Enigmes de l'Histoire

Jeanne d’Arc était-elle de sang royal ?

Après la mort de Jeanne d’Arc, le 30 mai 1431, au moins trois femmes vont prétendre être la Pucelle d’Orléans, entre 1436 et 1460. Si je ne crois pas que l’on ait substitué une autre femme à Jeanne sur le bûcher, certains détails de sa vie sont troublants et j’ai du mal à concevoir qu’elle ne fut qu’une paysanne illettrée. Voici quelques éléments qui jettent un doute sur les modestes origines de la jeune femme.

Que s’est-il passé dans la nuit du 10 novembre 1407 ?

Depuis 1402, la reine Isabeau ne partage plus le lit de son époux, Charles VI. En effet, depuis l’année 1393, le roi de France est victime de crises de folie, lesquelles sont de moins en moins espacées. En sa présence, Charles VI ne reconnaît pas toujours son épouse et la bat régulièrement. Seule sa maîtresse, Odette de Champdivers, parvient à calmer le souverain. La reine se met donc en retrait. Lorsqu’elle est à Paris, la reine séjourne à l’hôtel de Barbette, tandis que le roi réside à l’hôtel Saint-Pol. Entre 1402 et 1406, Isabeau ne passe que six mois à l’hôtel de Barbette, pour de brefs séjours à Paris, durant lesquels Charles VI est souvent victime de crises de folie. Dans ces conditions, comment ne pas mettre en doute la légitimité du futur Charles VII, né en 1403 ? Plus étonnante encore est la naissance du petit Philippe, que la reine met au monde, le 10 novembre 1407, lequel décède « vraisemblablement » le jour de sa naissance. Né quatre ans après le futur Charles VII, à une période où Isabeau ne fréquente plus le lit du roi « Fol », il y a de fortes probabilité pour que cet enfant soit celui du prince Louis, duc d’Orléans, frère cadet de Charles VI. Philippe est enterré de nuit, à la basilique de Saint-Denis, probablement dans le même tombeaux que son frère aîné Charles, le premier fils du couple royal, décédé à l’âge de 3 mois en 1386. On ne peut que le supposer car aucune fondation funéraire ne le confirme. D’autre part, il n’est fait mention nulle part d’une messe dite à la mémoire du petit Philippe. Lorsqu’en 1792, les révolutionnaires pillent Saint-Denis, on n’aurait retrouvé aucune trace de cet enfant dans les procès-verbaux, dressés lors de l’exhumation des cercueils.

Fait troublant : dans son « Histoire de France » de 1763, l’abbé Claude de Villaret, secrétaire et généalogiste des pairs de France, mentionne la naissance d’une fille : « Le dernier enfant de la reine Isabeau fut une fille nommée Jeanne, qui ne vécu qu’un jour ». Comment peut-on substituer, dans une généalogie, un garçon par une fille, et confondre le prénom de « Philippe » avec celui de « Jeanne ». L’année suivante, « Jeanne » redevient « Philippe » dans une nouvelle édition. En 1770, le successeur de l’abbé Claude de Villaret, un dénommé Garnier, change à nouveau l’identité du dernier enfant d’Isabeau, pour le présenter comme étant de sexe féminin, et prénommée Jeanne. Le petit Philippe, dont aucune trace n’a jamais été trouvée, n’aurait-il été qu’un couverture ? La reine Isabeau aurait-elle accouché d’une fille qui  s’accrocha à la vie, et qu’il aurait fallu faire disparaître pour sauver l’honneur de la reine, coupable d’adultère ?

Isabeau de Bavière recevant de Christine de Pizan (détail, miniature du XVe siècle)
Isabeau de Bavière recevant de Christine de Pizan (détail, miniature du XVe siècle)

Doit-on en conclure que Jeanne d’Arc est cet enfant , né en novembre 1407 ? Lors de son procès, Jeanne a déclaré avoir « environ 19 ans », ce qui la fait naître en 1412. Ainsi, sur le témoignage de Jeanne, l’Histoire retient l’année 1412 comme étant celle de sa naissance. Or, plusieurs pistes nous amènent à penser que Jeanne est, en réalité, née en 1407 :

En 1627, Jacques d’Arc souhaite marier sa fille, Jeanne. La jeune femme, se sentant investie d’une mission, refuse cette union. Le futur promis assigne alors Jeanne en justice, s’estimant lésé. Jeanne se rend alors seule au tribunal de Toul (situé à 80 km de chez elle). Or, d’après les archives, les jeunes filles ne peuvent comparaître sans un parent, à moins qu’elles ne soient âgées d’au moins 20 ans. Le comportement de Jeanne tend à prouver qu’elle est donc âgée de 20 ans, et donc née en 1407.

Lors de son procès à Rouen, (qui se tient du 21 février au 23 mai 1431) on reproche d’ailleurs à Jeanne d’avoir été seule à Neufchâteau en 1428 sans la permission de sa famille, alors qu’elle est « dans sa vingtième année » à l’époque. Le 27 février 1431,  Jeanne affirme qu’elle a commencé à entendre des voix depuis l’âge de 13 ans… et que, lors de son voyage à Vaucouleurs en 1428, ses voix la protégeaient depuis 7 ans (13 + 7 = 20).  Jeanne avait donc 20 ans en 1428, ce qui peut la faire naître à la fin de l’année 1407.

Une amie d’enfance de Jeanne, Hauviette de Sienne, née en 1410, déclarera lors du procès de réhabilitation (1455) : « Jeanne était plus âgée que moi de 3 ou 4 ans ». Ce témoignage vient également conforter la thèse d’une naissance en 1407 pour la Pucelle d’Orléans.

Le nom des d’Arc :

Jeanne ne porte pas le nom de famille « d’Arc » de son vivant, dès le moment où elle se met au service de Charles VII. Officiellement fille de Jacques d’Arc et d’Isabelle de Romée, elle a toujours été appelée « Jeanne la Pucelle », « seul nom sous lequel ses contemporains l’aient connue » d’après l’historienne Régine Pernoud.

Elle est aussi connue sous le nom de « Jeanne, Pucelle d’Orléans », bien qu’elle ne soit pas née à Orléans. On la connaît également sous ce nom avant qu’elle ne délivre la ville d’Orléans, en 1429. En effet, selon le cardinal de Foix, Jeanne porte le nom de « Pucelle d’Orléans » bien avant de quitter Domrémy pour aller à la rencontre de Charles VII. Dans ce cas, pourquoi attribuer à Jeanne le nom « d’Orléans » ? Doit-on y voir une preuve de filiation avec le défunt Louis d’Orléans ? Ce dernier a d’ailleurs eu un enfant illégitime, Jean d’Orléans (1402-1468), élevé auprès de son cousin, le futur Charles VII. Cet enfant de Louis d’Orléans est connu sous le nom de « Bâtard d’Orléans », référence qui s’attache, non pas à la ville, mais bien à son père. Aussi, ce fait a de quoi jeter le trouble sur l’origine du nom de « Pucelle d’Orléans » porté par Jeanne.

"Jeanne d'Arc à l'étendard" (Enluminure, vers 1450)
« Jeanne d’Arc à l’étendard » (Enluminure, vers 1450)

Des signes reflétant une haute naissance :

Si Jeanne n’est pas la fille de Jacques d’Arc, que faisait-elle chez lui ? L’une des marraines de l’enfant, Jeanne de Recey , est l’épouse du défunt Nicolas d’Arc, le frère de Jacques. Or, Jeanne de Recey est dame d’honneur d’Isabeau de Bavière ! On peut imaginer qu’à la mort de Louis d’Orléans (assassiné le 23 novembre 1407), la reine décide de confier l’enfant, né treize jours plus tôt (qui, pour le coup, n’est pas mort), à la famille de sa dame d’honneur. L’enfant aurait été emmené par la veuve de Nicolas d’Arc au début de l’année 1408. Des cavaliers portant les armes de la Maison d’Orléans auraient d’ailleurs été vus, par nuit, à Domrémy… Cela expliquerait le peu d’influence que les parents officiels de Jeanne ont pu avoir sur « leur fille ». On connaît également à Jeanne quatre parrain et six marraines (dont Jeanne de Recey). N’est-ce pas un nombre un peu trop élevé pour une fille de la campagne ?

Pour rejoindre Charles VII à Chinon, Jeanne d’Arc doit parcourir des centaines de kilomètres à cheval. Or, il paraît est impossible qu’elle ait pu accomplir ce périple sans s’être, auparavant, entraînée des années pour pouvoir monter à cheval, et chevaucher sur une très longue distance.

Officiellement, Jeanne d’Arc n’a pas laissé à la postérité de lettres écrites de sa main et n’en a signé que trois. A chaque fois, elle n’indique que son prénom « Jehanne ». Doit-on en conclure qu’elle était illettrée, à l’exemple de nombreux paysans ? Ce serait oublier que les rois de France ne s’embarrassent pas à écrire leurs courriers et qu’ils se contentent, le plus souvent, de les signer…. de leur prénom seul ! Il en va de même pour les membres de la famille royale, lorsqu’ils sont amenés à signer un acte de mariage, par exemple.

Si Jeanne d’Arc n’était qu’une paysanne illettrée et sans importance, comme expliquer que Robert de Beaudricourt, chambellan du roi, et Yolande d’Aragon, belle-mère de Charles VII, lui aient rapidement fait confiance ?

 Jeanne d'Arc (unique représentation faite de son vivant), par Clément de Fauquembergue (1429)
Jeanne d’Arc (unique représentation faite de son vivant), par Clément de Fauquembergue (1429)

Des honneurs royaux :

Que penser des entrevus secrètes qu’accorde Charles VII à Jeanne d’Arc ? Encore aujourd’hui, on ignore la teneur de leurs conversations. Si Jeanne n’avait été qu’une paysanne, le roi, qui ne cessait de craindre pour sa sécurité, n’aurait-il pas demander à de proches conseillers d’assister à ces entrevues ? Beaucoup d’historiens remettent aujourd’hui en cause l’épisode de « la reconnaissance » à Chinon, lorsque Jeanne reconnaît publiquement Charles VII, caché parmi ses gens, sans l’avoir jamais vu par le passé. En réalité, Jeanne et le roi auraient eu un premier entretien, seuls, avant cet évènement. La mise en scène de Chinon n’aurait été qu’un moyen de légitimer la cause défendue par Jeanne d’Arc, aux yeux de toute la cour de Charles VII. Dès lors, comment croire qu’une simple paysanne se soit pliée à cette mascarade avec tant de talent ? Jeanne était visiblement cultivée et a dû fort bien comprendre les enjeux de cette mise en scène.

En 1428, Jeanne se voit confier l’épée qui aurait appartenue à Louis d’Orléans. Pourquoi donner à la Pucelle une épée ayant appartenue à un membre de la famille royale ? Cela ne suggère-t-il pas que Jeanne est la fille inavouée du duc d’Orléans ?

La bannière de Jeanne est blanche, parsemée de fleurs de Lys d’un côté. Or, la fleur de Lys est réservée aux personnes appartenant à la famille royale. En juin 1429, Jeanne possède ses propres armoiries avec, là encore des fleurs de Lys, ainsi une épée d’argent et une couronne. Un honneur bien grand pour celle que l’on qualifie de bergère.

Charles VII a-t-il abandonner sa demi-sœur ?

Après son couronnement à Reims, le 19 juillet 1429, il est clair que, pour Charles VII, la mission de Jeanne est accomplie. Il souhaite alors qu’elle se retire du monde militaire et, pourquoi pas, qu’elle demeure à la cour. Aurait-il proposé cela à une fille de la campagne ? Jeanne rend alors son armure, sa lance, ainsi que l’épée qui lui avait été confiée (celle du défunt duc d’Orléans). Mais pour autant, Jeanne ne renonce pas à la guerre et presse Charles VII de la laisser participer aux opérations de Compiègne. Elle n’a pourtant plus le moindre appui, pas même celui de Yolande d’Aragon. Agacé par les revendications de Jeanne, le roi aurait fini par céder. Officiellement cependant, Jeanne serait partie contre les ordres de Charles VII. Dès l’instant où Jeanne va contre la volonté du roi, elle trace sa propre route.

On sait que Charles VII ne fera rien pour libérer Jeanne des bourguignons, lorsqu’elle tombe entre leurs mains à Compiègne, en 1430. A-t-il eu peur de se compromettre si la vérité sur la naissance de Jeanne éclatait ? En effet, officiellement les voix auraient confirmé à Jeanne que Charles VII était bien le fils du roi Charles VI, alors que beaucoup en doutaient, compte tenu du comportement d’Isabeau de Bavière. Mais s’il s’avèrerait que Jeanne était bien la fille adultérine de la reine  et de Louis d’Orléans, c’est la légitimité même de Charles VII qui aurait pu être remise en cause, dès l’instant où il était avéré qu’Isabeau avait eu au moins un enfant illégitime.

"Jeanne d'Arc au sacre du roi Charles VII", par Jean-Auguste-Dominique Ingres (1854)
« Jeanne d’Arc au sacre du roi Charles VII », par Jean-Auguste-Dominique Ingres (1854)

Les éléments énoncés ci-dessus tendent à démontrer que Jeanne n’était pas une simple bergère illettrée, comme le veut la légende. Si c’était le cas, elle n’aurait pas pu rassembler autour d’elle tout un peuple et se faire entendre à la cour de France. Certes, elle devait disposer de précieux appui, le premier étant Yolande d’Aragon, belle-mère de Charles VII et celle-ci a très vite compris que la Pucelle pouvait être un atout de taille. Quant à sa royale naissance, je laisse le lecteur se faire sa propre opinion sur la question.

Bibliographie :

Les mystères de Jeanne d’Arc : Pucelle de Domrémy ou princesse d’Orléans ?, par André Cherpillod (Revue Nouvelle école, n°47, 1995)
Jeanne la Pucelle : la légende ou l’histoire  ? , par Marcel Guimard
Jeanne d’Arc : la reconquête de la France, par Régine Pernoud
L’Affaire Jeanne d’Arc, par Roger Senzig