Les enfants illégitimes de Louis XIV

05.Louis-Auguste, duc du Maine

Le 31 mars 1670, au château de Saint-Germain-en Laye, la marquise de Montespan accouche secrètement de son deuxième enfant du roi, un petit garçon, immédiatement confié à Mme Scarron, postée derrière les grilles du château. La naissance de l’enfant, fruit d’un double adultère, ne doit pas être connue de la cour. Prénommé Louis-Auguste, le fils illégitime de Louis XIV devient très vite « le mignon » de Françoise Scarron.  Louis-Auguste ne grandit pas bien et souffre, dès son plus jeune âge, d’une paralysie qui l’empêche de marcher sans assistance. Le 20 décembre 1673, le roi le légitime, ainsi que son frère et sa sœur nés en 1672 et 1673, et lui octroie le titre duc du Maine. En janvier 1674, les enfants de Louis XIV et de Mme de Montespan s’installent à la cour avec leur gouvernante, sortant de l’ombre dans laquelle ils sont tenus depuis leur naissance. La même année,  en dépit de son jeune âge, le duc du Maine reçoit la charge de colonel général des Suisses. Brillant élève d’un caractère discret, Louis-Auguste considère sa gouvernante, devenue marquise de Maintenon en 1674, comme sa véritable mère et se tient éloigné de celle qui l’a mis au monde, Françoise-Athénaïs de Montespan. Le jeune garçon va fréquemment en cure pour soigner la maladie de ses jambes. Malgré de nombreux soins, il devra toujours s’aider d’une canne pour se déplacer.

Louis-Auguste apparaît vite comme étant le préféré de son père qui charge le maréchal du Luxembourg de lui enseigner la science militaire : ce sera un échec. Le duc du Maine ne sera jamais un brillant soldat. En 1680, Louis XIV déclare Louis-Auguste prince de Bourbon. En 1681, la Grande Mademoiselle, cousine du roi n’ayant pas d’enfant, lui cède la principauté de Dombes et le comté d’Eu. Louis-Auguste sera couvert de promotions par son père : en 1682 il devient gouverneur du Languedoc, en 1686 duc d’Aumale et chevalier du Saint-Esprit, en 1688, général des galères et pair de France en 1714. Le duc du Maine a  également le privilège d’assister au petit lever du roi, en compagnie de Monsieur et du dauphin. Malgré les faveurs royales, rien ne peut faire oublier aux courtisans, avec en tête l’impitoyable duc de Saint-Simon, que Louis-Auguste est un bâtard du roi, né d’une femme désormais en disgrâce. En effet, compromise dans l’Affaire des Poisons – et perdant de sa beauté l’âge avançant – la marquise de Montespan perd la faveur de Louis XIV et ne se maintient à la cour que parce qu’elle est mère de bâtards royaux encore jeunes. En 1691, la favorite déchue quitte définitivement Versailles, après que le roi ait confié l’éducation de ses plus jeunes enfants à Mme de Montchevreuil. A peine  le duc du Maine a-t-il entendu la nouvelle qu’il presse le départ de la marquise afin de prendre possession de ses appartements.  D’après la princesse Palatine, le duc du Maine « craignait  tellement que Madame sa mère ne se glissât de nouveau à la cour qu’il fit jeter ses meubles par la fenêtre »

Louis-Auguste de Bourbon, enfant (attribué à François de Troy, XVIIe siècle)
Louis-Auguste de Bourbon, enfant (attribué à François de Troy, XVIIe siècle)

Si Louis XIV marie ses filles légitimées, il ne semble pas disposé à en faire de même avec ses fils naturels, comme le rapporte Mme de Caylus :  » Le roi, qui pensait toujours juste, aurait désiré que les princes légitimés ne se fussent jamais mariés. Ces gens-là, disait-il, ne devraient jamais se marier ». Sans doute Louis XIV a-t-il en tête l’exemple des Bourbon-Vendôme, issus des bâtards d’Henri IV, qui ont, par le passé, défié le pouvoir royal. Cependant, devant l’insistance de la marquise de Maintenon et du principal intéressé, le roi consent à ce que le duc du Maine prenne une épouse. Louis XIV  souhaite alors un prestigieux mariage pour son fils, en sa qualité de prince de Bourbon. Après plusieurs négociations, on propose au jeune homme la princesse Anne-Marie de Bourbon-Condé mais Louis-Auguste lui préfère sa cadette, Anne-Louise-Bénédicte. Le mariage est célébré le 19 mars 1692 sans la présence de Mme de Montespan. La duchesse du Maine est fort petite et d’un caractère affirmé. Surnommée la « poupée du sang » par ses belles-sœurs, elle reprochera toute sa vie à son époux sa condition de bâtard tandis qu’elle était née « sans tâche dans le berceau ». Par cette union, avantageuse au premier abord  – Louise-Bénédicte devient la belle-fille de Louis XIV – la princesse de Condé a très vite la sensation d’avoir été rabaissée. Déçue de son époux qui ne montre pas de talent militaire, la duchesse du Maine déserte bientôt la cour pour le domaine de Sceaux, que Louis-Auguste acquiert le 20 décembre 1699. Le duc subit régulièrement les colères de son épouse et craint qu’elle n’ait hérité de la « folie des Condé », introduite dans la famille par Claire-Clémence de Maillé-Brézé, épouse du Grand Condé. Le duc de Saint-Simon témoigne : « M. du Maine tremblait devant son épouse. Il mourait toujours de peur que la tête ne lui tournât […] A la plus légère représentation il essuyait des humeurs et des vacarmes qui, avec raison, lui firent tout craindre pour sa tête ». Le couple est mal assorti : Louis-Auguste est calme et vertueux, tandis que son épouse se révèle être capricieuse, impatiente et colérique. De cette union naissent pourtant sept enfants, dont seulement trois atteignent l’âge adulte. 

A la cour, le duc du Maine est souvent victime de calomnies, en raison de sa bâtardise. Ainsi, le duc de Saint-Simon, qui voue une haine aux bâtards royaux, le qualifie de « malfaisant » : « M. du Maine a de l’esprit, je ne dirai pas comme un ange, mais comme un démon auquel il ressemble si fort en malignité, en noirceur , en perversité d’âme. C’est un poltron accompli de cœur et d’esprit […] propre à se porter à toutes souplesses et bassesses les plus rampantes auxquelles le diable ne perd rien. »

Le duc du Maine, par François de Troy (1692)
Le duc du Maine, par François de Troy (1692)

En 1709, le roi accorde aux fils de Louis-Auguste, le prince de Dombes et le comte d’Eu, le rang de « princes intermédiaires », nouveau témoignage d’affection envers son « mignon ». Louis XIV compte alors un fils légitime – Monseigneur le dauphin -, trois petits-fils  (dont l’un est roi d’Espagne) et bientôt deux arrière petits-fils. Mais en avril 1711, puis en février 1712, le roi perd coup sur coup le dauphin, suivi du duc du Bourgogne et du duc de Bretagne, emportés par la petite vérole ou la rougeole. Le duc du Maine est lui-même victime d’une sévère congestion en 1711, qui fait craindre pour sa vie. Ces morts sont suivies, en mai 1714, par celle du dernier petit-fils du monarque, le duc de Berry. Le seul rescapé de l’hécatombe est le petit duc d’Anjou, arrière petit-fils de Louis XIV. Le décès de presque tous les héritiers de la couronne alimente des rumeurs d’empoisonnement, dirigées contre le duc d’Orléans. Pour le duc de Saint-Simon, c’est le duc du Maine qui est au cœur des calomnies contre le neveu du roi, désormais second dans l’ordre de succession, après le petit duc d’Anjou. Le 28 juillet 1714, par un édit royal, Louis XIV déclare le duc du Maine et son frère, le comte de Toulouse, aptes à monter sur le trône « si malheur arrivait que la race masculine des princes du sang vînt à manquer totalement ». Le 22 août 1714, lorsque Louis-Auguste remplace le roi lors de la revue de la gendarmerie, le duc d’Orléans prend conscience de son évincement par Louis XIV. Bien que le souverain marque publiquement son attachement à son fils légitimé, il ne peut s’empêcher d’être inquiet : contrairement au duc d’Orléans qui est valeureux et populaire, le duc du Maine n’est pas un homme courageux, en dépit de son intelligence et de sa  bienveillance envers les autres. Le roi vieillissant tente alors de mettre Louis-Auguste en garde : « Sachez que quelque grand que je vous fasse, et que vous soyez de mon vivant, vous n’êtes rien après moi, et c’est à vous, après, à faire valoir ce que j’ai fait pour vous, si vous le pouvez ». A la fin du mois, Louis XIV rédige son testament, ne se faisant, cependant, guère d’illusions sur ce qu’il en deviendra après sa mort. Le 23 mai 1715, Louis XIV élève encore plus haut ses fils légitimés en leur conférant le statut de prince du sang. Cette nouvelle distinction fait du duc du Maine l’égal du duc d’Orléans ou du prince de Condé.

A la mort de Louis XIV, le 1er septembre 1715, le petit Louis XV n’a que 5 ans. Dans son testament, le Roi-Soleil a fait de Philippe d’Orléans le Régent mais avec un pouvoir limité, le duc du Maine devenant tuteur du nouveau souverain. Comme l’avait pressenti Louis XIV, son testament est cassé par le Parlement dès le 2 septembre  et le duc d’Orléans est nommé Régent du royaume sans restriction aucune. Louis-Auguste conserve un siège au conseil de régence et la surintendance de l’éducation de Louis XV. A l’égard du duc du Maine, Philippe d’Orléans déclare : « On naît prince de sang, on ne le devient pas ». Louis XIV n’étant plus là pour défendre ses fils illégitimes, les princes de sang demandent à ce que les privilèges octroyés par le défunt roi à ses bâtards leurs soient retirés. C’est le début d’une guerre entre les branches légitimes et légitimés, au sein desquelles tout le monde a pourtant un lien de parenté : Louis-Auguste se retrouve ainsi contre sa propre sœur, la duchesse douairière de Bourbon. Quant à la duchesse du Maine, elle en guerre contre son propre neveu, le prince de Condé et duc de Bourbon. Le Conseil de régence finit par casser les édits de 1714 et de 1715 qui accordaient de nombreux privilèges aux fils légitimés de Louis XIV, en juillet 1717. Le 26 août 1718, le Conseil retire la surintendance de l’éducation du roi au duc du Maine, au profit du duc de Bourbon : le prince légitimé vient de perdre tous les privilèges que Louis XIV lui avait accordés. Louis-Auguste paie les folies de son épouse, qui complote avec l’Espagne pour renverser le Régent au profit de Philippe V.

Louis-Auguste de Bourbon, par Charles-François Phélippes (XIXe siècle)
Louis-Auguste de Bourbon, par Charles-François Phélippes (XIXe siècle)

Tandis qu’il se retire à Sceaux, le duc du Maine est arrêté le 29 décembre et conduit à Doullens, citadelle de Picardie. La famille du Maine est dispersée, la duchesse étant conduite à Dijon. Les fils de Louis-Auguste sont exilés en Normandie tandis que sa fille est placée dans un couvent, à Chaillot. Suite à une confession de son épouse au Régent, le duc du Maine est libéré en janvier 1720. Selon Louise-Bénédicte : « Il n’a jamais su le moindre mot de toutes ces intrigues, je me suis toujours cachée de lui […]  J’avoue que j’ai dit à l’ambassadeur d’Espagne que le roi son maître pouvait être  assuré de M. du Maine. Mais je déclare que je l’ai dit de moi-même, et sans qu’il m’en ait jamais parlé […] M. du Maine m’a défendu plusieurs fois de voir MM. de Pompadour et de Laval, par la crainte qu’il avait qu’ils ne m’embarquent dans quelques intrigues ». Libéré, Louis-Auguste s’installe à Clagny avec ses enfants et fait savoir à son épouse qu’il désire vivre séparément, « mécontent d’avoir essuyé pendant une année entière une rude captivité pour une affaire où il n’était point entré ». Son honneur et son son nom ont été bafoués. Dès lors, le duc du Maine se retire de la vie politique. Blessé d’avoir été entraîné, malgré lui, par Louise-Bénédicte dans un complot contre le Régent, Louis-Auguste fait savoir à celle-ci qu’il envisage le divorce : « Un prince qui s’est toujours vu innocent, et qui malgré son innocence a ressenti les horreurs d’une prison, éprouve encore les ruines d’un exil, a bien des précautions à prendre ». Au fils des mois, le duc accepte que ses fils rendent visite à leur mère, avant de finalement pardonner à son épouse, et de s’établir à Sceaux en juillet 1721. 

Bien que le duc du Maine n’ait plus de rôle politique, il souhaite être réhabilité et retrouver les privilèges accordés par Louis XIV. Les requêtes auprès du Régent se multiplient tandis que Louise-Bénédicte, qui reste princesse du sang, plaide la cause de son époux auprès du roi. Il faudra attendre la majorité de Louis XV, en 1723, pour que le duc du Maine et le comte de Toulouse retrouvent une partie des honneurs attribués par leur père : leur rang de prince du sang ne leur est pas rendu, et ils ne peuvent prétendre à la couronne de France. En revanche, le rang  de « prince intermédiaire » leur est à nouveau accordé : les fils légitimés du Roi-Soleil suivent donc, dans la hiérarchie, les princes du sang, et peuvent de nouveau paraître à la cour. C’est une lettre de Louis XIV, gardée secrète jusqu’à la majorité de son successeur, qui fait pencher la balance et rend à Louis-Auguste son honneur perdu. Dans celle-ci, le vieux roi, pressentant ce qu’il va se passer, demande à Louis XV :  » S’il arrivait quelque malheur au duc du Maine, nous prions notre arrière petit-fils de réparer le mal si tôt qu’il le pourra […] Je désire que vous rétablissiez les choses dans le même état où elles se trouveront à ma mort […] pour tout ce qui touche le duc du Maine ».  La situation du rang des bâtards légitimés de son aïeul marquera tellement le jeune Louis XV que ce dernier ne légitimera aucun de ses enfants naturels. 

Le duc du Maine et ses trois enfants (Mlle du Maine, le prince des Dombes et le comte d'Eu), par Jean-Baptiste Van Loo (vers 1714)
Le duc du Maine et ses trois enfants (Mlle du Maine, le prince des Dombes et le comte d’Eu), par Jean-Baptiste Van Loo (vers 1714)

A Sceaux, tandis que Louise-Bénédicte tient sa cour, Louis-Auguste se réfugie dans les nombreux livres de sa bibliothèque. Ils est déçu de ses fils, dont l’éducation a été négligée : à l’étude, ils préfèrent la chasse et sont devenus « ingouvernables ». Leur mauvaise réputation et leur naissance ne permettront aucune alliance, malgré plusieurs négociations avec les Orléans et les Condé. En 1733, la santé du duc du Maine se dégrade, suite à l’arrachage de deux dents : la gencive s’infecte et les médecins finissent par diagnostiquer un cancer de la face, incurable. Louise-Bénédicte joue alors les garde-malades et cesse toute activité pour s’occuper de son époux. Malgré les tempêtes qu’a traversé le couple, le duc et la duchesse sont liés par un profond attachement l’un à l’autre. Louis-Auguste décède à Sceaux le 14 mai 1736, à l’âge de 66 ans. Il est inhumé le 16 dans l’église paroissiale. Le duc du Maine avait souhaité un enterrement simple, sans cérémonie, avec quelques intimes.  Mme de Staal, amie de son épouse, laisse à la postérité un bel hommage à cet homme discret, qui souffrit toute sa vie d’être un prince légitimé : « M. le duc du Maine avait l’esprit éclairé et cultivé, toutes les connaissances d’usage ; un caractère noble et sérieux. La religion, peut-être plus que la nature, avait mis en lui toutes les vertus […] Il aimait l’ordre, respectait la justice et ne s’écartait jamais des bienséances. Son goût le portrait à la retraite, à l’étude et au travail […] Le fond de son cœur ne se découvrait pas ; la défiance en défendait l’entré, et peu de sentiments faisaient effort pour en sortir ». 

Comme le pressentait Louis-Auguste, aucun de ses trois enfants survivants ne se marie, malgré les efforts de leur mère. La branche Bourbon-Maine s’éteint en 1775, avec la disparition de son fils cadet, Louis-Charles, comte d’Eu. Les biens de la famille sont alors transmis au duc de Penthièvre, neveu du duc du Maine par son frère, le comte de Toulouse. 

Bibliographie : 

Les Bâtards du Soleil, par Eve de Castro
– Madame de Maintenon, par Jean-Paul Desprat
La duchesse du Maine : Louise-Bénédicte de Bourbon, Princesse de Condé, par Jean-Luc Gourdin
–  Saint-Simon ou le système de la Cour, par Emmanuel Le Roy Ladurie
Madame de Montespan, par Jean-Christian Petitfils

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