Un Tableau, une Histoire

Gabrielle d’Estrées au bain

Contrairement à ce qui est parfois avancé, ce tableau ne représente ni Diane de Poitiers, favorite de Henri II, ni Marie Touchet, discrète maîtresse de Charles IX. Il s’agit bien là de Gabrielle d’Estrées « au bain ». En effet sous la Renaissance, peu de personnes se lavent car on pense que l’eau véhicule des maladies. Si Diane de Poitiers eut très longtemps un corps de jeune femme, c’est principalement parce que la duchesse de Valentinois se baignait régulièrement. La belle Gabrielle, grand amour d’Henri IV, a recours à l’eau pour conserver un superbe corps. Joli contraste avec son amant ! En effet, au XVIe siècle se baigner nécessite une journée de repos, dans une robe de chambre chaude, avec des précautions : si on consent à plonger le corps dans l’eau, c’est toujours couvert d’un vêtement (cet usage perdure encore au siècle suivant).

Etre propre du temps de notre Gabrielle, c’est changer de chemise tous les jours, et se mouiller le visage ainsi que les mains. On ne se baigne vraiment qu’en cas de dernier recours, lors de certaines maladies. Autant Gabrielle d’Estrées va à l’encontre de la « règle » de l’époque, autant Henri IV la respecte ! Le Vert Galant est non seulement sale sous sa chemise (comme beaucoup de personnes) mais, pour masquer l’odeur de bouc et d’ail qu’il dégage, le roi use de senteurs dont il se parfume abondamment. Ces parfums, mêlés à son odeur « naturelle », sont, au final, une horreur pour le nez. Face à lui, nous avons une Gabrielle d’Estrées toute fraîche, révélant à son royal amant un corps propre, à peine parfumé. On imagine sans mal les pensées de la duchesse de Beaufort, quand elle doit partager le lit d’un homme qui dégage une odeur nauséabonde !

Gabrielle d’Estrées « au bain », par l’Ecole de Fontainebleau (XVIe siècle)
Gabrielle d’Estrées « au bain », par l’Ecole de Fontainebleau (XVIe siècle)

Nous avons de Gabrielle d’Estrées trois portraits anonymes (attribués à l’Ecole de Fontainebleau) sur lesquels la favorite d’Henri IV figure « au bain ». Sur le premier (ci-dessus), elle est avec sa sœur cadette, Julienne-Hyppolite d’Estrées, duchesse de Villars (v.1580-1649). Les deux jeunes femmes ne portent pas de vêtement, mais la baignoire est cependant recouverte d’un drap, qui a pour fonction d’adoucir le contact du corps avec l’eau.  Dans la baignoire, les deux sœurs abordent une position assez peu courante : Gabrielle tient une bague, symbolisant le « couple » qu’elle forme depuis peu avec Henri IV. Julienne-Hyppolite pose son doigt sur la pointe du sein de sa sœur. Cela souligne le fait que Gabrielle est alors enceinte de son royal amant, et que l’enfant grandit en son sein.  A l’arrière plan, une dame est en train de coudre : il s’agit probablement de vêtements destinés à l’enfant à naître. 

Gabrielle d’Estrées et la duchesse de Villars, par l’Ecole de Fontainebleau (XVIe siècle)
Gabrielle d’Estrées et la duchesse de Villars, par l’Ecole de Fontainebleau (XVIe siècle)

Sur le second portrait, les deux sœurs sont toujours au bain mais la duchesse de Villars ne touche plus Gabrielle. A l’arrière plan, placée entre les deux jeunes femmes, une nourrice allaite un bébé : Gabrielle a mis au monde un premier enfant, César de Bourbon-Vendôme (né en 1594). Au XVIe siècle, les femmes issues de la noblesse ne donnent pas le sein à leur(s) enfant(s) et ont systématiquement recours à une nourrice. Le collier de perles que porte Gabrielle d’Estrées est un présent du roi, pour la remercier de lui avoir donné un fils. 

Gabrielle d'Estrées "au bain" et ses enfants, par l'Ecole de Fontainebleau (XVIe siècle)
Gabrielle d’Estrées « au bain » et ses enfants, par l’Ecole de Fontainebleau (XVIe siècle)

Le troisième portrait de Gabrielle « au bain » met en scène la duchesse de Beaufort, seule dans sa baignoire, un peu plus âgée mais toujours aussi belle, de peau très blanche, portant les mêmes boucles d’oreilles que sur les tableaux précédents, ainsi qu’un collier et des bracelets de perles. Juste derrière elle, nous remarquons son fils aîné, César de Bourbon-Vendôme et, dans les bras de la nourrice, le petit Alexandre, a qui Gabrielle a donné naissance en 1598. Si le collier porté par la duchesse de Beaufort sur le deuxième tableau la récompensait pour la naissance du petit César, les bracelets sont sans doute un nouveau présent d’Henri IV, pour célébrer l’arrivée d’un deuxième enfant mâle. Les perles, associés aux fleurs, renvoient également à la déesse de la beauté, Vénus, à qui Gabrielle d’Estrées est ici comparée. Les trois tableaux célèbrent ainsi la fécondité et la grâce de celle que l’on surnomme « la presque reine »

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