Un Tableau, une Histoire

La comtesse d’Artois et ses enfants

En 1783, le peintre Charles Leclercq (1753-1821) réalise un tableau de la famille du comte d’Artois, frère de Louis XVI et futur Charles X.  Sous le règne de Louis XVI, la mode est aux portraits de famille, mettant en scène la mère et ses enfants. A travers ces représentations, les peintres mettent en avant les sentiments familiaux, à une époque où l’on commence à accorder plus d’attention aux enfants dès leur plus jeune âge, en donnant à leurs modèles des allures de « poupées », dans un intérieur de fantaisie (fleurs, animal de compagnie…). 

La comtesse d'Artois et ses enfants, par Charles Leclercq (1783)
La comtesse d’Artois et ses enfants, par Charles Leclercq (1783)

C’est la reine Marie-Antoinette qui, très proche de ses enfants, lance la mode de ces portraits de famille, où les sentiments sont parfois idéalisés. C’est le cas pour la comtesse d’Artois, née Marie-Thérèse de Savoie. Sur le tableau de Charles Leclercq,  la comtesse d’Artois est représentée, au centre du tableau, en mère douce et aimante alors qu’elle  n’a jamais vraiment eu d’affection pour ses enfants. Sur ses genoux aurait dû figurer sa deuxième fille, Mademoiselle d’Angoulême née en janvier 1783, mais celle-ci décède six mois plus tard.  Dans ses bras, Marie-Thérèse soulève son second fils, le petit Charles-Ferdinand, duc de Berry, né en 1778. C’est à cette époque un enfant joyeux et plein de vie. Accoudé au sofa, nous avons le premier-né du couple d’Artois : Louis-Antoine, duc d’Angoulême. Né en 1775, sa naissance fut très acclamée. En effet, il est le premier enfant royal de sa génération. Son arrivée réjouit surtout son père, le comte d’Artois, fier d’avoir eu un héritier avant son frère Louis XVI, marié depuis cinq ans à Marie-Antoinette, alors que lui n’a épousé Marie-Thérèse de Savoie qu’en novembre 1773. En bas au tableau, à droite, le peintre a représenté le chien de la famille, la mode étant d’associer l’animal de compagnie à l’image chaleureuse de la famille. 

Le chien de la famille d'Artois (détail du tableau de Leclercq)
Le chien de la famille d’Artois (détail du tableau de Leclercq)

La comtesse tient la main de sa fille aînée – et depuis peu fille unique – Sophie, dite « Mademoiselle ». Celle-ci est née en 1776, 364 jours après Louis-Antoine, signe évident de la fécondité importante de Marie-Thérèse de Savoie. Curieusement, sur le tableau de Charles Leclercq, Sophie ressemble fort à sa cousine, Madame Royale, fille de Louis XVI, peinte par Adolphe-Ulrich Wertmüller en 1785 : les deux princesses ont un visage angélique, portent une jolie robe de mousseline et tiennent des fleurs (symbole de pureté, lié à leur jeune âge). La main bienveillante de leur mère n’est jamais très loin. 

Madame Royale (par Adolphe-Ulrich Wertmüller) et Sophie d'Artois (par Charles Leclercq)
Madame Royale (par Adolphe-Ulrich Wertmüller) et Sophie d’Artois (par Charles Leclercq)

La famille du comte d’Artois apparaît ici dans un cadre bourgeois et chaleureux : celui de la famille soudée. Pourtant la réalité est toute autre : lors du décès de la petite Mademoiselle d’Angoulême, à l’âge de six mois en 1783, la comtesse ne verse pas une larme alors que la reine Marie-Antoinette se montrera fort attristée de la perte de sa fille Sophie-Béatrice, morte au berceau en 1787. Cette année-là, le peintre Elisabeth Vigée-Lebrun achève un tableau où la reine est également entourée de ses enfants

Assez étrangement, tous les personnages présents sur ce tableau auront un bien triste destin. La première victime sera la jeune Sophie, qui meurt le 5 décembre 1783, juste après l’achèvement du tableau. Si son père, Charles d’Artois, montre un profond chagrin face à la disparition de sa fille, la comtesse semble  pas affligée de cette perte, comme en témoigne la reine Marie-Antoinette dans une lettre à son frère Joseph II : « Le Comte d’ Artois a été affligé comme il devait l’être de la mort de sa fille et je trouve qu’il a été très bien, et surtout très naturel. Pour la Comtesse d’Artois, qui ne sent rien, elle n’a pas été plus affligée de la mort de sa fille que de toute autre chose. » Voit-on vraiment là la mère aimante représentée par Charles Leclercq ? Cet exemple illustre bien le peu de considération qu’avait Marie-Thérèse de Savoie  pour ses enfants.

Avec la Révolution Française, la famille du comte d’Artois doit s’exiler. Ne s’entendant pas avec son époux, Marie-Thérèse se sépare de lui et meurt en Autriche, oubliée de tous, à l’âge de 49 ans en 1805. En 1820, Charles-Ferdinand est assassiné, laissant une épouse enceinte de deux mois. Enfin le duc d’Angoulême – devenu dauphin en 1824 lorsque son père ceint la couronne – doit renoncer à ses droits au trône de France après l’abdication de Charles X, en 1830. Entre l’abdication de son père et sa renonciation, Louis-Antoine fut l’éphémère Louis XIX, roi de quelques heures. Son union malheureuse avec sa cousine, Madame Royale, fille d’un roi guillotiné, restera stérile. Il s’éteint en exil, dans l’ombre, en 1844.  

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