Destins brisés

Claire-Clémence de Maillé, épouse du Grand Condé

Fille d’Urbain de Maillé, marquis de Brézé, et de Nicole du Plessis (sœur cadette du cardinal de Richelieu), Claire Clémence naît le 25 février 1628 au château de Milly, en Maine-et-Loire. Avant elle, ses parents ont eu un fils, Jules Armand, né en 1619. En 1635, la petite fille perd sa mère, complètement abandonnée par son époux qui lui a préféré une certaine Renée Pommier, à qui il a fait plusieurs bâtards. Nicole du Plessis était considérée comme étant atteinte de folie incurable et le marquis de Brézé avait jugé bon de l’enfermer au château de Saumur où elle décédé à l’âge de 45 ans. Après la mort de sa sœur, le cardinal de Richelieu confie la jeune Claire Clémence à la femme de son surintendant, Marie de Bragelongne, épouse du sieur Bouthillier. Ces gens élèvent Claire Clémence comme leur fille mais lui donnent une éducation médiocre, qui ne correspond pas à son rang, et qui ne la prépare nullement à briller en société. Le cardinal de Richelieu veille de loin sur sa nièce, s’inquiète de sa santé, prend régulièrement de ses nouvelles et lui rend visite de temps à autres. Claire Clémence trouve également une confidente en Marie-Madeleine de Vignerot, duchesse d’Aiguillon, sa cousine (fille de la sœur aînée de Richelieu).  

Claire Clémence de Maillé, par Jean-Marie Ribou (vers 1776)
Claire Clémence de Maillé, par Jean-Marie Ribou (vers 1776)
 

En 1640, le prince de Condé, Henri II de Bourbon, (dit Monsieur le Prince) demande la main de la jeune fille pour son fils aîné, le duc d’Enghien (né en 1621). S’étant rebellé contre le pouvoir royal sous la minorité de Louis XIII, Monsieur le Prince espère ainsi rentrer en grâce. Flatté, le cardinal de Richelieu accepte, non sans avoir fait attendre quelque peu sa réponse. Le 9 février 1641, Claire Clémence épouse Louis de Bourbon-Condé et devient princesse de Condé. Très vite, son époux lui bat froid et se montre distant avec elle, au point que l’on doute que le mariage soit consommé. Le duc d’Enghien souffre en réalité de ce mariage arrangé auquel il n’a consenti que pour obéir à son père. Pour cela, il a dû renoncer à celle qu’il aimait, Marthe du Vigean. Malgré les attentions que Claire Clémence a pour son mari, celle-ci ne parvient pas à lui inspirer quelques tendres sentiments. Il n’est pas le seul à se montrer froid avec la jeune fille de 13 ans : Charlotte de Montmorency, mère du duc d’Enghien, n’a jamais pardonné à Richelieu l’exécution de son frère, en 1632. Quant à la duchesse de Longueville, sœur aînée du duc, elle a avec ce dernier une relation complexe et n’admet pas la présence de la jeune Claire Clémence. Seul Monsieur le Prince, qui a tant souhaité ce mariage, fait preuve de bonté et de compassion pour sa jeune belle-fille. A la fin de l’année, Claire Clémence fait une retraite au couvent des Carmélites de Paris pour y achever son éducation tandis que son époux s’en retourne à l’armée.

Le 4 décembre 1642, le cardinal de Richelieu décède, faisant perdre à Claire Clémence son principal appui. Lorsque le testament est ouvert, la jeune fille apprend qu’elle et son frère aîné n’héritent de rien, tandis que ses autres neveux et nièces sont richement pourvus. Les Maillé-Brézé contestent alors le testament devant le Parlement qui leur donne raison : la duchesse d’Aiguillon se voit contrainte de restituer 400.000 livres, ce qui la brouille avec sa jeune cousine. Au sein de la famille des Condé, il est désormais question de l’éventuel renvoi de Claire Clémence et d’un projet de mariage entre le duc d’Enghien et Marthe du Vigean. Alors que la jeune fille craint de voir son union annulée, elle se découvre enceinte.  Le 14 mai, le roi Louis XIII décède. Le 19 du même mois, le duc d’Enghien remporte une grande victoire à la bataille de Rocroi et commence une brillante carrière militaire.

Louis II de Bourbon-Condé, par Robert Nanteuil (1662)
Louis II de Bourbon-Condé, par Robert Nanteuil (1662)

Le 29 juillet 1643, Claire Clémence met au monde un fils, prénommé Henri-Jules et titré duc d’Albret. Cette naissance vient renforcer sa position au sein d’une famille où elle n’est pas désirée. Quant à Marthe de Vigean, elle finit par prendre le voile au Carmélites à Paris, en 1645. Cela n’empêcha nullement le duc d’Enghien de courtiser l’une de ses cousines, la belle Isabelle Angélique de Montmorency-Bouteville, épouse du duc de Châtillon. Le 11 mai 1646, la princesse de Condé perd son frère, Jules Armand de Maillé, devenu Amiral de France et tué en mer à l’âge de 27 ans. Le 26 décembre, c’est Monsieur le Prince qui décède. Avec la disparition de son beau-père, Claire Clémence perd son dernier soutien. Son époux est désormais le chef de la Maison des Condé sous le nom de Louis II et  prend le titre de « Monsieur le Prince » tandis qu’elle même devient « Madame la Princesse ».

Sous la Fronde, les Condé se divisent : au grand dam de leur mère, Mme de Longueville et le prince de Conti (frère cadet de Louis II), passent du côté des Frondeurs. En 1649, contrairement à la promesse de la reine Anne d’Autriche, le duché de Normandie est refusé à Louis II. Le prince de Condé, qui espérait ce titre en récompense de ses services rendus à la couronne, part alors en guerre contre le cardinal de Mazarin. Le 18 janvier 1650, l’époux de Claire Clémence est arrêté avec son frère Conti et son beau-frère, le duc de Longueville.  La princesse de Condé et sa belle-mère sont exilées à Chantilly d’où Charlotte de Montmorency ne cesse d’écrire à la reine pour défendre ses fils tandis que Claire Clémence se consacre à l’éducation de son enfant. Dans le même temps, la princesse de Condé perd son père, qui décède le 13 février. Claire Clémence n’a désormais plus d’autre famille que celle de son époux. Afin de le faire libérer, elle parvient à fuir Chantilly pour Montrond, forteresse appartenant à Louis II. De là, la princesse rassemble ses partisans et soulève toute la noblesse de province. Tenant tête à la reine et à Mazarin, Claire Clémence s’illustre par sa bravoure et son courage, allant jusqu’à se présenter devant le Parlement pour exposer sa requête : la libération de son mari. Devant les protestations générales en faveur de la libération des princes, le cardinal Mazarin n’a d’autre choix que de les relâcher et de quitter Paris en 1651. Le Parlement innocente les princes et Claire Clémence se soumet à Anne d’Autriche, qui lui pardonne son comportement rebelle.

Claire Clémence de Maillé, par Charles Beaubrun XVIIe siècle)
Claire Clémence de Maillé, par Charles Beaubrun (XVIIe siècle)

Si le prince de Condé rend tout d’abord grâce à son épouse pour tous les efforts qu’elle a fournis afin de le faire libérer  – et pour les marques d’affection qu’elle lui témoigne – il ne tarde pas à prendre ombrage des actions de Claire Clémence et du courage qu’elle a montré. Au sein du couple, une tension s’installe d’autant que Louis II décide, à peine libéré, de prendre la tête de la « Fronde des princes » maintenant que Louis XIV a atteint sa majorité (l’âge de 13 ans). Claire Clémence ne comprend pas l’acharnement de son mari qui lui ordonne de ne pas intervenir, les femmes n’ayant pas à se mêler de politique. C’est bien vite oublier tout ce que son épouse a fait pour lui. C’est dans ce climat pesant que la princesse de Condé met au monde un second fils le 20 septembre 1652 : Louis, duc de Bourbon. Malheureusement, le petit prince s’éteindra en avril 1653. Cette année-là, le prince de Condé s’engage au service du roi d’Espagne, Philippe IV. Trahissant une nouvelle fois la France, il se réfugie en Flandres avec Claire Clémence et le petit duc d’Enghien. Le 12 novembre 1656, la princesse de Condé met au monde une fille, Mademoiselle de Bourbon.

Avec la paix des Pyrénées, signée entre l’Espagne et la France en novembre 1659, les Condé peuvent à nouveau réapparaître à la cour, après s’être soumis à Louis XIV, qui  pardonne les actions faites contre le pouvoir royal. Louis II recouvre ainsi  l’ensemble de ses privilèges et de ses possessions. Cependant, son mépris pour son épouse est toujours aussi vif et le prince semble avoir totalement occulté les marques d’amour et de dévouement que Claire Clémence lui a montrées par le passé. Le prince de Condé se sent toujours victime d’un mariage humiliant et le faire ressentir à sa femme, qu’il ignore. En septembre 1660, Claire Clémence perd sa fille, qui n’avait pas reçu de prénom n’ayant été qu’ondoyée à la naissance (le baptême se fait généralement vers l’âge de 6 ans). Née à une période où ses parents sont séparés, l’enfant, qui ne quittait pas la princesse de Condé « ne semblait née que pour être associée à la malheureuse fortune de sa mère ». Face à cette perte, Madame la Princesse trouve du réconfort auprès de la nouvelle reine, la jeune Marie-Thérèse d’Autriche, qu’elle accompagne dans ses dévotions. En décembre 1663, le duc d’Enghien, qui a alors 20 ans,  épouse  la princesse Anne de Bavière. Claire Clémence n’a pas été consultée dans le choix de la future femme de son fils et aurait préféré une union avec Elisabeth Marguerite d’Orléans, fille de Monsieur, ce qui aurait rapproché les Condé et les Orléans. Néanmoins, Claire Clémence accueille chaleureusement sa bru, une jeune fille de 15 ans pieuse et effacée. 

Louis II de Bourbon-Condé et son fils, le duc d'Enghien, par Claude Lefebvre (XVIIe siècle)
Louis II de Bourbon-Condé et son fils, le duc d’Enghien, par Claude Lefebvre (XVIIe siècle)

En 1671, alors que les époux s’évitent le plus possible, Claire Clémence est accidentellement blessée à l’arme blanche dans sa chambre, par l’un de ses valets, Nicolas Duval. Dès qu’il apprend la nouvelle, Louis II accuse son épouse d’adultère, Duval n’ayant rien à faire dans la chambre de sa femme ! On prétend alors que la blessure à l’arme blanche  a pu être la conséquence d’une querelle amoureuse. Malgré le fait que Claire Clémence nie avoir été infidèle à son mari, le prince de Condé obtient du roi qu’elle  soit enfermée à Châteauroux, à cause du scandale provoqué et des moqueries que cela engendre à son égard. A la cour, personne ne dupe : le prince saisit là l’occasion de se séparer d’une épouse qu’il n’a jamais aimée, malgré son dévouement pour lui. Aux yeux de Louis II de Bourbon-Condé, Claire Clémence reste la nièce de Richelieu et son mariage est une mésalliance qui a contrarié ses ambitions et ses amours de jeunesse. Cependant,  Louis XIV accède à la demande son cousin, qui menace de ne plus paraître à la cour. Prudent, le monarque préfère savoir Condé auprès de lui, que sur ses terres d’où il pourrait à nouveau comploter. Ainsi,  « le roi exile Mme la Princesse de Condé à Châteauroux, en Berry, pour le reste de sa vie, de quoi elle est inconsolable »

A mesure que le temps passe, Monsieur le Prince avance que la détention de Claire Clémence doit être maintenue, à cause de la folie dont est victime son épouse. En effet sa mère, Nicole du Plessis, souffrait de troubles d’esprit incurables (conséquences, disait-on, des infidélités de son époux) et était morte au cours d’une crise de démence. Le cardinal de Richelieu aurait lui-même été en proie à de rares crises nerveuses. Sans doute cette « tare » répugne-t-elle le prince de Condé d’autant qu’il apparait bientôt que son fils Henri-Jules en a hérité. Le duc de Saint-Simon rapporte à son sujet :  » On disait tout bas qu’il y avait des temps où tantôt il se croyait chien, tantôt quelque autre bête, dont il imitait les façons ». D’un caractère emporté, le Henri-Jules est qualifié par Saint-Simon de « fils dénaturé, cruel père, mari terrible, maître détestable », qui, dans des moments d’égarement, peut avoir des colères proches de l’hystérie. Il se murmure bientôt que sa jeune épouse subit des coups, lors de ses crises de démence et on surnomme bientôt le duc d’Enghien « Condé le Fol ». 

Madame La Princesse, par Charles Beaubrun (XVIIe siècle)
Madame La Princesse, par Charles Beaubrun (XVIIe siècle)

Les contemporains de Claire-Clémence de Maillé ont avancé que sa folie aurait pu être provoquée par ses déboires conjugaux, qui lui auraient « affaibli l’esprit ». Louis-Joseph de Bourbon-Condé (1736-1818), descendant du prince et de Claire-Clémence, écriera que le Grand Condé prit prétexte du scandale de 1671 pour se défaire de son épouse : « Monsieur le Prince, qui ne put jamais prendre sur lui d’aimer sa femme, crut trouver dans ce temps une occasion favorable de se débarrasser d’elle, projet qu’il nourrissait depuis longtemps ».  La duchesse de Montpensier, cousine de Louis XIV et du prince de Condé, témoigne de la détention de Claire-Clémence à Châteauroux, en 1677 :  » Elle  y a été longtemps en prison.  A cette heure, on dit qu’elle se promène, mais elle est comme gardée, avec peu de gens ». Il est possible que, psychologiquement fragile, l’état de la princesse se soit justement dégradé à cause de son isolement :  « Cet exil perpétuel, la séquestration, la mort civil, c’était trop. […] Son esprit s’était dérangé dans la solitude »

Le 11 décembre 1686, Louis II de Bourbon-Condé décède. Pour respecter les vœux de son père, le duc d’Enghien, nouveau prince de Condé, maintient sa mère enfermée. Claire Clémence n’apprendra jamais la mort de son époux.  A la cour, on s’indigne du comportement d’Henri-Jules. La duchesse de Montpensier rapporte : « On blâma fort M. le duc de traiter ainsi sa mère ». Il faut dire que Madame la Princesse et son fils ne s’étaient pas quittés en bons termes, celle-ci ayant été obligée de lui céder toute sa fortune avant de partir en exil. L’épouse du Grand Condé s’éteint à Châteauroux le 16 avril 1694 à l’âge de 66 ans, après vingt-quatre années de détention. Déjà oubliée de la cour, la princesse n’aura pas droit à une oraison funèbre. Elle sera inhumée dans la chapelle Saint-Sébastien après avoir connue un destin semblable à celui de sa mère.

Claire Clémence de Maillé, âgée (anonyme, XVIIe siècle)
Claire Clémence de Maillé, âgée (anonyme, XVIIe siècle)

A la fin du XVIIIe siècle, Louis-Joseph de Bourbon-Condé tentera de justifier le comportement cruel de son ancêtre vis-à-vis de son épouse : « Il est impossible, en lisant l’histoire du Grand Condé, de ne pas s’affliger du peu de considération qu’il eut toute sa vie pour elle malgré tout ce qu’elle avait fait pour lui. Mais les grands hommes seraient au dessus de l’humanité s’ils étaient exempts de ses faiblesses ». Pour la postérité, Claire Clémence de Maillé restera celle qui a fait entrer la folie dans la Maison des Condé, laquelle pourrait être le résultat de trop nombreuses unions entre membres d’une même famille. 

Bibliographie :

Les princes de Condé : rebelles, courtisans et mécènes dans la France du Grand Siècle par Katia Beguin
Mémoires de la Grande Mademoiselle par Anne Marie d’Orléans, duchesse de Montpensier
– Mémoires de Saint-Simon par Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon
La transparence de l’aube par Jean-Christian Petifils 

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