Histoire des Reines

Jeanne III d’Albret et Antoine de Bourbon : déchirés par une couronne

Qui se souvient encore des parents d’Henri IV avant les conflits religieux ? Si le premier roi de France issu de la branche Bourbon délaissa toujours ses épouses pour des maîtresses, ses parents vécurent une histoire d’amour très forte… qui fut gâchée par une couronne.

Jeanne est née le 16 novembre 1528. Fille unique d’Henri II d’Albret, roi de Navarre, et de Marguerite d’Angoulême, elle est la nièce et la filleule du roi de France François Ier. C’est à elle que doit revenir la couronne de Navarre et cela fait de Jeanne un parti très recherché, malgré la « petitesse » de ce royaume. Le 14 juin 1541, la princesse de Navarre est unie à Guillaume de la Marck, duc de Clèves, un homme que la jeune fille déteste, et bien plus âgé qu’elle.  Au soir de la nuit de noces, la mariée est victime d’une crise de nerfs et le mariage n’est pas consommé… il ne le sera jamais, et en 1545, l’union est déclarée nulle, Jeanne d’Albret s’étant toujours refusée à son mari.

Il est ensuite question d’unir la jeune princesse à l’un des fils de François Ier, Charles d’Angoulême. Hélas, le prince décède prématurément en septembre 1545.  Marguerite d’Angoulême propose au roi de France d’unir sa fille au duc de Bourbon et de Vendôme, Antoine, cousin au 8e degré de François Ier. En effet, celui-ci descend du comte de Clermont, Robert de France, sixième fils de Saint-Louis. Antoine de Bourbon est donc le premier prince du sang à la cour. Le roi décède en 1547 mais son successeur, Henri II, respecte les vœux de son père et donne son accord au mariage du duc de Bourbon avec Jeanne d’Albret. 

Jeanne d'Albret, par Jean Clouet (1538)
Jeanne d’Albret, par Jean Clouet (1538)

Le 20 octobre 1548, Jeanne contracte donc une nouvelle union avec Antoine de Bourbon à Moulins (dans l’Allié). Rapidement, une fort belle entente naît entre les époux. On dit que la princesse est « plus belle qu’une Grâce ». Le roi de France Henri II affirme qu’il n’a jamais vu plus joyeuse mariée que Jeanne. Au lendemain du mariage, Antoine de Bourbon annonce fièrement qu’il a fait « son devoir » par six fois et cela « fort gaiement » : visiblement, les deux jeunes mariés se plaisent. Jeanne aime l’humour et le tempérament gaillard de son époux  ; Antoine adore la gaieté permanente de sa petite femme. Le duc de Bourbon écrit à son épouse : « A côté de vous toutes les autres femmes me paraissent laides et fâcheuses ». Le couple harmonieux donne naissance à six enfants, mais beaucoup seront emportés par des maladies infantiles, à une époque où peu de nouveau-nés parviennent à l’âge adulte :  

– Henri (1551-1553), duc de Beaumont
– Henri (1553-1610) , prince de Navarre puis roi de Navarre sous le nom d’Henri III  et roi de France sous le nom d’Henri IV
– Louis-Charles (1555-1557), comte de Marle
– Madeleine (1556-1556)
– Catherine (1559-1604), épouse Henri II, duc de Lorraine et de Bar, en 1599 (sans postérité)

Louis-Charles de Bourbon, comte de Marle, par François Clouet (XVIe siècle)
Louis-Charles de Bourbon, comte de Marle, par François Clouet (XVIe siècle)

A la naissance du duc de Beaumont, Antoine écrit à son épouse : « mari n’aime jamais tant femme que je vous fais ». Alors que Jeanne éprouve beaucoup de peine au décès de son premier-né, Antoine lui apporte le plus tendre réconfort : « Pour un que Dieu peut nous ôter, il nous en peut donner une douzaine, car nous sommes tous deux jeunes assez pour en avoir beaucoup ». En effet, Jeanne est à nouveau enceinte et le 13 décembre 1553 naît un nouveau « petit fruit » : le futur Henri IV. Le duc de Bourbon fait figure d’époux attentif et aimant, ainsi que de père attentionné envers sa progéniture. 

A la mort de son père, le roi Henri II d’Albret, survenue le 25 mai 1555,  Jeanne d’Albret  devient la reine de Navarre sous le nom de Jeanne III. Elle n’a que 18 ans. La loi salique n’existant pas en Navarre, elle a désormais symboliquement plus de pouvoir que son mari, qui, malgré le fait de devenir roi de Navarre, ne l’est que par son épouse. Les sujets du royaume ne veulent jurer fidélité « qu’à leur vraie et naturelle reine » et considèrent Antoine comme « le seigneur de sa femme »… ce qui irrite beaucoup le duc de Bourbon. 

A partir de ce moment-là, les relations dans le couple se dégradent : Jeanne est vite déçue de la vanité et de l’ambition d’Antoine, qui désire être le seul dépositaire d’une couronne, afin gouverner pleinement. Voir sa femme reine et n’être roi que grâce à elle le rend malade de jalousie. Très vite, Antoine de Bourbon s’installe à Paris et multiplie les passades amoureuses, jusqu’à prendre une maîtresse en titre, la jeune Louise de La Béraudière, dite « la belle Rouet », fille d’honneur de Catherine de Médicis. Bientôt, elle lui donne un fils, Charles de Vendôme. Peut-être Antoine aime-t-il vraiment Louise, mais il est certain que le duc de Bourbon entame cette liaison pour déplaire à Jeanne, la rendre jalouse, lui montrer qu’il n’est pas dépendant d’elle. 

Antoine de Bourbon, par Léonard Limosin (XVIe siècle)
Antoine de Bourbon, par Léonard Limosin (XVIe siècle)

Après la naissance de Catherine en 1559, Jeanne et Antoine ne sont plus que des étrangers l’un pour l’autre. De leur amour, il ne reste que des souvenirs. Désormais ils vont s’affronter  sur le terrain de la religion : tous deux ont d’abord penchés vers le protestantisme. Jeanne abjure le catholicisme en 1560 tandis que son époux change régulièrement d’avis, de convictions. Peut-être est-ce encore pour marquer son indépendance vis-à-vis de son épouse : Antoine  s’affirme finalement catholique. En entre lui et Jeanne débute une guerre pour influencer leurs deux enfants survivants, Henri et Catherine. Antoine de Bourbon vit alors à la cour de France, en sa qualité de premier prince du sang. Il souhaite garder la Navarre catholique et s’oppose aux réformes religieuses que Jeanne veut mettre en place dans son royaume. 

Le duc de Bourbon est nommé lieutenant général du royaume de France, par la régente Catherine de Médicis. Il espère pouvoir jouer un rôle plus important à la cour de France qu’en Navarre. Antoine tente également de faire plier Jeanne et de « la ramener à la raison » en lui demandant de le rejoindre à la cour du jeune Charles IX. Au Louvre, les tensions entre les deux époux sont palpables.

 L’année 1562 marque le début de la première guerre de religion, après le massacre de Wassy, en mars, où de nombreux protestants sont tués par les troupes du duc de Guise. En réponse, le frère cadet d’Antoine de Bourbon, le prince de Condé Louis Ier, devient le chef du parti protestant. Dans ce climat pesant, Jeanne d’Albret choisit de s’installer à Vendôme. Antoine de Bourbon s’insurge contre son épouse lorsqu’il apprend qu’elle n’a rien fait pour empêcher des protestants de saccager la collégiale Saint-Georges, où sont inhumés ses parents et ses aïeuls. Craignant la colère de son époux, Jeanne préfère s’en retourner dans le Béarn, avec la petite Catherine. Quant à Antoine, il redoute que la reine de Navarre ne fasse enlever son fils, Henri, qui est resté auprès de lui. Le jeune prince est donc envoyé à Montargis, auprès de la duchesse de Ferrare, née Renée de France. Fille de Louis XII, cette princesse est à la fois bien vue des catholiques et des protestants. 

Jeanne d'Albret, reine de Navarre, par François Clouet (1570)
Jeanne d’Albret, reine de Navarre, par François Clouet (1570)

En septembre 1562, Antoine de Bourbon  est au siège de Rouen, afin d’y chasser les protestants qui tiennent la ville depuis sept mois. Il y reçoit un coup d’arquebuse, le 16 octobre. Bien qu’il soit en première ligne, ce n’est pas au combat que le duc de Bourbon est blessé… mais en allant satisfaire un besoin naturel contre un rempart de la ville. La blessure ne semble pas grave mais, mal soignée, une septicémie se développe et emporte Antoine de Bourbon le

Voilà comment  l’héritage du royaume de Navarre fit perdre à Jeanne d’Albret le cœur d’Antoine de Bourbon…

Bibliographie : 

Henri IV le passionné, par André Castelot
Henri IV : les dames du Vert Galant, par Michel de Decker 
Jeanne d’Albret : la mère passionnée d’Henri IV, par Françoise Kermina