Enigmes de l'Histoire

L’empoisonnement de Louis de France : la reine contre le chambellan

Le 28 mai 1262, le prince de France et duc d’Orléans Philippe – fils aîné de Louis IX – épouse Isabelle d’Aragon, belle et jeune princesse de 15 ans. Celle-ci lui donne rapidement quatre fils. Philippe et Isabelle accompagnent Louis IX lors de la huitième croisade, au début de l’année 1270. Le roi meurt le 25 aout 1270, à Tunis, victime de la dysenterie. Sur le chemin du retour, alors que le triste cortège du nouveau roi Philippe III traverse l’Italie, Isabelle, qui est enceinte de six mois, tombe de cheval en traversant un gué. La reine meurt le 28 janvier 1271, après avoir accouché prématurément d’un fils mort-né. 

Bien que très affligé de la perte de son épouse et pourvu de trois fils (l’un des quatre mis au monde par Isabelle est mort en bas âge), Philippe III se remarie, le 21 aout 1274, avec la jeune Marie de Brabant, alors âgée de 14 ans. C’est une union politique, la mariée étant la fille de l’un des plus grands vassaux du roi, le duc de Brabant, Henri le Débonnaire.  La nouvelle reine est belle, intelligente, cultivée et apporte un vent de fraicheur dans une cour endeuillée par les morts successives de Louis IX et d’Isabelle d’Aragon. Amoureux de son épouse, le roi se laisse facilement influencer par celle-ci. Pierre de la Brosse, chambellan de Philippe III, prend ombrage du crédit et du pouvoir de Marie. Une guerre privée s’ouvre alors entre la reine et Pierre de la Brosse, qui se méfient l’un de l’autre. La puissance du chambellan, qui est de modeste naissance, irrite également de nombreux princes, qui prennent le parti de Marie de Brabant, voyant là le moyen de se débarrasser de cet homme trop proche du roi. D’abord valet de chambre puis chirurgien de Louis IX, Pierre de la Brosse est devenu l’homme de confiance de Philippe III.  Un chroniqueur note :  « Il était à tous les Conseils du roi et, quand les barons avaient conseillé le roi de ce qu’ils savaient ne pas être bon, s’il ne plaisait à Pierre, leur conseil n’était pas suivi »

Mariage de Philippe III et de Marie de Brabant (Manuscrit des Chroniques de France, XIVe siècle)

Un soir  de printemps  1276, l’héritier du trône, Louis de France – fils aîné de Philippe III et d’Isabelle d’Aragon – meurt après avoir bu un verre d’eau. Son décès paraît de suite suspect et on le dit  empoisonné. Le chambellan de Phillipe III fait alors savoir au roi que c’est Marie de Brabant  – sur le point d’accoucher de son premier enfant – qui est l’auteur de ce meurtre car elle a l’intention de mettre son propre fils  sur le trône de France. L’évêque de Bayeux rapporte : « Le bruit court que Madame la reine  et les femmes de sa maison ont empoisonné Monseigneur Louis ; on craint qu’elles en fassent autant aux autres enfants que le roi a de sa première femme ». La reine repousse ces accusations et affirme que Pierre de la Brosse a assassiné le prince pour la discréditer, en la faisant passer pour coupable aux yeux du roi. Elle est soutenue par de grands seigneurs : le comte Robert d’Artois, le duc de Bourgogne Robert II mais aussi son frère, Jean Ier de Brabant. La « coterie » de la reine affirme que le chambellan a trahi la confiance du roi en vendant des informations à Alphonse X de Castille, ennemi de la France. En mai, Marie de Brabant accouche d’un fils, le comte d’Evreux, qui est prénommé Louis en mémoire du défunt prince.  

Indécis et ne sachant qui croire, Philippe III envoie des émissaires à travers la Flandre et le Brabant,  afin de consulter des voyantes et des prophètes. Une béguine (religieuse de Flandre), originaire de Nivelles, affirme que le roi ne doit « rien croire de ce que l’on voulait insinuer contre sa femme ; qu’elle était bonne et fidèle, et qu’elle l’aimait de tout son cœur, lui et les siens ». Cela suffit à convaincre Philippe III de l’innocence de la reine. Celle-ci réclame alors un châtiment pour celui qui l’a accusée de la mort du prince Louis et qui est, selon elle, responsable de ce meurtre. Pour appuyer sa demande, ses alliés transmettent au roi des lettres du chambellan – au contenu non dévoilé mais peut-être en lien avec la Castille –  qui précipitent la chute de Pierre de la Brosse. Ainsi, le chambellan disgracié est d’abord emprisonné cinq mois avant d’être pendu sans procès, le 30 juin 1278 sans réelle preuve de culpabilité, sur simple parole d’une prophète et selon le souhait de la reine et de sa coterie (qui avait tout intérêt à voir disparaître le chambellan). Son tort aura été de se croire assez puissant pour pouvoir accuser l’épouse du roi sans craindre les conséquences. Mais très vite, le peuple murmure que le roi a fait pendre un innocent. Car que contenaient les lettres qui ont été interceptées et qui ont signé l’arrêt de mort de Pierre de la Brosse ? N’auraient-elles pas été fabriquées par la coterie de la reine pour décider Philippe III à abandonner son homme de confiance ?

Estampe représentant Louis de France (1264-1276)
Estampe représentant Louis de France (1264-1276)

Certains avancent que c’est bien Marie de Brabant qui a fait disparaître le prince Louis, afin de mettre ses propres enfants sur le trône et évoquent un « crime politique » contre Pierre de la Brosse. Mais en 1276, il reste pourtant au roi deux fils nés de son union avec Isabelle d’Aragon (Philippe et Charles), et le premier-né d’entre eux ceindra la couronne de France, après son père, sous le nom de Philippe IV, tandis que le fils de Marie de Brabant, Louis d’Evreux, restera un personnage discret, dans l’ombre de ses demi-frères. Si la reine voulait que son enfant devienne roi, n’aurait-elle pas fait assassiner les autres fils d’Isabelle ? Y aurait-elle renoncé après l’exécution du chambellan qui vient de secouer le royaume ? C’est possible, car après cette affaire, le peuple se montre hostile envers Marie de Brabant : « Le peuple de Paris est si ému contre la reine qu’elle n’oserait aller du Louvres à Notre-Dame de peur d’être lapidée » (Pierre de Benais, évêque de Bayeux). 

Si Marie de Brabant est innocente, pourquoi donc Pierre de la Brosse aurait-il fait assassiner le prince Louis ? Quel avantage tirait-il vraiment de cette mort ? Le chambellan aurait agi pour le compte d’Alphonse X de Castille : la mort de l’héritier du trône aurait eu pour seul but de déstabiliser Philippe III, qui s’apprêtait à prendre les armes. A moins que, comme l’a affirmé Marie de Brabant, Pierre de la Brosse ait fait empoisonner l’héritier du trône pour l’ accuser ensuite de cet assassinat, et ainsi la perdre définitivement aux yeux du roi (les deux possibilités peuvent également se cumuler).

L'exécution de Pierre de la Brosse (Manuscrit des Chroniques de France, XIVe siècle)
L’exécution de Pierre de la Brosse (Manuscrit des Chroniques de France, XIVe siècle)

Si on ne peut établir avec certitude qui est responsable de la mort du prince Louis (1264-1276), l’Histoire adhère à la thèse de l’empoisonnement, comme Philippe III en était lui-même convaincu.  Mais aucun rapport d’autopsie ne vient le confirmer et on ne peut pas tout à fait écarter une mort naturelle. Ce sont la jeunesse du prince, sa bonne santé apparente et la soudaineté de sa mort qui jettent le doute, avant que deux camps opposés ne s’accusent mutuellement d’empoisonnement  pour servir leurs intérêts. Le futur Philippe IV, âgé de 8 ans à l’époque des faits, se montrera toujours courtois mais fort distant avec Marie de Brabant, sous doute marqué par la disparition brutale de son frère et par les rumeurs d’empoisonnement. Louis a-t-il été assassiné pour pouvoir discrétiser un ennemi ?  Pour servir la politique du roi de Castille, ou l’ambition de Marie de Brabant quant à sa progéniture ? Depuis plus de sept cents ans, le mystère demeure. 

Bibliographie : 

– Le médecins et chirurgiens des rois capétiens du XIe au XIIIe siècle, par Henri Berthaud 
Philippe III (1270-1285), fils de Saint-Louis, par Ivan Gobry
Philippe le Bel, par Georges Minois 
– La trahison au Moyen-Age : de la monstruosité au crime politique (Ve-XVe siècle), sous la direction de Myriam Soria et Maïté Billoré

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