A la cour d'Angleterre

La couronne d’Angleterre fait le malheur des reines

Henry VIII meurt le 28 janvier 1547, laissant trois enfants de trois mariages différents : Mary, née en 1516, fille de Catherine d’Aragon ; Elisabeth née en 1533, fille d’Anne Boleyn ; et Edward, fils de Jane Seymour. La naissance de cet unique fils a coûté la vie à sa mère, morte en couches en octobre 1537. C’est donc un enfant qui n’a pas encore 10 ans qui monte sur le trône d’Angleterre, sous le nom d’Edward VI. Sa sœur aînée Mary l’aide à gouverner, tentant comme elle le peut de le soustraire aux mains des Lords anglais, qui veulent influencer le jeune roi. Edward VI n’a pas le temps d’accomplir de grandes choses pour son pays : il meurt le 6 juillet 1553, à l’âge de 15 ans. Il n’était pas encore marié et ne laisse aucune descendance.

En Angleterre – contrairement en France – les femmes peuvent ceindre la couronne en l’absence d’héritier mâle. La logique voudrait donc que Mary monte sur le trône. Seulement, Edward, influencé par ses proches, a mis à l’écart sa sœur aînée et a légué sa couronne à sa cousine, Jane Grey. Cette dernière, née en 1537, est la petite-fille de Marie Tudor (1496-1533), sœur d’Henry VIII. A partir de cet instant, la couronne d’Angleterre va faire souffrir toutes les femmes qui vont devoir la porter : en effet, Mary Tudor va la réclamer, en tant que sœur du défunt roi et fille d’Henry VIII. Les partisans de Mary parviennent à casser la décision du défunt Edward VI : Jane Grey est emprisonnée à la Tour de Londres avec son père, Henry Grey, et son époux, Guilford Dudley. Reine d’Angleterre du 10 au 19 juillet 1553, Jane Grey est exécutée pour trahison le 12 février 1554 avec son mari. Elle a 16 ans. Son père la suit dans la mort le 23 février.

Edward VI ( peintre anonyme, 1546) et  Mary Ire (par Master John en 1544)
Edward VI ( peintre anonyme, 1546) et Mary Ire (par Master John en 1544)

Mary Tudor monte donc sur le trône sous le nom de Mary Ire. Depuis le règne d’Henry VIII, l’Angleterre est devenue protestante. Mais Mary Ire est décidée à remettre en place la religion de sa mère : le catholicisme. Durant son règne, la reine fait mettre à mort de nombreux protestants. En juillet 1554, Mary convole avec le très catholique roi d’Espagne Philippe II (1527-1598). Si Mary est éperdument amoureuse de son époux, ce dernier la fuit très vite pour retourner en Espagne, la laissant en Angleterre où la reine redouble de cruauté face aux protestants. Cela lui vaudra la surnom de Bloody Mary (« Mary la Sanglante ») tant les persécutions sont dures et abusives. Mariée à 38 ans, Mary n’aura pas d’enfant, bien qu’elle se croit enceinte en novembre 1554. En réalité, la reine est sous pression car tout le royaume attend d’elle un héritier. De cette date jusqu’à sa mort, Mary est victime de « grossesses nerveuses » : elle présente tous les symptômes d’une grossesse mais n’est pas enceinte. Elle meurt le 17 novembre 1558 à 42 ans, probablement d’un cancer de l’utérus, ce qui peut expliquer les symptômes trompeurs d’une grossesse. Fille d’une reine répudiée, Mary Ire fut une reine malheureuse, attachée à un époux qui ne l’aimait guère et gouvernant une Angleterre qui n’acceptait pas sa foi catholiques.

L'exécution de Jane Grey par Paul Delaroche, en 1833
L’exécution de Jane Grey par Paul Delaroche, en 1833

La couronne passe à la sœur cadette de la défunte reine, Elisabeth, que certains considèrent comme une bâtarde. En effet, après la mort de sa mère Anne Boleyn, accusée d’adultère, Elisabeth a été déclarée illégitime par Henry VIII. Aux yeux de Rome et de nombreuses cours européennes, Elisabeth n’est la fille que d’une concubine royale, la Papauté ayant refusé d’annuler la première union d’Henry VIII avec Catherine d’Aragon. Passant outre, le roi d’Angleterre avait alors renié le catholicisme pour épouser Anne Boleyn, en 1533. Mais il était alors considéré comme bigame et sa seule épouse légitime restait, pour beaucoup, Catherine d’Aragon : Elisabeth est donc le fruit d’un mariage illégal et la fille d’une femme condamnée à mort. Pour faire front, une fois au pouvoir, Elisabeth décide de s’appuyer sur les protestants. Cependant, il y a une autre prétendante à la couronne d’Angleterre : Marie Stuart. Arrière petite-fille d’Henry VII, elle se place juste après Elisabeth sur la liste de succession au trône. Marie Stuart est la fille du roi d’Ecosse Jacques V et de Marie de Lorraine, issue de la puissante famille des Guise. Née le 8 décembre 1542, elle est reine d’Ecosse six jours après sa naissance. Son père Jacques V était le fils de Jacques IV et de Margaret Tudor, sœur aînée d’Henry VIII. Marie Stuart est donc une cousine d’Elisabeth, plus légitime qu’elle aux yeux des catholiques. Mariée au dauphin François en avril 1558, elle est la future reine de France. Son beau-père, le roi Henri II, la désigne alors comme dauphine de France ainsi que reine d’Ecosse et d’Angleterre dans tous les actes officiels. Elisabeth Ire voit très vite en Marie une rivale et s’emploie à surveiller le moindre de ses gestes.

Marie Stuart, par François Clouet (XVIe siècle)
Marie Stuart, par François Clouet (XVIe siècle)

En 1559, Marie Stuart devient reine de France aux côtés de François II. Sur leur sceau est alors inscrit : « François et Marie, roi et reine des Français, des Ecossais, des Anglais et des Irlandais ». C’est un coup dur pour Elisabeth. Le 5 décembre 1560, François II meurt et Marie décide de retourner en Ecosse, se rapprochant ainsi de l’Angleterre. Cela déplaît beaucoup à Elisabeth Ire. Sa cousine a des partisans et de l’ambition. Le 29 juillet 1565, la reine d’Ecosse épouse son cousin Henry Stewart, dit Lord Darnley (fils de Margaret Douglas, demi-sœur de Jacques VI). Comme Marie, Henry est catholique et joue les amoureux jusqu’au mariage. Une fois uni à Marie, il ne se passe pas longtemps avant que Lord Darnley ne supporte plus son titre de prince consort : il veut régner en roi. Henry Stewart ne tolère pas que Marie ait tous les pouvoirs et qu’il ne puisse gouverner qu’à travers elle. Jaloux de son épouse, il fait assassiner son secrétaire David Rizzio sous ses yeux, en 1556. Cet assassinat marque une cassure dans le couple de Marie Stuart et d’Henry, bien que la reine soit alors enceinte de plusieurs mois. Elle entreprend une liaison avec un noble écossais, James Hepburn, comte de Bothwell. Le 19 juin, la reine met au monde un fils prénommé Jacques. Cette naissance anéantie Elisabeth Ire, qui accepte cependant d’être la marraine de l’enfant. La meilleure solution pour contrer sa cousine est de donner un héritier à l’Angleterre.

A plusieurs reprises, Elisabeth entreprend des pourparlers avec l’Espagne ou la France en vue d’une union. Philippe II avait commencé par demander sa main sitôt Mary Ire disparue. Bien plus tard, la France propose le plus jeune fils d’Henri II, François-Hercule duc d’Alençon. Mais la reine d’Angleterre n’entend pas, au fond, prendre de mari. Elle a bien vu comment sa cousine Marie Stuart a vécu son mariage avec Lord Darnley : fiancé aimant, celui-ci est devenu un époux avide de pouvoir. Elisabeth ne veut pas perdre le sien et refuse de le partager avec un conjoint.  Jamais elle sera soumise à un homme : elle régnera seule sur l’Angleterre. A ceux qui désirent qu’elle se marie, Elisabeth répond qu’elle a épousé l’Angleterre. Elle y gagne le surnom de « la reine Vierge », dans le sens où elle ne s’est pas mariée. En revanche, Elisabeth Ire prend des amants parmi lesquels on retiendra Robert Dudley, que la reine comblera de faveurs et de titres. Pourtant, Elisabeth refusera toujours de lui accorder sa main. D’autant que cette union aurait probablement été mal acceptée par les anglais de par la modeste naissance du favori, qui n’est pas de sang royal. 

Elizabeth Ire en robe de sacre (Ecole anglaise, vers 1599)
Elizabeth Ire en robe de sacre (Ecole anglaise, vers 1599)

A l’inverse de sa cousine anglaise, Marie Stuart finit par épouser son amant, le comte de Bothwell, un « simple » gentilhomme écossais. En effet, le 10 février 1567, Henry Stewart est retrouvé mort à Edimbourg. Atteint d’un mal qui pourrait être la syphilis, il se repose là-bas quand sa demeure est détruite par une explosion. On raconte d’abord que l’époux de la reine d’Ecosse est mort dans l’explosion de sa maison mais son corps est retrouvé dans le jardin. Il apparaît vite que Lord Darnley a été étranglé. Le coupable ? Le comte de Bothwell… et il semble que Marie ne soit pas étrangère à la mort de son mari. Si on ne peut prouver que la reine d’Ecosse a joué un rôle dans l’assassinat de son époux, il est probable qu’elle était au courant du complot. D’autant plus qu’au lieu de condamner la conduite de James Hepburn, Marie décide de l’épouser en mai 1567, à la stupéfaction et la grande indignation de tous. On en fait des gorges chaudes jusqu’à la cour d’Angleterre et en France.

Considérée comme dangereuse, Marie finit par être faite prisonnière sur ordre de la confédération écossaise et est enfermée château de Loch Leven, sur une île, tandis que son troisième époux prend la fuite. Elle justifie alors son scandaleux mariage avec le comte de Bothwell par le fait qu’il aurait abusé d’elle et qu’elle serait tombée enceinte ! En juillet, Marie fait une fausse-couche de jumeaux (certains parlent d’avortement) et doit abdiquer en faveur de son fils, qu’on lui a retiré. En mai 1568, elle parvient à s’enfuir avant d’être capturée à nouveau. Sa captivité est néanmoins douce : elle peut recevoir, correspondre, et a même un ambassadeur en France. Pour s’occuper, elle lit, brode mais ne peut se tenir tranquille comme on l’espère : Marie finit par revenir sur son acte d’abdication et veut également la succession d’Elisabeth Ire. Dans les années 1580, Marie Stuart décide de combattre l’hérésie et organise autour d’elle tout un réseau qui méprise Elisabeth Ire. La reine d’Angleterre est alors victime de plusieurs tentatives d’assassinat.

Exécution de Marie Stuart, par Abel de Pujol (XIXe siècle)
Exécution de Marie Stuart, par Abel de Pujol (XIXe siècle)

En Ecosse, le fils de Marie, Jacques VI, qui est maintenant un jeune homme, ne soutient en rien sa mère. Il ne connaît d’elle que ce qu’on lui a raconté et ne supporte pas qu’elle revendique ce qu’il considère comme son futur trône : pour lui, c’est une hérétique, une mauvaise épouse et une criminelle qui a fait assassiner son père. Les partisans de Marie tentent de la délivrer : la reine déchue correspond en codes et Elisabeth Ire y voit des complots. La situation est de plus en plus difficile. La reine d’Angleterre est contrainte, pour sa tranquillité et pour éviter une guerre, de faire un procès à sa cousine. On aurait retrouvé des lettres compromettantes de Marie à James Hepburn, ainsi qu’une lettre annonçant un projet d’assassinat sur la reine Elisabeth. Marie Stuart refuse de mettre sur papier ses aveux à moins d’être réhabilitée. Elisabeth Ire hésite longtemps avant de faire condamner à mort sa cousine, mais elle ne sait que Marie Stuart représentera toujours une menace : la reine déchue est décapitée à la hache, le 8 février 1587. Le seul tort qu’elle avait : d’être plus légitime aux yeux des catholiques que la fille d’Henry VIII. La couronne d’Angleterre l’a conduite à sa perte. Elisabeth Ire prétend, comme pour se justifier, ne pas avoir eu le choix, et avoir tout fait pour épargner sa cousine. Jacques VI proteste, pour la forme, en apprenant la mort de sa mère. Il s’en console cependant très vite, sachant qu’il sait être le plus proche parent d’Elisabeth Ire, et donc le prochain roi d’Angleterre. 

Le 23 mars 1603, la reine Vierge s’éteint à 69 ans. Si Elisabeth a su conserver le pouvoir dans sa totalité, elle a dû renoncer à l’amour. Elle a lutté seule pour garder son trône sans l’appui d’un époux et ne laisse pas d’enfant. A sa mort, c’est son filleul, le fils de sa cousine décapitée, Jacques VI d’Ecosse, qui ceint la couronne d’Angleterre sous le nom de Jacques Ier. Avec Elisabeth Ire c’est la dynastie des Tudor qui s’éteint. 

Depuis la mort d’Edward VI jusqu’au règne de Jacques Ier, l’Angleterre aura eu quatre reines : deux sœurs et filles d’Henry VIII, reines mais malheureuses dans leur vie intime ; et deux cousines des Tudor qui seront reines « fictives » mais qui y laisseront leur tête. Elles sont rentrées dans l’histoire comme Jane Grey la reine Éphémère, Mary la reine Sanglante, Elisabeth la reine Vierge et Marie Stuart la reine Martyre.

Bibliographie :

Elisabeth Ire d’Angleterre : le pouvoir et la séduction, par  Michel Duchein 
Marie Stuart,  par Philippe Erlanger
Marie Tudor : la souffrance du pouvoir, par Isabelle Fernandes 
– Le pouvoir contesté : Souveraines d’Europe à la Renaissance, par Thierry Wanegffelen

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