Histoire des Reines

Claude de France : fille et épouse d’un roi de France

En octobre 1499, Anne de Bretagne – épouse de Louis XII – se trouve à Romorantin, résidence de Louise de Savoie. En effet, suite à une épidémie de peste, la reine, enceinte, a dû fuir Blois. C’est là que, le 13 octobre, elle met au monde une fille, prénommée Claude,  en hommage à Saint Claude de Besançon, que la reine a invoqué tout au long de sa grossesse. Louis XII n’est pas présent lors de naissance de sa fille : il se trouve en Italie afin de conquérir le Milanais. Bien que son premier enfant ne soit pas un garçon, le roi de France accueille joyeusement l’arrivée de Claude, avec ces mots : « C’est un bon espoir d’avoir des fils, depuis qu’on a eu des filles ». Les chroniqueurs rapportent qu’en revenant de la compagne d’Italie, Louis XII présentera sa fille à Louise de Savoie en annonçant : « Voici votre bru, ma chère ». En effet, le roi souhaite rapidement fiancer Claude à son héritier présomptif : son petit cousin né en 1494, François d’Angoulême – fils de Louise de Savoie – qui, en l’absence de dauphin, succéderait à Louis XII.

Anne de Bretagne n’apprécie pas François d’Angoulême, dont la mère considère déjà qu’il est le futur roi de France. La reine préférerait que sa fille épouse Charles de Habsbourg, petit-fils de l’empereur Maximilien. Le 30 avril 1501, en secret de son épouse, Louis XII signe un document favorisant l’union de Claude avec François d’Angoulême. Pourtant, le 22 septembre 1504, le roi accorde la main de sa fille à Charles de Habsbourg, en signant les traités de Blois. A cette occasion, il est confirmé que Claude héritera de la Bretagne. En dépit de cette promesse de mariage, Louis XII fait bientôt volte-face en donnant à nouveau sa fille à François d’Angoulême : en mai 1505, le testament du roi indique que Claude devra « faire sa demeure en notre royaume, sans en partir jusqu’à ce que le mariage d’elle et de notre cher et aimé neveu, duc de Valois, comte d’Angoulême, soit fait et consommé ». Si Anne de Bretagne ne décolère pas, elle ne peut que se soumettre face à la décision du roi. Les fiançailles de Claude et de François d’Angoulême sont célébrées en mai 1506. Claude n’est encore qu’une enfant et on craint souvent pour sa vie : d’une santé fragile, elle est régulièrement malade et sera souvent victime de malaises au cours de sa vie.

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Anne de Bretagne et sa fille, Claude de France (1503)

La petite princesse est choyée par ses parents, comme en témoigne une lettre d’Anne de Bretagne à sa fille : « Je  finirai par me trouver bonne mère car vous m’y obligez de plus en plus, vu les gracieuses lettres que vous m’écrivez ». Claude reçoit une éducation culturelle et religieuse poussée, destinée à lui permettre de tenir son rôle de future reine. Elle prend souvent part à la chasse, aux côtés de Louis XII. Mais si la princesse est cultivée, les témoignages sur son aspect physique ne sont pas flatteurs : elle a hérité de la boiterie de sa mère, qui s’accentue avec le temps,  et est atteinte d’un strabisme… au grand désespoir de Louise de Savoie qui se désole que la beauté de Claude ne puisse rivaliser avec celle de son fils.

En 1508, François d’Angoulême s’installe à la cour, à Blois, en tant que dauphin. En effet, Anne de Bretagne ne parvient pas à donner un héritier à Louis XII : entre les fausses couches et la naissance de fils mort-nés, seule la petite Renée, née en 1510, survivra. Epuisée par ses multiples grossesses – et sans doute atteinte de la gravelle – la reine décède le 9 janvier 1514. Jusqu’à sa mort, elle s’était opposée au mariage de Claude avec le comte d’Angoulême. Le 18 mai suivant, la fille aînée de Louis XII épouse l’héritier du trône. En raison de la disparition récente d’Anne de Bretagne, le mariage est célébré dans l’intimité. François d’Angoulême n’a épousé la fille de Louis XII que pour sa dot, confiant à sa sœur Marguerite : « Rien en sa personne ne me séduit. Pourtant je la veux […] Il y va du règlement de l’affaire de Bretagne. » A la mort de sa mère, Claude a effectivement hérité du duché de Bretagne. Ayant à cœur de plaire à son époux, elle accepte de lui accorder l’usufruit de la Bretagne, mais refusera toujours que celle-ci soit rattachée à la couronne de France, tant qu’elle est en vie.

Le 9 octobre 1514, Louis XII se remarie avec la princesse d’Angleterre Mary Tudor, n’ayant pas renoncé à l’espoir d’avoir un fils. Avec la nouvelle reine, arrive en France la jeune Anne Boleyn, qui s’attire la sympathie de Claude grâce à sa répartie. Le 1er janvier 1515, le roi Louis XII meurt, usé par des hémorragies intestinales et des crises de goutte. Avec le décès de son père, Claude devient reine de France mais voit disparaître son protecteur : à la cour, elle ne peut pas compter sur le soutien de son époux ou de sa belle-mère, qui ne l’apprécient pas.

François Ier jeune par Jean Clouet (vers 1515) et Claude de France par Corneille de Lyon (posthume, vers 1535)

Des bruits courent selon lesquels François Ier souhaite répudier Claude pour épouser la jeune veuve du défunt roi. Louise de Savoie intervient, rappelant à son fils qu’en renvoyant sa femme, il perdrait la Bretagne. Mary Tudor s’en retourne finalement en Angleterre. Dès qu’il accède au pouvoir, François Ier couvre sa mère et sa sœur de faveurs, dont ne bénéficie pas la nouvelle reine. Malgré ses connaissances, acquises auprès de son père, Claude est reléguée dans l’ombre. Dès les campagnes italiennes de François Ier, en 1515, la régence n’est pas confiée à la reine mais à Louise de Savoie, que toute la cour appelle « Madame ». Claude n’a pas la force de caractère d’Anne de Bretagne pour s’imposer en politique et son seul rôle est de donner un héritier à la nouvelle dynastie, fonction qu’elle remplie en mettant au monde sept enfants :

– Louise (1515-1518)
– Charlotte (1516-1524)
– François (1518-1536), dauphin de France, duc de Bretagne (sans alliance)
– Henri II (1519-1559), duc d’Orléans, qui épouse Catherine de Médicis en 1533
– Madeleine (1520-1537), qui épouse Jacques V d’Ecosse en 1537
– Charles (1522-1545), duc d’Angoulême (sans alliance)
– Marguerite (1523-1574), duchesse de Berry, qui épouse Emmanuel-Philibert de Savoie en 1559

La reine enchaîne les grossesses à un rythme soutenu, ce qui sert d’excuse à Louise de Savoie pour tenir sa belle-fille à l’écart de la vie politique. Claude n’a même pas la satisfaction de pouvoir gérer l’éducation de ses enfants, confiée à la mère du roi, ainsi qu’à sa sœur, Marguerite d’Angoulême, régulièrement choisie pour être la marraine des enfants royaux. Ceux-ci résident principalement à Amboise, tandis que Claude passe beaucoup de temps au château de Blois, dont elle supervise les nouveaux travaux.

La reine a l’estime et le respect de son époux mais pas le cœur : grand séducteur, François Ier collectionne les maîtresses, avec lesquelles Claude ne peut rivaliser. Si la reine souffre des infidélités de François Ier, elle n’en laisse rien paraître, résignée, se réfugiant dans la religion. La plupart du temps, le roi évite d’imposer ses maîtresses à son épouse. Il fera une exception avec Françoise de Foix, comtesse de Châteaubriant, première dame d’honneur de Claude. Un contemporain écrit au sujet de la reine : « Elle est de petite taille, laide et boitant beaucoup des deux hanches ». Si elle ne possède pas la beauté, la jeune reine a d’autres qualités : d’une grande bonté, elle est d’un tempérament doux, vertueux, et reste digne devant les humiliations que lui fait endurer son époux. Ses qualités lui attirent l’admiration et l’amour du peuple. Claude prend également en charge sa jeune sœur, Renée, élevée comme une fille de France. 

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Claude de France entourée de ses filles et d’Eléonore de Habsbourg (Livre d’heures de Catherine de Médicis, vers 1573)

A cause des guerres et de ses grossesses, le sacre de Claude n’a lieu que le 10 mai 1517. S’en suit un « tour de France » ayant pour but de montrer les souverains au peuple, un moyen pour le roi d’affirmer son pouvoir. François Ier aime que les villes visitées se mettent en frais pour honorer leur souverain. A l’inverse, Claude se montre plus charitable, en restituant des cadeaux, ou en ordonnant de limiter les dépenses.

Si la reine a été écartée des affaires politiques, elle s’efforcera toujours des défendre les habitants de son duché, dont elle a cédé l’usufruit à François Ier. Jusqu’au bout, le roi ne cessera de lui demander la Bretagne, mais Claude est bien décidée à maintenir ses droits sur le duché qu’elle tient de sa mère. Dans son testament, elle fera du dauphin François son héritier.

Epuisée par ses maternités rapprochées, ainsi que par de multiples voyages imposés par le roi et Louise de Savoie, Claude s’affaiblie après son dernier accouchement. S’ennuyant auprès  d’une épouse malade, François Ier la visite peu, préférant la compagnie de sa favorite, la comtesse de Châteaubriant. Il se murmure que le roi aurait transmis à la reine la syphilis, qu’il  a contractée vers 1520. Il semblerait également que Claude soit atteinte de la tuberculose. En août 1523, le roi repart en campagne, confiant, une fois de plus, la régence du royaume à Louise de Savoie. Goûtant d’avantage la dévotion que la politique, Claude n’a pas protesté et se retire à Blois. Lorsque François Ier revient à la fin de l’année, son épouse n’est déjà plus que l’ombre d’elle-même. Comprenant qu’elle ne se remettra pas de sa maladie, le roi la supplie, à nouveau, de lui céder la Bretagne alors que l’entourage de Claude l’exhorte de ne pas se laisser dépouiller de ses droits. La reine, d’ordinaire si soumise à son époux, tient  bon.

Lorsqu’elle expire le 20 juillet 1524, à l’âge de 24 ans, Claude est entourée de ses enfants, mais pas de François Ier, parti combattre le Connétable de Bourbon. Averti de l’état désespéré de son épouse, le roi aurait dit : « Si je pensais la racheter pour ma vie, je la lui baillerais de bon cœur. Et je n’eusse jamais pensé que le lien du mariage conjoint de Dieu fût si dur et difficile à rompre. » Cependant, il ne fait pas demi-tour pour Blois, demandant à sa mère et à sa sœur de s’y rendre : elles n’arriveront qu’après la mort de Claude. Le corps de la reine est d’abord déposé dans la chapelle du château de Blois, avant d’être transféré en novembre 1526 à la basilique de Saint-Denis, sans la présence de François Ier.  Claude laisse d’elle le souvenir d’une reine « bonne et très charitable, fort douce à tout le monde qui ne fit déplaisir ni mal à aucun de sa cour ni de son royaume ».

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Priant de la reine Claude à Saint-Denis, par Pierre Bontemps

A la mort de Claude, le duché de Bretagne revient à son fils aîné, comme souhaité par la défunte reine. Cependant, le dauphin François décède sans descendance en 1536. Le duché de Bretagne échoie alors à son frère cadet, le futur Henri II. En 1547, à la mort de François Ier, la Bretagne est définitivement rattachée au domaine royal.

Le souvenir de la « Bonne reine » a traversé le temps grâce à une prune de couleur verte : en effet, Claude a toujours aimé et protégé les vergers de Blois, emportant leurs fruits lors de ses nombreux voyages. Lorsqu’en 1557, le botaniste Pierre Belon, pensionné par Henri II, met au point une nouvelle variété de prune, il la baptise tout naturellement la « reine-claude » en hommage à la mère de son royal protecteur.

Bibliographie :

– Le Lit, le Pouvoir et la Mort : Reines et Princesses d’Europe de la Renaissance aux Lumières par Bartolomé Bennassar
– Les Reines de France au temps des Valois : le beau XVIe siècle par Simone Bertière
– Claude de France : Première épouse de François Ier, mère d’Henri II par Henri Pigaillem