princesse des Ursins, ancienne camarera (l’équivalent de dame d’atour en Espagne) de la défunte reine et gouvernante des Infants. Mme des Ursins recherche alors une princesse qui serait soumise et sans goût pour la politique. Alberoni glisse le nom d’Elisabeth Farnèse qui retient l’attention de Mme des Ursins. Lorsqu’on apprend à la fille de Dorothée-Sophie qu’elle va devenir reine d’Espagne, on n’omet pas de lui recommander de se soumettre à la princesse des Ursins, jusqu’à ce qu’elle ait conquis son époux.

En septembre 1714, Elisabeth quitte Parme sous des acclamations de « Vive la reine ». Refusant de voyager par la mer, Elisabeth doit traverser une partie de la France. A Bayonne, elle rencontre sa tante maternelle, Marie-Anne de Neubourg, veuve du roi d’Espagne Charles II (†1700). Celle-ci ne porte pas Mme des Ursins dans son cœur et instruit sa nièce au sujet de la gouvernante des Infants. Il est convenu que cette dernière accueille la nouvelle reine avant l’arrivée du roi à Jadraque. Alberoni conseille alors à Elisabeth de prendre les devants et de faire arrêter la princesse des Ursins avant que Philippe V n’arrive. Après une brève entrevue durant laquelle les deux femmes ne parviennent pas à s’entendre, Elisabeth ordonne à Mme des Ursins de quitter l’Espagne sur-le-champ. La reine s’empresse ensuite d’écrire à Philippe V, en lui expliquant les raisons du renvoi de la gouvernantes des Infants : celle-ci lui aurait grandement manqué de respect. Contre toute attente, le roi approuve la décision d’Elisabeth. Le 24 décembre, les deux époux se rencontrent pour célébrer leur union. Philippe est sous le charme de sa nouvelle épouse. En arrivant à Madrid, Elisabeth fait la connaissance des fils du roi, nés de sa première union avec Marie-Louise de Savoie. La nouvelle reine se montre affectueuse avec les princes mais ne peut s’empêcher de penser à sa future progéniture, qui devra leur céder le pas. Déjà, Elisabeth espère pouvoir offrir à ses futurs enfants quelques couronnes en Europe.

Elisabeth Farnèse, par Giovanni-Maria delle Piane (vers 1715)
Elisabeth Farnèse, par Giovanni-Maria delle Piane (vers 1715)

Très vite, il apparaît qu’Elisabeth n’a rien d’une reine docile et soumise : elle refuse d’écrire à certaines personnalités et de dispenser des grâces aux Grands d’Espagne. De plus, elle se montre dépensière en toilettes et bijoux. Cependant, la reine remplit son rôle d’épouse en donnant de nombreux enfants à Philippe V :

– Charles III (1716-1788), roi de Sicile puis roi d’Espagne, épouse Marie-Amélie de Saxe en 1738 (dont postérité)
– François (1717-1717)
– Marie-Anne-Victoire (1718-1781), épouse Joseph Ier de Bragance, roi du Portugal, en 1729 (dont postérité)
– Philippe (1720-1765), duc de Parme, épouse Marie Louise Elisabeth de France en 1739 (dont postérité)
– Marie-Thérèse-Raphaëlle (1726-1746), épouse Louis-Ferdinand de France en 1745
– Louis-Antoine (1727-1785), comte de Chinchon, épouse Marie-Thérèse de Vallabriga en 1776 (dont postérité)
– Marie-Antoinette Fernande (1729-1785), épouse Victor-Amédée III de Savoie en 1750 (dont postérité)

Le peuple n’aime pas sa nouvelle reine, l’accuse d’être responsable de tous leurs malheurs et de garder le roi confiné dans ses appartements. Il faut dire que ce dernier n’est pas en bonne santé : il a peur de la mort, sent sa fin arriver, et est persuadé de recevoir des messages de sa défunte épouse. Philippe n’a plus la volonté de régner et songe à abdiquer en faveur de son fils aîné. Il est également question de renforcer l’alliance entre la France et l’Espagne par des mariages. En effet, Philippe V, qui a dû renoncer à ses droits au trône de France pour ceindre la couronne d’Espagne en 1700, se montre satisfait de savoir que sa postérité régnera un jour dans son pays natal. Quant à la reine, elle est ravie que l’une de ses filles puisse être reine de France. En 1721, il est donc convenu que l’Infante Marie-Anne-Victoire épouserait le jeune Louis XV et que le prince des Asturies convolerait avec l’une des filles du Régent, Mademoiselle de Montpensier. A la fin de l’année, Marie-Anne-Victoire, surnommée « l’Infante Reine », part pour la France, tandis que Louise-Elisabeth d’Orléans arrive en Espagne. Le mariage du prince des Asturies et de la jeune princesse de 13 ans a lieu le 22 janvier 1722. Cependant, la jeune fille déplait beaucoup à la reine : la nouvelle princesse des Asturies a reçu une éducation négligée, se montre vulgaire et manque de respect aux Grands d’Espagne comme à ses dames d’honneur et aux courtisans. Elisabeth Farnèse doit également faire face à un autre problème de taille : Philippe V, fréquemment victime de dépression, a décidé d’abdiquer en faveur du prince des Asturies : le 14 janvier 1724, le roi remet la couronne à son fils aîné, afin de se consacrer à son Salut.

La famille royale, par Jean Ranc (1723). De gauche à droite : l'infant Ferdinand, Philippe V, le prince des Asturies, l'infant Philippe, Elisabeth Farnèse et l'infant Charles. Dans le portrait : Marie-Anne-Victoire, alors fiancée à Louis XV
La famille royale, par Jean Ranc (1723). De gauche à droite : l’infant Ferdinand, Philippe V, le prince des Asturies, l’infant Philippe, Elisabeth Farnèse et l’infant Charles. Dans le portrait : Marie-Anne-Victoire, alors fiancée à Louis XV

Elisabeth se montre désespérée d’avoir perdu le pouvoir avant d’avoir trouvé des couronnes pour tous ses enfants, à défaut de celle d’Espagne. Or, voici que le nouveau roi Louis Ier décède en août de la même année, à l’âge de 17 ans, emporté par la petite vérole. Philippe V est contraient de remonter sur le trône, en raison du jeune âge de l’Infant Ferdinand (né en 1713), frère du défunt. Elisabeth affirme à son époux que Dieu vient de lui envoyer, avec la mort de son fils aîné, le signe qu’il ne peut abandonner les rennes du pouvoir tant qu’il est en vie. En 1725, l’Infante Reine est renvoyée chez ses parents : en effet Louis XV vient de se remettre d’une grave maladie et son premier ministre, le duc de Bourbon, a décidé de lui faire épouser rapidement une princesse en âge de donner des héritiers à la France. Folle de rage devant cet affront, la reine Elisabeth exige que Louise-Elisabeth, veuve de Louis Ier, soit expulsée du royaume d’Espagne avec sa sœur Mlle de Beaujolais, qui devait épouser l’infant Charles.

Avec le temps, Philippe V est de plus en plus souvent victime de crises effrayantes. Au cours de celles-ci, il ne se maîtrise plus et en vient parfois à frapper son épouse. Il s’imagine que l’on veut l’empoisonner et, épisodiquement, qu’il est déjà mort ! Dès 1727, Elisabeth doit gouverner au nom du roi, qui est incapable d’assurer sa fonction de souverain. Elle tente de faire participer l’infant Ferdinand aux affaires du royaume mais le jeune garçon déteste sa belle-mère et organise autour de lui un parti qui remet en cause l’autorité féminine d’Elisabeth. Dans un moment de folie, Philippe V tente d’abdiquer à nouveau. Cette fois, la reine parvient à s’emparer du document et à le déchirer, hurlant devant son époux qu’elle ne consentirait jamais à ce qu’il abdique une seconde fois. Alors que Philippe V sombre dans une léthargie, il semble se réveiller lorsqu’il apprend que Louis XV est atteint de la petite vérole. Une nouvelle fois, il fait valoir ses droits à la couronne de France : dans l’éventualité de la mort de son neveu, le roi d’Espagne souhaite que le trône de ses ancêtres revienne au fils aîné d’Elisabeth, l’infant Charles. La reine d’Espagne se plaît à nouveau à imaginer l’un de ses enfants sur le trône des Bourbon.  Mais Louis XV se remet et la naissance d’un dauphin, en 1729, réduit à néant tout espoir de voir un jour la descendance du souverain espagnol ceindre la couronne de France. Contre toute attente, cette nouvelle est un soulagement pour Philippe V, qui se sera plus tourmenté par cette épineuse question.

Philippe V et Elisabeth Farnèse, par Jean Ranc (1723)
Philippe V et Elisabeth Farnèse, par Jean Ranc (1723)

En 1734, Elisabeth parvient à obtenir pour son fils aîné la couronne du royaume des Deux-Siciles. La reine s’est également rapprochée de la France, qui redoute une alliance entre l’Espagne et l’Empereur d’Autriche. Aussi le cardinal de Fleury, premier ministre de Louis XV, propose à Philippe V un double mariage : son fils Don Philippe épouserait la fille aînée du roi de France, tandis que le dauphin convolerait avec l’infante Marie-Thérèse-Raphaëlle. La fille cadette d’Elisabeth monterait ainsi sur le trône de France, qui avait échappé à sa sœur aînée. Philippe V laisse son épouse mener les négociations, s’enfonçant toujours plus dans sa mélancolie. En 1737, il pense mourir et refuse de s’occuper de politique. La reine doit faire face, seule à la tête du royaume, afin que des troubles n’éclatent pas dans le pays.

En 1739, Don Philippe convole avec Marie-Louise-Elisabeth de France et reçoit le duché de Parme. L’infante Marie-Thérèse-Raphaëlle épouse le fils unique de Louis XV en 1745 : c’est un triomphe pour Elisabeth Farnèse, qui se voit déjà grand-mère du futur roi de France. Le fait que le dauphin tombe sous le charme de sa fille fait également entrevoir à Elisabeth la possibilité d’exercer, un jour, son influence sur le jeune couple. Hélas, ses espoirs seront réduits à néant lorsque la dauphine décèdera brusquement le 22 juillet 1746. Entre temps, le 9 juillet, c’est le roi d’Espagne Philippe V qui disparaît. Il avait paru apaisé lors des derniers mois de sa vie, gardant toujours auprès de lui son épouse, qui devait gouverner à sa place dans l’ombre. Malgré la montée sur le trône de Ferdinand VI, Elisabeth demeure à la cour et continue d’œuvrer pour ses enfants. Mais ses interventions en politique lui valent bientôt d’être écartée et la reine douairière se retire au palais de la Granja, que Philippe V lui avait légué. En dépit de cette retraite forcée, Elisabeth continue à avoir des contacts avec la cour de France.

Élisabeth Farnèse, par Louis-Michel Van Loo (1745)
Élisabeth Farnèse, par Louis-Michel Van Loo (1745)

En 1759, Ferdinand VI meurt sans laisser d’héritier. Le trône revient alors au fils aîné d’Elisabeth, Charles III. Ce dernier, déjà roi des Deux-Siciles, remet sa première couronne à son fils cadet et rentre en Espagne. Après douze années d’absence, Elisabeth Farnèse est de retour à Madrid. Mais bien vite, des tensions éclatent avec la nouvelle reine, Marie-Amélie de Saxe : en effet, malgré son âge avancé, Elisabeth n’a pas renoncé à son goût du pouvoir. La reine douairière regagne donc définitivement son palais de la Granja où elle continue de recevoir une petite cour. Elle décède le 11 juillet 1766, à l’âge de 73 ans, et est inhumée auprès de Philippe V à Saint-Ildefonse.

Impopulaire à son arrivée en Espagne, critiquée pendant son règne, Elisabeth Farnèse avait ensuite forcé l’admiration de par sa force de caractère. Les nombreuses crises de Philippe V auraient pu causer bien des troubles en Espagne, si Elisabeth Farnèse n’avait pas pris les choses en main, conciliant les affaires du royaume avec sa vie conjugale difficile : jalousement aimée par son mari, elle devait satisfaire ses exigences charnelles mais aussi endurer ses crises de folie, au cours desquelles il pouvait se montrer violent et possessif. Seconde épouse d’un roi qui avait déjà plusieurs fils, Elisabeth Farnèse dû se battre afin que ses propres enfants ne soient pas lésés. Elle eut la lourde tache de remplacer la première épouse de Philippe V, qui continuait de vivre dans le cœur du roi et de son peuple. Elisabeth aura sa revanche puisque le roi d’Espagne actuel descend d’elle, et non de la première union de Philippe V. Elle compte également une nombreuse descendance à travers l’Europe, comme le suggère le tableau de Louis-Michel Van Loo, réalisé en 1743 (ci-dessous). Au final, par sa volonté inébranlable, Elisabeth Farnèse a su se faire une place dans l’Histoire.

La famille de Philippe V, par Van Loo (1743). De gauche à droite : Marie-Anne-Victoire, Marie-Barbe de Bragance (épouse de Ferdinand VI), le futur Ferdinand VI, Philippe V, Louis-Antoine, Élisabeth Farnèse, Philippe (duc de Parme), son épouse Élisabeth de France, Marie-Thérèse-Raphaëlle, Marie-Antoinette, Marie-Amélie de Saxe (épouse de Charles III) et le futur Charles III. Au premier plan, les deux petites-filles de Philippe V, jouant avec un carlin : à gauche Marie-Isabelle (fille de Charles III), à droite Isabelle de Bourbon-Parme (fille du duc de Parme).
La famille de Philippe V, par Van Loo (1743). De gauche à droite : Marie-Anne-Victoire, Marie-Barbe de Bragance (épouse de Ferdinand VI), le futur Ferdinand VI, Philippe V, Louis-Antoine, Élisabeth Farnèse, Philippe (duc de Parme), son épouse Élisabeth de France, Marie-Thérèse-Raphaëlle, Marie-Antoinette, Marie-Amélie de Saxe (épouse de Charles III) et le futur Charles III. Au premier plan, les deux petites-filles de Philippe V, jouant avec un carlin : à gauche Marie-Isabelle (fille de Charles III), à droite Isabelle de Bourbon-Parme (fille du duc de Parme).

Bibliographie 

– Philippe V d’Espagne, par Philippe Erlanger
– Histoire d’Espagne depuis les premiers temps historiques jusqu’à la mort de Ferdinand VII par Eugène Rosseeuw Saint-Hilaire
–  Philippe V : roi d’Espagne, petit-fils de Louis XIV, par Suzanne Varga