L’Affaire Louis XVII
Dès l’annonce de la mort de Louis XVII au Temple le 8 juin 1795, des rumeurs commencent à circuler. On le dit toujours vivant et sous la Restauration, de nombreuses personnes, plus ou moins convaincantes, prétendront être Louis XVII, à l’exemple du célèbre Charles-Guillaume Naundorff. S’il y a eu tant de prétendants, c’est que la disparition de Louis XVII reste entourée de mystères. Et si la science semble avoir tranché en 2000, des zones d’ombre demeurent toujours. Je ne prétends pas ici détenir la clef de cette affaire. Je mets simplement en avant les faits troublants et les différentes hypothèses. A chacun de se faire ensuite sa propre opinion. 😉
La fin de Louis XVII :
Le 19 janvier 1794, le citoyen Simon, qui garde Louis XVII depuis le 3 juillet 1793, quitte définitivement la tour du Temple et l’enfant. Il aurait renoncé à ses fonctions auprès de « Louis-Charles Capet » pour pouvoir assister aux séances hebdomadaires du Conseil, par décision du 5 janvier, afin de « conserver la place que la confiance du peuple lui a accordée ». Dès lors, l’enfant est véritablement emmuré : du 30 janvier au 27 juillet (9 Thermidor) plus personne n’entrera dans la chambre de Louis-Charles, qui est totalement isolé du monde. Madame Elisabeth et Madame Royale, qui n’entendent plus l’enfant, sont même persuadées qu’il a quitté le Temple. Il faudra attendre six mois pour, qu’après la chute de Robespierre, Barras entre dans la chambre de l’enfant et découvre son calvaire. Le jeune garçon est déjà dans un piteux état. Il présente des tumeurs aux poignets et aux genoux, il est amaigri et couvert de parasites. Jean-Jacques-Christophe Laurent est alors nommé « gardien personnel » de Louis XVII. Le traitement de l’enfant s’adoucit. Pourtant, malgré l’ordre de Barras de réunir Louis XVII à sa sœur – et malgré les vœux de celle-ci de s’occuper de son frère – les enfants de Louis XVI ne seront jamais réunis. En novembre, la Convention désigne Jean-Baptiste Gomin pour assister Laurent. Ce dernier doit démissionner le 31 mars 1795, remplacé par Etienne Lasne. L’état de l’enfant ne s’améliorant pas, le docteur Pierre-Joseph Desault, chirurgien en chef de l’Hôtel-Dieu, vient rendre visite au malade. Il dira : « J’ai fait ce que j’ai pu pour lui témoigner de l’intérêt, gagner sa confiance, la ranimer, le réchauffer. Il m’a regardé tristement et a courbé la tête sans vouloir répondre ».
Desault est impuissant face au mal qui ronge l’enfant. Il semble cependant y avoir un léger mieux. Le 1er juin, Desault meurt brusquement. Sa mort soudaine fait penser à un empoisonnement mais l’autopsie conclut à une fièvre thyroïde. Deux de ses collègues meurent dans les jours suivants : Doublet (mort d’une fièvre ataxique) et Chopard, chirurgien fort âgé mais qui avait recueilli le dernier soupir de Desault… On parla aussi de poison. Le docteur Philippe-Jean Pelletan lui succède. Il obtient qu’enfin Louis XVII prenne l’air sur un balcon. Malgré les soins, l’enfant est pris de violents vomissements, le 7 juin au soir. Pelletan est prévenu mais n’estime pas nécessaire de se déplacer sur-le-champ. Lorsqu’il se rend au Temple le lendemain, il juge que l’état de santé du petit malade est très préoccupant et demande qu’une garde-malade soit en permanence aux côtés de Louis XVII. Après l’absorption d’un médicament, l’enfant se trouve mal. Gomin est alors absent, s’étant rendu au Comité. Le commissaire Damont, de service ce jour-là, est lui aussi absent, occupé à recopier des registres. Lasne est seul lorsque l’enfant, pris de suffocations, lui fait signe. Lasne le soulève de son lit, l’enfant décède subitement dans ses bras. Il est presque 3h de l’après-midi.
Une mort suspecte :
Lorsqu’il s’agira de constater que l’enfant décédé est bien Louis XVII, les personnes qui l’identifient comme tel ne l’ont jamais vu avant janvier 1794. D’ailleurs, 222 commissaires se succèdent au temple entre octobre 1794 et juin 1795. Dès l’annonce de la mort de Louis XVII, les rumeurs commencent à circuler. Si on avait voulu éviter cela, rien n’aurait été plus simple : Madame Royale, sœur de Louis XVII, aurait pu être appelée pour constater que l’enfant mort était bien son frère. Curieusement, jamais Madame Royale, qui demanda pourtant régulièrement des renseignements sur son frère, n’eut la possibilité de le voir. Certains bruits commencent à courir, selon lesquels l’enfant a été empoisonné. Bien que l’autopsie conclut à une péritonite tuberculeuse, des traces de poisons végétaux auraient été impossibles à déceler. Aussi, rien ne prouve que la mort de l’enfant du Temple n’a pas été pas provoquée. S’il y a empoisonnement, le seul qui a pu ajouter le poison à la cuillerée de médicaments n’est autre que celui qui se trouvait auprès de l’enfant durant ses derniers moments : son gardien, Lasne.
On ne peut prouver que l’enfant du Temple est mort d’empoisonnement mais beaucoup de choses furent dissimulées : sa maladie fut cachée et sa mort annoncée avec plusieurs jours de retard sans aucune explication (alors que nombreux sont ceux qui pensaient l’enfant en bonne santé). Durant les deux jours qui suivent sa mort, ses gardiens continuent même à faire préparer des bouillons pour l’enfant et à aller lui chercher ses médicaments. Ils ne changent rien à leurs habitudes, comme si le petit prisonnier vivait encore. Quant à l’enterrement de l’enfant du Temple, il se fait à la tombée de la nuit, le 10 juin, au cimetière de Sainte-Marguerite. Le cercueil y est descendu dans la fosse commune.
Dès l’annonce de la mort de Louis XVII, la France entreprend de signer la paix avec l’Espagne, qui, jusque là, réclamait la remise de Madame Royale et du jeune roi. Georges Bordonove écrit à ce sujet « La disparition de Louis XVII effaçait les derniers obstacles. Jamais mort ne survint aussi opportunément ». Pourquoi donc cette mise en scène après la mort de Louis XVII pour faire croire que l’enfant est toujours en vie ? Pourquoi n’avoir pas fait identifier le corps par Madame Royale ? Que penser de cet enterrement à la hâte ? Autre détail troublant : On commande pour l’enfant mort au Temple le 8 juin 1795 un cercueil « pour une jeune fille ». D’après le concierge du cimetière, le cercueil mesurait 147 centimètres. En 1816 sous la Restauration, le sieur Etienne Voisin – chargé des pompes funèbres, – qui mit le corps de l’enfant en bière, affirmera que le cercueil mesurait 165 centimètres. A ceux qui objectèrent à cause de la taille du cercueil, Voisin répondit que « le jeune monarque était de grande taille pour son âge de dix ans et deux mois ». Or, Louis-Charles était plutôt de petite taille, en témoigne une inscription de Marie-Antoinette retrouvée dans l’embrasure d’une fenêtre du troisième étage du Temple : « 27 mars 1793 : 3 pieds, 2 pouces ». Ce qui veut dire que le jour de ses 8 ans, Louis XVII mesurait 102 centimètres, une taille assez petite pour son âge (d’ordinaire de 110 centimètres). Lorsqu’il sera confronté à sa sœur en octobre 1793, celle-ci stipulera qu’il n’avait « pas pris de croissance ». Comment imaginer qu’en un peu plus d’un an, l’enfant ait grandi autant dans des conditions de vie désastreuses ?
La substitution :
Je ne crois pas à l’évasion de Louis XVII. En revanche, j’émets des doutes la date de son décès au Temple. Il est curieux que les gardiens aient été remplacés à partir de janvier 1794, date du départ de Simon. Dès lors, ceux qui avaient connu le petit roi avant cette date ne le verront plus. Idem pour les médecins : lorsque l’enfant tombe malade en mai 1795, ce ne sont pas les médecins qui sont déjà venus visiter Louis XVII qui sont appelés. Pourtant, les médecins qui ont soigné Louis XVII de 1792 aux premiers jours de 1794 sont encore vivants lors de la dernière maladie de l’enfant, en mai 1795. Or, c’est un nouveau médecin qu’on désigne, le docteur Desault. La mort brutale de ce dernier, le 1er juin 1795, fit d’ailleurs penser à un empoisonnement et certains avancèrent, comme motif, que Desault s’était rendu compte que l’enfant n’était pas Louis XVII. D’ailleurs, son confrère Chopard, qui l’avait assisté lors de ses derniers instants, était mort lui aussi peu après. Desault lui a-t-il confié que le petit malade n’était pas Louis XVII ? Ceux qui avaient vu Louis XVII avant 1794 n’assisteront pas non plus à l’autopsie. La plupart de ceux qui identifieront le corps n’ont pas connu l’enfant avant 1794. Quant à ceux qui avancent avoir aperçu jadis le prince à Versailles, la période est trop lointaine pour qu’ils puissent attester avoir devant eux le corps du même enfant, plusieurs années après. Que penser, également de cet emmurement juste après le départ de Simon ? Le véritable Louis XVII est-il décédé en janvier 1794 ? Cela expliquerait toutes les incohérences évoquées ci-dessus. Pourquoi lui avoir substitué un autre enfant dans ce cas là ? Parce que le fils de Louis XVI est une monnaie d’échange importante.
Depuis la mort de Marie-Antoinette, la France est en pourparlers avec l’Autriche et l’Espagne, qui souhaitent échanger des prisonniers contre Louis XVII et Madame Royale. Si son plus précieux otage est décédé début janvier 1794, le Comité a pu vouloir lui subsister un autre enfant le temps de se retourner. D’ailleurs, la France fit trainer les négociations avec l’étranger jusqu’à la mort officielle de Louis XVII. En effet, comment aurait-elle pu livrer un faux Louis XVII !?! Il fallait donc attendre que l’enfant du Temple se décide à succomber pour négocier la libération de Madame Royale.
Le mystère du cimetière Sainte-Marguerite :
En 1816, Louis XVIII entreprit de faire rechercher les restes de son neveu. Je précise que ni lui, ni Madame Royale n’acceptèrent le cœur de « Louis XVII » que leur a présenté le docteur Pelletan. Il y avait de fortes chances pour que l’enfant du Temple ait été inhumé dans une fosse commune du cimetière Sainte-Marguerite. Or, les corps qui y étaient mis étaient très nombreux si on compte également ceux des hôpitaux des alentours. Voisin, qui s’occupait alors des pompes funèbres, affirma alors qu’il avait marqué le cercueil de l’enfant d’un D (pour « Dauphin ») à la craie puis qu’il l’avait inhumé dans une fosse particulière. Pourtant le concierge du cimetière, Bureau, affirma qu’aucune fosse particulière n’avait été creusée et que le cercueil de l’enfant avait été mis dans la fosse commune. Quant à la veuve du fossoyeur, elle affirma que son époux avait secrètement retiré le cercueil de la fosse commune pour l’inhumer sous les fondations de l’église. Enfin, un jardinier indiqua que, trois jours après l’enterrement, le cercueil avait été transporté, de nuit, au cimetière de Clamart.
En 1846, on trouve en face du pilastre gauche de l’église, un cercueil de plomb. L’abbé Haumet pense avoir retrouvé les restes de Louis XVII. Cependant, après avoir examiné les ossements, le docteur Milcent déclare qu’ils ne peuvent appartenir à un jeune enfant : « Il est impossible d’admettre que ce squelette fût celui d’un enfant de dix ans et quelques mois, et qu’il ne pouvait avoir appartenu qu’à un garçon de quinze à dix-huit ans ». Néanmoins, le crâne est scié au-dessus des orbites, comme l’avait spécifié Pelletan lors du procès-verbal de l’autopsie. Cette conclusion est approuvée par deux confrères. On sait également que Voisin avait mis le corps dans un cercueil de bois blanc. Or, celui retrouvé est en plomb.
En juin 1801, le général d’Andigné, alors incarcéré au Temple, fit une découverte dans la fondation d’un mur qui ne vit jamais le jour. En effet, en creusant, un détenu découvrit le corps d’un enfant, enterré dans de la chaux vive : « Ce corps isolé, enseveli dans ce lieu et avec des précautions aussi inusitées, nous fit penser que nous avions trouvé les restes de Mgr le Dauphin, Louis XVII, mort dans la tour du Temple. Les chairs étaient entièrement détruites ; il ne restait que le squelette ». Le squelette fut recouvert et bien des années plus tard, d’Andigné regretta que l’on n’ait pas demandé l’ouverture d’une enquête. Lorsque, en 1840, d’Andigné se rendit de nouveau sur les lieux, au Temple, celui-ci n’existait plus, remplacé par le couvent de l’Adoration, fondé par la princesse de Condé. A la place de la cour du Temple se trouve alors un jardin. Les restes de l’enfant seraient donc ensevelis sous les bâtiments. L’historien Georges Bordonove considère que, même sans preuve de ce qu’il avance, d’Andigné peut être pris avec sérieux car « c’était un militaire épris d’exactitude ». Ce témoignage est confirmé par une note de Sénar, secrétaire-rédacteur du Comité de sûreté général : « Il [Louis XVII] n’a été ni tué, ni déporté ; mais on s’en ait défait. J’ai pris, depuis, à la volée, n’étant plus en mesure de rien voir, qu’on avait caché le cadavre près d’une tour, en terre, et fait ouvrir un autre enfant ». Détail étrange : l’enfant retrouvé près de la tour était inhumé dans de la chaux vive, traitement subit par les corps de Louis XVI et de Marie-Antoinette, comme pour empêcher toute identification.
Le cœur prélevé par Pelletan :
Le cœur de l’enfant au Temple est à Saint-Denis depuis 1975. En 1999, l’historien Philippe Delorme propose qu’une analyse ADN soit pratiquée sur l’organe desséché, afin de conclure si l’enfant mort au Temple était bien Louis XVII. On résoudrait ainsi « l’énigme Louis XVII » puisque nombreux soutiennent encore que le petit roi s’est évadé du Temple, notamment les descendants de Charles-Guillaume Naundorff.
Depuis le 9 juin 1795, jour de l’autopsie de l’enfant, le cœur prélevé discrètement par Pelletan a, de nombreuses fois, changé de mains : Pelletan place tout d’abord l’organe dans un vase de cristal rempli « d’esprit de vin » (alcool éthylique). Le cœur est alors rangé derrière les livres de sa bibliothèque. Une dizaine d’années plus tard, le liquide s’est évaporé et Pelletan range alors le cœur desséché dans le tiroir de son bureau. L’un de ses élèves, Jean-Henri Tillos, vole celui-ci vers 1810, après que Pelletan lui ait confié le récit de son « pieux larcin ». Après la mort de Tillos, sa veuve remet le cœur à Pelletan. A plusieurs reprises, celui-ci tente de le remettre à Madame Royale, Louis XVIII et Charles X, sans succès. En 1828, il le confie à l’archevêque de Paris, Monseigneur de Quélen, dans l’espoir que ce dernier parvienne à restituer le cœur à la famille royale. Le docteur Pelletan meurt l’année suivante. Lors des « Trois Glorieuses », le palais de l’archevêché est saccagé. Philippe-Gabriel Pelletan, fils naturel du défunt, retrouve le cœur parmi les débris. Placé dans une urne de cristal, celui-ci reste sa propriété, ainsi que celle de ses héritiers, jusqu’en 1895, date à laquelle le cœur est accepté par Don Carlos de Bourbon. Le cœur atterri donc en Italie avant de passer en Autriche et d’être placé dans la chapelle du château de Frohsdorf, près de Vienne. En 1942, Béatrice, fille de Don Carlos, qui fuit les menaces d’une invasion soviétique, emporte le cœur à Rome. Enfin, le 10 avril 1975, les filles de la princesse Béatrice remettent le cœur au duc de Bauffremont, président du Mémorial de France, à Saint-Denis.
Cependant, des doutes planent toujours sur l’identité de l’enfant mort au Temple. Le cœur est donc analysé en 1999 par deux laboratoires étrangers (belge et allemand) qui le comparent à des analyses faites sur les cheveux de deux sœurs de Marie-Antoinette et sur deux descendants de l’impératrice Marie-Thérèse (grand-mère maternelle de Louis XVII) : Anne de Roumanie et André de Bourbon-Parme. Le verdict tombe en avril 2000 : le cœur appartient bien à un enfant de Louis XVI et de Marie-Antoinette. Cependant, est-ce bien, pour autant, celui de Louis XVII ? Car le petit roi a eu un frère aîné, Louis-Joseph (1781-1789) dont on ne possède pas le cœur. Est-il possible que le cœur analysé soit, en réalité, celui du premier dauphin ?
Le cœur du premier dauphin :
Lorsque le dauphin Louis-Joseph décède, le 4 juin 1789, son cœur est mis au Val-de-Grâce. En octobre 1793, le caveau est profané. Le cœur du fils aîné de Louis XVI aurait échappé au saccage : le Sieur Legoy a recueilli un cœur enfermé dans une enveloppe de plomb et de vermeil portant le nom de Louis-Joseph, fils de Louis XVI. Après son décès, le cœur est remis au Sieur Thévenin. Ce dernier transmet ensuite le cœur à Jacques-Denis, baron de Cochin. On perd ensuite toute trace du cœur du premier dauphin, en 1817. Le docteur Servier déclare, en 1888, que « le cœur, remis à la famille royale, en 1817, fut porté à Saint-Denis, sans pompe, mais avec des cérémonies convenables ». Cependant, aucune preuve ne vient confirmer cette version. Saint-Denis renferme aujourd’hui les cœurs de Louis XIII, Louis XIV – qui ont échappé au saccage – ainsi que ceux de Louis XVIII et de Louis XVII (l’enfant du Temple). Mais aucune trace de celui de Louis-Joseph. On avance également que le cœur du dauphin Louis-Joseph aurait rejoint celui de l’enfant du Temple chez Monseigneur de Quélen. Si le cœur a bien été déposé à l’archevêché de Paris, il a certainement été détruit lors des « Trois Glorieuses », en 1830. Or, si le cœur du premier dauphin était là-bas, ainsi que le cœur de l’enfant mort au Temple, les deux cœurs n’auraient-ils pas pu être confondus ?
Si Philippe-Gabriel Pelletan retrouva un cœur parmi les débris, plusieurs jours après le saccage de l’archevêché, il se pourrait que Pierre Pelletan (fils légitime de Philippe Pelletan) soit arrivé sur les lieux le jour du sac et qu’il ait sauvé le cœur du premier dauphin Louis-Joseph. Si, officiellement, on perd la trace du cœur du premier dauphin en 1817, une lettre du confesseur du comte de Chambord, le père Bol, jette à nouveau le trouble : en 1885, il note que le comte de Chambord – décédé deux ans plus tôt – a reçu le cœur de Louis XVII (donc avant 1883) ! Or, le cœur conservé par Philippe-Gabriel Pelletan est resté à Paris jusqu’en 1885, avant d’être accepté par Don Carlos. Le comte de Chambord avait probablement le cœur conservé par Pierre Pelletan, et Don Carlos celui retrouvé par Philippe-Gabriel Pelletan. Alain Decaux conclue donc : « Que les cœurs des deux frères aient abouti sous le toit du comte de Chambord, voilà un fait désormais difficilement contestable ». Car le deuxième cœur va rejoindre le premier à Frohsdorf ! On peut donc se demander quel cœur a vraiment été analysé en 1999 ? Car s’il s’agit du cœur de Louis-Joseph, rien ne prouve que l’autre – celui de l’enfant du Temple – soit bien celui de son frère cadet Louis XVII…
Le débat autour des deux cœurs :
Si le cœur de Saint-Denis est celui du premier dauphin, on ne peut pas prouver que l’enfant mort au Temple le 8 juin 1795 était Louis XVII. Philippe-Gabriel Pelletan a bien reconnu le cœur conservé par son défunt père, parmi les débris, mais est-ce là une preuve suffisante ? D’ailleurs, Lasne, gardien de l’enfant du Temple, avait affirmé au début du XIXe siècle, qu’il n’avait pas quitté Pelletan des yeux durant l’autopsie et que ce dernier n’avait pas pu subtiliser le cœur de l’enfant ! Le cœur qu’il a donc présenté comme étant celui de Louis XVII serait un faux ! L’argument qui permet d’affirmer que le cœur de Saint-Denis est bien celui de l’enfant mort au Temple, serait le traitement différent des deux cœurs : celui du dauphin Louis-joseph a été rempli d’aromates, entouré de linges, enfermé dans une double enveloppe de vermeil et de plomb. Celui de l’enfant mort au Temple a simplement été plongé dans de l’alcool. C’est à ce processus que l’on a identifié le cœur présent à Saint-Denis, et sur lequel les analyses ADN ont été faites, comme étant celui de Louis XVII. Cependant, malgré les différences dans le procédé d’embaumement des cœurs princiers, qui n’est en rien similaire au traitement du cœur de l’enfant mort au Temple, on ne peut affirmer que celui du dauphin Louis-Joseph ait eu droit au traitement traditionnel car aucune source ne fait mention de son embaumement. Pour exemple, le cœur d’Henri IV n’a pas bénéficié non plus de la technique d’embaumement réservée aux cœurs royaux : il fut simplement trempé dans de l’esprit de vin pour le nettoyer puis entouré de plantes aromatiques. Le cœur du premier dauphin a donc pu simplement être lavé, desséché et placé dans un bocal (d’après Jacques Marette, « Mémoires d’un embaumeur »).
Conclusion :
S’il est admis que le squelette découvert au cimetière de Sainte-Marguerite est celui d’un individu d’environ seize ans, certains demandent toujours une nouvelle exhumation du squelette pour pouvoir pratiquer des analyses dessus. En effet, certaines personnes – dont les partisans de Naundorff – pensent qu’il s’agit du squelette de l’enfant mort au Temple – qu’on aurait fait passer pour Louis XVII – à cause d’un détail troublant : le crâne de ce squelette est scié de la même manière et au même endroit que le fut l’enfant du Temple (d’après le rapport d’autopsie).
On leur refuse cette nouvelle exhumation sous prétexte que le mystère de Louis XVII est résolu. Ce que veulent les demandeurs de cette exhumation, c’est simplement faire des tests ADN et les comparer avec ceux de la famille royale et celui du cœur reposant à Saint-Denis. Si on est sûr que le cœur de Saint-Denis est bien celui de Louis XVII et que ce squelette n’est pas celui de l’enfant mort au Temple, pourquoi être aussi réticent à cette exhumation ? Car si ce squelette (d’un garçon d’environ seize ans) a le même ADN que le cœur exposé à Saint-Denis, et que son ADN est différent de celui des Bourbon, cela voudrait dire que le cœur n’appartient pas à Louis XVII… D’après Georges Bordonove il est fort possible que ce squelette soit celui de l’enfant autopsié le 9 juin 1795 car « la longueur des membres, le faible développement du thorax, les caries osseuses et le crâne scié au dessus des orbites correspondaient assez bien au malade aperçu par Barras et Harmand de la Meuse, et le cadavre autopsié par Pelletan »…
Officiellement, le cœur qui repose à Saint-Denis est celui de Louis XVII. Cependant, tant que le cœur du dauphin Louis-Joseph (ou un document attestant que ce cœur a été embaumé selon la technique appliquée aux cœurs royaux,) ne sera pas retrouvé, l’énigme de Louis XVII divisera les historiens. Certains, à l’exemple de Georges Bordonove, ont avancé l’hypothèse selon laquelle Louis XVII serait décédé en janvier 1794 et substitué à un autre enfant à cause de toutes les zones d’ombre autour de sa mort. D’autres, comme Philippe Delorme, s’en sont remis au verdict de la science et de la logique qui confirmeraient que le cœur qui est à Saint-Denis appartient bien au petit Louis XVII.
Bibliographie :
– Louis XVII avait-il deux coeurs ? de Philippe A. Boiry
– Louis XVII et l’énigme du Temple de Georges Bordonove
– Louis XVII de André Castelot
– Les princes du malheur, le destin tragique des enfants de Louis XVI et Marie-Antoinette de Philippe Delorme
– Louis XVII, la vérité de Philippe Delorme
– La double mort de Louis XVII de Louis Hastier