Reines d'Espagne

Marie-Louise de Savoie, la bien-aimée de Philippe V

Fille du duc de Savoie Victor-Amédée II et d’Anne-Marie d’Orléans, Marie-Louise Gabrielle naît le 17 septembre 1688, à Turin. Sa naissance est une déception : elle est la troisième fille du couple ducal, qui n’a pas encore d’héritier mâle. Cependant, son éducation n’est pas négligée et avec sa sœur aînée, Marie-Adélaïde, la jeune princesse acquiert de nombreux talents, grâce aux leçons de sa gouvernante et de sa mère. Au cours de l’enfance de Marie-Louise, la duchesse de Savoie met au monde trois fils, qui viennent assurer la succession. Très tôt, les princesses de Savoie prennent conscience qu’elles joueront un jour un rôle important dans la politique de leur père. En 1697, l’aînée épouse l’héritier du trône de France, le duc de Bourgogne, petit-fils aîné de Louis XIV.

En 1700, le duc d’Anjou, second petit-fils du Roi-Soleil, hérite du trône d’Espagne et prend le nom de Philippe V (1683-1746). Afin de renforcer l’alliance entre la France et l’Espagne, Louis XIV a entrepris des négociations avec la Savoie, afin de  marier le jeune Philippe V à Marie-Louise. Les principaux intéressés sont pas consultés, les unions matrimoniales étant avant tout une affaire politique. Le 3 novembre 1701, le nouveau roi d’Espagne, âgé de 17 ans, épouse la dernière fille de Victor-Amédée II, qui n’est âgée que de 13 ans. Il semble que les deux époux se plaisent de suite, malgré le fait qu’ils ne se soient jamais vus. Si Philippe est d’un caractère plutôt timide, Marie-Louise a beaucoup de tempérament. D’ailleurs, sitôt mariée, la princesse de Savoie, fatiguée par son voyage de Turin jusqu’à Madrid, refuse de consommer son union dès la première nuit, « s’exprimant avec autant de force que de retenue » d’après les témoins. Philippe V doit donc patienter pour partager le lit de son épouse.  Le devoir conjugal va enchanter le jeune roi, pourtant presque dévot jusque là. Philippe tombe éperdument amoureux de Marie-Louise, qui affiche beaucoup de maturité pour son jeune âge.

Marie-Louise de Savoie, par Jean Garavaque (XVIIIe siècle)
Marie-Louise de Savoie, par Jean Garavaque (XVIIIe siècle)

Pour veiller sur les deux jeunes souverains, Louis XIV envoie en Espagne Marie-Anne de la Trémoille, princesse des Ursins. Proche de Mme de Maintenon, Mme des Ursins devient la « camarera mayor » (l’équivalent de dame d’honneur en Espagne) de Marie-Louise. Elle est le lien entre la France et l’Espagne, en correspondant avec Mme de Maintenon qui communique ensuite le contenu des lettres à Louis XIV. Très vite, la princesse des Ursins gagne la confiance de Philippe V et de la jeune reine.  

Si de nombreux souverains d’Europe reconnaissent Philippe V comme étant le successeur légitime du roi d’Espagne Charles II, ce n’est pas le cas de l’Empereur Léopold Ier. En effet, ce dernier réclame également la couronne. Le défunt Charles II était le demi-frère de Marie-Thérèse d’Autriche, épouse de Louis XIV et grand-mère de Philippe V. Néanmoins, Léopold Ier avait épousé la sœur de Charles II, Marguerite-Thérèse, et revendique le trône d’Espagne pour son second fils, que certains reconnaissent déjà comme étant Charles III. L’Autriche s’allie avec l’Angleterre et les Provinces-Unis pour déclarer la guerre à Philippe V en 1702, conflit qui porte le nom de « Guerre de Succession d’Espagne ».

Malgré le double mariage franco-savoyard (Marie-Louise et sa sœur aînée ont toutes deux épousé un petit-fils de Louis XIV), Victor-Amédée II se joint à l’Autriche en 1703, dans la lutte pour obtenir le trône d’Espagne. La reine ne se console pas de compter son propre père parmi ses ennemis. A l’âge d’à peine 14 ans, Marie-Louise devient régente lorsque son époux quitte Madrid pour accompagner les troupes.  Très vite, la petite reine s’attire la sympathie de ses sujets qui la surnomme affectueusement « la Savoyana ». Quant à Philippe V, il se montre très épris de sa femme, qui semble lui donner confiance en lui.

Philippe V, roi d'Espagne, par Hyacinthe Rigaud  (1701)
Philippe V, roi d’Espagne, par Hyacinthe Rigaud (1701)

En 1704, la princesse des Ursins mécontente le roi de France et Mme de Maintenon. En effet, pour Louis XIV, la confidente de Marie-Louise se préoccupe trop des intérêts de l’Espagne, au dépend de ceux de la France. Calomniée par les ambassadeurs français, elle est renvoyée de Madrid. Cependant, la jeune reine ne peut tolérer que le roi de France décide pour elle et exige le retour de Mme  des Ursins. Elle écrit donc à Louis XIV pour lui exprimer son mécontentement, et manifeste son humeur en refusant de prendre part aux décisions importantes, qui doivent pourtant être actées à la cour d’Espagne. Le roi de France finit par céder devant la volonté de fer qu’affiche Marie-Louise et, après plusieurs mois d’absence, la princesse des Ursins peut revenir auprès de la reine. Marie-Louise accueille à bras ouvert son oncle, Philippe II d’Orléans (demi-frère de sa mère), qui vient épauler militairement les souverains espagnols. Ce neveu de Louis XIV montre sa bravoure à la Bataille de  Turin, en 1706.

Malgré les tensions qui existent entre la reine et son père, celle-ci écrit régulièrement à sa mère ainsi qu’à sa grand-mère paternelle, Marie-Jeanne-Baptiste de Savoie. L’entente règne au sein du couple royal et Philippe V se montrera toujours très épris de son épouse. Jamais, malgré des mois de séparation, il ne la trompera. Le roi d’Espagne s’affaire à fonder sa propre dynastie. Un de ses proches note : « Il souhaite ardemment d’être père. La passion violente qui a pour la reine et l’importance dont il est pour lui d’avoir un prince des Asturies, lui fait désirer violemment que cette princesse [la reine] soit grosse ; il ne la laisse pas en repos ». Marie-Louise remplit sa mission en donnant quatre fils à Philippe V : 

– Louis Ferdinand (1707-1724), prince des Asturies (futur Louis Ier), épouse Louise-Elisabeth d’Orléans en 1722 (sans postérité)
– Philippe Louis (né en mort en juillet 1709)
– Philippe Pierre Gabriel (1712-1719)
– Ferdinand VI (1713-1759), prince des Asturies en 1724, épouse Marie-Barbe de Bragance en 1729 (sans postérité)

Marie-Louise et son fils aîné, par Miguel Jacinto Melendez (1708)
Marie-Louise et son fils aîné, par Miguel Jacinto Melendez (1708)

Compte tenu de la situation politique, Marie-Louise a tout le loisir de se consacrer à son fils aîné. Les prénoms du prince des Asturies renvoient à Louis XIV et à Ferdinand Ier (frère de Charles Quint), qui est à l’origine de la branche des Habsbourg. C’est une manière de s’inscrire dans la continuité de Charles II, prédécesseur de Philippe V.  En 1709, Louis XIV fait savoir à son petit-fils qu’il manque de moyens pour poursuivre la guerre. Certains murmurent qu’il serait bon que Philippe V abdique. Cependant, le roi de France refuse d’encourager son petit-fils dans ce sens.  L’ennemi étant aux portes de Madrid, Marie-Louise et Philippe V doivent quitter la capitale en 1710. Lorsque le fils de l’empereur d’Autriche, qui se fait appeler Charles III, arrive à Madrid, il trouve un peuple fidèle à Philippe V et à la « Savoyana », qui a su le charmer. C’est finalement grâce au peuple espagnol que Philippe V et Marie-Louise conservent leur trône.

La reine n’a alors que 22 ans et pourtant, elle est épuisée. Elle souffre depuis quelques années de glandes au niveau du cou et doit porter des « cornettes » (des écharpes de dentelles) sous son menton, afin de les dissimuler. D’après ses médecins, il serait bon que Marie-Louise aille prendre les eaux à Bagnères, en France. Hélas, la frontière pose problème, les espagnols ne voulant pas savoir leur reine et l’héritier du trône – le petit prince des Asturies – en pays étranger : en temps de guerre, ils pourraient être retenus en otage par la France. D’ailleurs, Philippe V aime trop sa femme pour la laisser partir loin de lui. En mars 1711, la reine souffre de fièvres qui persistent. En avril, elle est victime de malaises : ce sont les premiers signes de la tuberculose.

Marie-Louise en tenue de chasse, par Miguel Jacinto Melendez (vers 1712)
Marie-Louise en tenue de chasse, par Miguel Jacinto Melendez (vers 1712)

En février 1712, Philippe apprend à Marie-Louise la mort de sa sœur, Marie-Adélaïde. Quelques jours plus tard, le couple apprend le décès du dauphin – frère aîné de Philippe – puis du jeune duc de Bretagne, fils du couple défunt. Pour Marie-Louise, la disparition de sa sœur est un  drame. Elle écrit à sa grand-mère : « Perdre en si peu de jours une sœur, un frère et un neveu, c’est au dessus de tout ce qu’on a jamais vu ».  En peu de temps, Louis XIV a perdu son fils unique, son petit-fils aîné et un arrière petit-fils. En tant que second petit-fils du roi de France, Philippe V pourrait réclamer la couronne de ses ancêtres. Aussi, pour le roi d’Espagne est vite contraint de renoncer à ses droits au trône de France au profit du duc de Berry, son frère cadet.

Malgré la santé déclinante de Marie-Louise – et onze années de mariage – Philippe montre toujours pour son épouse un amour enflammé. A sa grand-mère, la jeune reine écriera : « J’ai le bonheur d’avoir un mari qui, par dessus les qualités qu’il possède, a celles qu’il faut pour rendre une femme la plus heureuse du monde. Je n’ai pas eu sur cela un seul moment d’inquiétude depuis que je suis mariée […] Mon bonheur est d’autant plus grand que vous savez bien que peu de femmes peuvent dire une pareille chose ».

Marie-Louise (durant sa dernière maladie), par Miguel Jacinto Melendez (1714)
Marie-Louise (durant sa dernière maladie), par Miguel Jacinto Melendez (1714)

La reine supporte mal sa dernière grossesse et continue à être victime de fièvres, même après la naissance de l’infant Ferdinand. Mme des Ursins, toujours à ses côtés, lui prodigue ses soins. L’état de la reine ne s’arrange pas avec l’hiver et la princesse des Ursins la trouve « d’une effrayante maigreur ».  Dans les lettres qu’elle continue d’écrire à sa famille, Marie-Louise cache sa maladie. Elle-même est persuadée qu’elle va guérir, tout comme Philippe V, qui honore toujours son épouse.  On ne peut pourtant plus nier que la reine est victime d’une tuberculose pulmonaire. Le 12 février 1714, elle se confesse avec son époux puis, résignée, elle demande à voir ses enfants. Le 14, Marie-Louise est au plus mal et Mme des Ursins doit forcer le roi à quitter son chevet. La reine s’éteint ce même jour, à l’âge de 25 ans.

Anéanti, Philippe V n’a pas la force de s’occuper des funérailles de son épouse et part chasser le jour où la reine est inhumée à l’Escurial (à Madrid). Cruel hasard : le roi croise le cortège funèbre en revenant de la chasse. Même si Marie-Louise est morte jeune, elle restera dans les mémoires des espagnols comme la « Savoyana » qui a su conquérir leur amour et qui  fit tout pour que son époux conserve sa couronne.

Bibliographie :

– Philippe V d’Espagne, par Philippe Erlanger
Donner vie au royaume : grossesses et maternités à la Cour, XVIIe-XVIIIe siècle, par  Pascale Mormiche
– Philippe V : roi d’Espagne, petit-fils de Louis XIV, par Suzanne Varga

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