Les enfants illégitimes de Louis XIV

Mme de Montespan donna-t-elle huit enfants au roi ?

On sait que Françoise-Athénaïs de Rochechouart de Mortemart,  marquise de Montespan, donne sept enfants à Louis XIV  durant sa faveur royale (1667-1679) : 

– un enfant resté inconnu (1669-1672)
– Louis-Auguste (1670-1736) duc du Maine, légitimé le 20 décembre 1673
– Louis-César (1672-1683) comte de Vexin, légitimé le 20 décembre 1673
– Louise-Françoise (1673-1743) Mlle de Nantes puis duchesse de Bourbon, légitimée le 20 décembre 1673
– Louise-Marie-Anne (1674-1681) Mlle de Tours, légitimée en janvier 1676
– Françoise-Marie (1677-1749) Mlle de Blois puis duchesse d’Orléans, légitimée en novembre 1681
– Louis-Alexandre (1678-1737) comte de Toulouse, légitimé en novembre 1681

Jusqu’à la légitimation des premiers enfants, le 20 décembre 1673,  la marquise de Montespan fait de son mieux pour cacher ses grossesses, portant des robes amples afin de dissimuler son état. La princesse Palatine écrit dans sa correspondance :  « C’est Madame de Montespan qui a inventé les robes battantes  pour cacher sa grossesse, parce qu’on ne peut distinguer la taille sous ces robes ». Aussi, de nombreux contemporains ignorent – ou feignent d’ignorer  – les premières grossesses de la maîtresse du roi. Il est pourtant certain que la belle Athénaïs tombe enceinte au cours de l’été 1668, alors que son époux, le marquis de Montespan, est loin d’elle. Afin que le mari trompé n’ait aucun droit sur les enfants adultérins de son épouse, ceux-ci ne sortiront de l’ombre qu’avec leur acte de légitimation, où Louis XIV a trouvé le moyen de ne pas nommer la mère. A cette époque, l’aîné des enfants, qui a vu le jour au printemps 1669, n’est plus en vie et n’aura donc pas « d’existence officielle ». Les maigres renseignements que l’on a à son sujet se trouvent dans les correspondances et Mémoires de quelques privilégiés bien renseignés. Ainsi, la Grande Mademoiselle, cousine de Louis XIV, notera à propos des bâtards de la marquise de Montespan : Il y en avait eu encore un qui était mort, que l’on n’a jamais vu”. 

La marquise de Montespan et quatre de ses enfants légitimés (Mlle de Nantes, le comte de Toulouse, Mlle de Blois, le duc du Maine), attribué à Pierre Mignard, XVIIe siècle
La marquise de Montespan et quatre de ses enfants légitimés (Mlle de Nantes, le comte de Toulouse, Mlle de Blois, le duc du Maine), attribué à Pierre Mignard (XVIIe siècle)

Une naissance gémellaire ?

Aujourd’hui, les biographies de Louis XIV et Mme de Montespan évoquent la naissance de sept enfants adultérins, mais les Dictionnaires généraux en donnent souvent huit : les six légitimés et « deux autres qui vécurent à peine » (selon l’expression d’Arsène Houssaye). On citera la Revue nobiliaire, héraldique et biographique (1875), la Généalogie complète des rois de France de Jean-Charles Volkmann (1999) ou encore le Dictionnaire du Grand Siècle de François Bluche (1990) qui mentionnent deux enfants nés en 1669 : un garçon « mort jeune » et une fille (1669-1672).

Extrait du "Dictionnaire du Grand Siècle" de François Bluche
Extrait du « Dictionnaire du Grand Siècle » de François Bluche

On sait que la marquise de Montespan a mis au monde un enfant au printemps 1669. Le duc du Maine étant né le 31 mars 1670, il n’y a donc pas de place pour une grossesse et un accouchement supplémentaire entre ces deux naissances. Dès lors, si deux enfants sont bien nés en 1669, ils ne pouvaient être que jumeaux. Par manque d’informations, aucun historien ou biographe ne fait clairement mention d’une grossesse gémellaire pour Mme de Montespan, à l’exception de Pascal Arnoux dans son ouvrage Favorites et dames de cœur (2005). Les naissances suivantes s’enchaînent rapidement et sont publiquement connues à partir de 1674. Par conséquent, la naissance d’un autre enfant, après cette année-là, n’aurait pas manqué d’être consignée.  Arsène Houssaye note, sans plus précision : « Mme de Montespan eut huit enfants du roi , je ne compte pas celui de son mari , je ne compte pas les fausses couches ». J’avais contacté François Bluche, en 2005, au sujet de cette hypothétique double naissance et de ses sources pour avancer le nombre de huit enfants. L’historien m’avait répondu qu’il devait “fouiller” dans ses papiers pour retrouver celles-ci mais n’avait alors pas le temps de s’y replonger.

Date de décès de l’enfant né en 1669 :

Si on part du principe qu’il n’y a eu qu’un seul enfant né en 1669, il semblerait que celui-ci soit décédé avant la légitimation de trois autres enfants (le 20 décembre 1673) ce qu’il expliquerait qu’il n’ait pas été reconnu par Louis XIV. Son acte de décès n’a jamais été retrouvé et il faut chercher des indices sur la date de sa disparition dans les témoignages de quelques rares personnes au courant de son existence, qui gravitent autour du roi. Ainsi, juste après la mort de Marie-Thérèse de France, fille de Louis XIV et de la reine, décédée le 1er mars 1672, le marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, note : « Leurs Majestés sont toujours fort affligées de la mort de Madame ; le Roi avait eu un autre déplaisir auparavant, quil n’a pas manifestécar on assure quil y a neuf jours que le fils quil avait eu de madame de Montespan mourut ».

La comtesse de Caylus, petite-nièce de Mme de Maintenon (qui n’a jamais vu l’enfant mais qui pourrait tenir l’information de sa tante), confirme dans ses Souvenirs que le premier-né des bâtards meurt en bas âge  : « L’aîné des enfants du roi et de Madame de Montespan mourut à l’âge de trois ans. Madame de Maintenon en fut touchée comme une mère tendre, et beaucoup plus que la véritable ».

Avec ces témoignages, on peut donc avancer que le premier-né des enfants adultérins de la marquise de Montespan est décédé à la fin du mois de février 1672, à l’âge de 3 ans.

Pourtant, le père Tixier, prieur à l’abbaye de Saint-Germain des Près et qui a pu approcher les enfants adultérins de Louis XIV, écrit dans ses Mémoires : “Le fils aîné du Roy et de Madame de Montespan mourut à huit ans. Si cela est exact, l’enfant, né en 1669, serait donc décédé en 1677. Or, à cette date, quatre enfants d’Athénaïs (nés entre 1670 et 1674) ont été légitimés. Pourquoi donc le roi n’aurait-il pas fait de même avec le premier-né ? On peut supposer que le père Tixier s’est trompé sur l’âge de l’enfant. Cependant, pourquoi douter des propos de celui-ci ?  Après tout, l’acte d’inhumation de cet enfant n’a jamais produit et la mention « mort jeune » que l’on trouve parfois n’est pas assez précise pour dater le décès. D’autant que le père Tixier donne des détails sur l’éducation donnée au petit garçon : Il avait été rendu fort savant par son précepteur Dandin, qui fut ensuite fait par M. de Montausier aumônier des Suisses et abbé de mille écus de rente, qui lui avait appris force histoires grecques et romaines”. Si l’enfant n’avait vécu que trois ans, il n’aurait pas eu de précepteur, à une époque où les enfants de la noblesse étaient enlevés à leur nourrice vers à l’âge de 6 ou 7 ans, pour se voir confiés à un percepteur.

Mme de Montespan, le duc du Maine et le comte de Vexin, par l'atelier de Mignard (XVIIe siècle)
Mme de Montespan, le duc du Maine et le comte de Vexin, par l’atelier de Mignard (XVIIe siècle)

Louis XIV a légitimé Louis-Auguste, Louis-César et Louise-Françoise en décembre 1673. Si son fils aîné était encore en vie à cette période, pourquoi n’a-t-il pas été reconnu et titré comme les autres ? J’ai eu le privilège de correspondre avec l’historien Jean-Christian Petitfils, au sujet de cet enfant qui, si on se réfère au père Tixier, aurait vécu 8 ans. L’historien m’a donné son avis, une possibilité pour expliquer son maintien dans l’ombre : le fils aîné du roi et de la marquise de Montespan aurait été anormalement constitué. En effet, le père Tixier a écrit que cet enfant avait une tête disproportionnée par rapport au reste de son corps. Il rapporte : Ce petit prince avait une tête excessivement grosse qu’à peine pouvait-il porter ; on l’ouvrit et on lui trouva le crâne épais d’un gros pouce et la tête sans suture”. Selon Jean-Christian Petitfils, le roi n’aurait pas souhaité amener – et montrer – à la cour un enfant difforme et/ou malade. Le petit garçon n’aurait donc pas été légitimé en raison de son infirmité ou de sa maladie (Monsieur Petitfils a suggéré une hydrocéphalie, anomalie neurologique sévère et mortelle pour les enfants en bas âge). Cependant, comment confronter cette thèse avec la lettre du marquis de Saint-Maurice, qui relate que l’enfant est mort en 1672 ?

De même, on sait que la majorité des enfants nés du roi et de Mme de Montespan ont présenté des problèmes de santé plus ou moins graves, ce qui n’a pas empêché Louis XIV de les légitimer : le comte de Vexin, né en 1672, est atteint d’un grave défaut de croissance (« la colonne vertébrale tournée et les épaules contrefaites ») et est « sujet à des maux de tête affreux. Sa tête ne transpirait guère » (Père Tixier). Le duc du Maine a les jambes atrophiées, « le talon détaché du pied », handicap qu’il conserve toute sa vie malgré les soins de Mme de Maintenon. Mlle de Nantes boite, Mlle de Blois a « la taille un peu tournée » et Mlle de Tours « une disposition maladive  » (elle meurt à l’âge de 7 ans). Les mémorialistes de l’époque (le duc de Saint-Simon, la princesse Palatine) ne peuvent s’empêcher d’insinuer que les infirmités dont souffrent les enfants adultérins de Mme de Montespan sont un châtiment de Dieu. Cependant, les maux des enfants légitimés n’enlèvent rien à leur charmant visage. Il en aurait été tout autrement d’un enfant atteint d’hydrocéphalie.

Sans remettre en doute l’authenticité du témoignage du Père Tixier au sujet d’un fils de Louis XIV difforme et disparu au cours de l’enfance, on peut supposer que le religieux fait référence, dans ses Mémoires, non pas au premier-né des bâtards, (mort à 3 ans avant d’avoir pu connaître les leçons d’un percepteur) mais à Louis-César, comte de Vexin. Constamment souffrant – et difforme – l’enfant meurt à l’âge de 10 ans, en 1683. Retenons également que le Père Tixier qualifie le petit garçon disparu de « prince », ce qui sous-entend qu’il a été reconnu par Louis XIV. Il est donc possible que, dans ses Mémoires, le religieux évoque le comte de Vexin, et se soit trompé de deux ans sur son âge.

Mlle de Nantes, le duc du Maine et Mlle de Blois, par Philippe Vignon (XVIIe siècle)
Mlle de Nantes, le duc du Maine et Mlle de Blois, par Philippe Vignon (XVIIe siècle)

Le sexe de l’enfant non légitimé

Bien que le marquis de Saint-Maurice et le Père Tixier ne donnent pas la même date de décès pour le premier-né des enfants adultérins du roi et de Mme de Montespan, ils évoquent tous les deux un garçon. Il semble donc que les contemporains de Louis XIV n’aient pas de doute quant au fait que l’aîné des enfants adultérins d’Athénaïs de Montespan soit de sexe masculin.

C’est Mme de Maintenon qui jette un doute sur le sexe de l’enfant premier-né dans l’esprit des historiens, à compter du XIXe siècle : en effet, le 24 juillet 1674, la gouvernante écrit à propos du duc du Maine : “Je n’aime pas moins cet enfant-ci que j’aimais l’autre [le premier-né, décédé] ». Cependant, la phrase de Mme de Maintenon peut autant désigner un garçon qu’une fille et cette ambiguïté est peut-être trompeuse. C’est sans doute en se basant sur cette phrase que certains historiens font de l’enfant une fille. Les Souvenirs de Mme de Caylus jettent également le trouble car certaines éditions ont transformé « l’aîné des enfants » en  « l’aînée des enfants », à l’exemple de celle de 1822 (que l’on peut comparer avec une édition de 1778) où  « l’aîné » est devenu « l’aînée » : 

Extrait des Souvenirs de Mme de Caylus (édition de 1778)
Extrait des Souvenirs de Mme de Caylus (édition de 1778)

 

Extrait des Souvenirs de Mme de Caylus (édition de 1822)
Extrait des Souvenirs de Mme de Caylus (édition de 1822)

Ainsi, certains historiens du XIXe siècle qui se basent sur ces témoignages (Pierre Clément, Henri Duclos, Maurice Rat…) donnent à Mme de Montespan une fille (1669-1672), thèse qui sera ensuite reprise par d’autres biographes du XXe siècle ainsi que par la romancière Françoise Chandernagor, dans son roman « L’Allée du roi » : elle présente l’enfant né en 1669 comme étant une fille, prénommée Louise-Françoise (combiné logique des prénoms des parents et prénom très répandu à l’époque). D’autres historiens, qui se basent sur les témoignages du marquis du Saint-Maurice et/ou du Père Tixier, font du premier-né des bâtards un garçon (Jules Auguste Lair, Jean-Christian Petitfils…), hypothèse qui semble plus probable. 

Les témoignages de Mme de Caylus et de Mme de Maintenon permettent cependant d’attester qu’un enfant est bien décédé « à l’âge de trois ans » et avant 1674, ce qui renforce la possibilité que le Père Tixier se soit trompé d’enfant dans ses Mémoires.

La marquise de Montespan et ses enfants, par Charles de La Fosse (1677)
La marquise de Montespan et ses enfants, par Charles de La Fosse (1677)

Sept ou huit bâtards sont-ils nés de Mme de Montespan ?

On sait que l’un des enfants de la marquise de Montespan est décédé en 1672 et que les témoignages de Mme de Maintenon et de Mme de Caylus peuvent laisser penser qu’il s’agissait peut-être d’une fille. D’un autre côté, nous avons des témoignages qui font du premier-né en garçon, décédé à 3 ou 8 ans. Face à un double problème d’âge et de sexe, il se peut que les généalogistes aient – par erreur – dédoublé l’enfant né en 1669, présentant ainsi un fils (1669-mort jeune) et une fille (1669-1672).

Parmi les auteurs qui se risquent à évoquer huit enfants adultérins pour le roi et la marquise de Montespan, un seul semble évoquer le devenir des deux qui n’ont pas été légitimés. On trouve ainsi dans l’ouvrage Mémoires secrets et Correspondance inédite du cardinal Dubois (publié au XIXe siècle) la phrase suivante : « Louis XIV eut de Mme de Montespan huit enfants […] Le premier ne vécut que trois ans, un autre deux« . Ce deuxième enfant qui n’a pas été légitimé est donc lui aussi décédé dans l’ombre, avant décembre 1673. Athénaïs de Montespan n’ayant plus dissimilé ses grossesses à partir de 1674, un enfant mort en très bas âge après cette date aurait été connu des contemporains. De même, une naissance en 1671 (année sans naissance officielle de bâtard) aurait été révélée par la suite si l’enfant était décédé à l’âge de 2 ans (soit en 1673) : en effet, Mme de Maintenon aurait, en toute logique, pris en charge cet enfant, et les contemporains n’auraient pas manqué d’en faire mention (Mme de Caylus, le marquis de Saint-Maurice…). D’après les historiens Lucien Bély et Julien Arbois, s’il y a eu huit enfants, les deux premiers sont forcément nés avant la naissance du duc du Maine. A partir de là, on peut émettre deux hypothèses : 

  • Mme de Montespan accouche de jumeaux en 1669 : l’un meurt en 1671, l’autre en 1672
  • Mme de Montespan accouche d’un enfant dès l’année 1668 (mort en 1670) et  puis d’un second en 1669 (mort en 1672). 

Dans le premier cas, la naissance ayant été dissimulée, personne n’aurait alors soupçonné l’existence de deux enfants, qui auraient logiquement été séparés à la naissance pour plus de sûreté. Les contemporains de l’époque pensent alors (de bonne foi) évoquer l’unique premier-né du roi et d’Athénaïs dans leurs correspondances. Dès lors, on peut imaginer que l’un des jumeaux n’aurait pas été confié à Mme Scarron (qui prend soin des enfants du roi à partir de 1670).  La seconde hypothèse, avec une naissance en 1668 et un décès en 1670, expliquerait pourquoi Mme de Maintenon n’aurait pas évoqué ce huitième enfant, qu’elle n’aurait jamais connu. Athénaïs étant devenue la maîtresse du roi en juillet 1667 (et vu sa fécondité) une grossesse  – bien cachée – dès cette année là n’est pas impossible. 

La marquise de Montespan aurait pu se rendre, en 1668, près Bourbon-L’Archambault (où elle fera ensuite de fréquents séjours). En effet, la « tradition » veut que la maîtresse du roi ait accouché d’un premier enfant au château de Souys et les différents propriétaires du château ont rebaptisé l’une des chambres en l’honneur de Mme de Montespan. Les contemporains de Louis XIV et les historiens n’ont jamais fait mention de cet enfant, ce qui s’expliquerait si on part du principe que c’est celui-ci qui décède à l’âge de 2 ans. Il a également été question d’un accouchement de ce type pour Louise de La Vallière à Villers-Cotteret, resté inconnu de ses contemporains

Tout ceci reste purement hypothétique mais, comme le résume un article de 1951 (Bulletin de la société d’émulation du Bourbonnais) : « On cacha si bien les naissances et l’existence des premiers enfants que les historiens n’ont jamais su exactement si Mme de Montespan a eu du roi sept ou huit enfants ».

"L'allégorie de la musique" : Mme de Maintenon et les enfants de Mme de Montespan, par Antoine Coypel (vers 1684)
« L’allégorie de la musique » : Mme de Maintenon et les enfants de Mme de Montespan, par Antoine Coypel (vers 1684)

A-t-on négligé la santé des enfants illégitimes du roi ? 

Bien que la mortalité infantile soit importante à l’époque, il est troublant de constater que les enfants naturels de Louis XIV nés à une période gênante pour le roi, aient disparu en bas âge (entre 0 et 3 ans), alors que les légitimés passent tous le cap de la petite enfance (bien que certains décèdent avant l’âge adulte). La duchesse de La Vallière perd ses trois (ou quatre) premiers enfants, nés avant la mort d’Anne d’Autriche (1666). De même, jusqu’à ce que le Parlement de Paris prononce la séparation de corps et de bien des époux Montespan (juillet 1670) et que Louis XIV trouve le moyen de légitimer les enfants nés d’Athénaïs (décembre 1673), la situation est délicate. Or, un ou deux enfant(s) né(s) au début de la faveur de la marquise de Montespan décède(nt) durant cette période. Aurait-on négligé la santé des bâtards premiers-nés du roi dont l’existence était « encombrante » en raison des secrets dont il fallait les entourer ? Si on ne peut le prouver, ce n’est pas impossible car le roi ne pouvait envoyer des médecins de la cour auprès de ses enfants naturels lorsqu’ils tombaient malade, sans éveiller les soupçons. D’après les « Archives littéraires de l’Europe » (volume 12, 1806), c’est après le décès du premier-né, en 1672, qu’Athénaïs demande au roi de légitimer les suivants : « Après la mort de cet enfant, Mme de Montespan en ayant eu d’autres, engagea le roi à ne pas [les] laisser, comme le premier, dans l’obscurité ». 

Le roi souhaitait-il laisser ses enfants adultérins dans l’ombre ? Contrairement à ceux nés de Louise de La Vallière, les enfants nés de la liaison du roi et de Mme de Montespan sont le fruit d’un double adultère, ce que condamne l’Eglise (une séparation du monarque d’avec sa maîtresse est même imposée en 1675). De plus, Louis XIV gardait en mémoire les frasques des Bourbon-Vendôme durant la Fronde (issus des bâtards légitimés d’Henri IV et de Gabrielle d’Estrées).  Il n’est donc pas exclut que le roi n’ait pas voulu se créer une famille parallèle et ait cédé par amour pour Mme de Montespan, après la disparition du premier-né, en 1672. Des années plus tard, il dira d’ailleurs à Mme de Maintenon : « ces espèces-là [les enfants naturels] ne devraient jamais porter lignée”.

Un tableau révèle l’existence des enfants morts en bas âge ?

Entre 1675 et 1680, le peintre Pierre Mignard (ou son atelier), réalise un portrait de la marquise de Maintenon en « Vierge à l’Enfant et Saint Jean-Baptiste ». Sur le tableau, Mme de Maintenon est mise en scène avec le comte de Vexin sur les genoux et le duc du Maine, personnifié en Saint Jean-Baptiste. Cette représentation audacieuse (osant comparer Mme de Maintenon à la Vierge) met en valeur le rôle de Françoise d’Aubigné auprès des enfants illégitimes du roi et se trouve aujourd’hui au château de Maintenon :

Mme de Maintenon avec le duc du Maine et le comte de Vexin, en “Vierge à l’Enfant et Saint Jean-Baptiste”, attribué à Pierre Mignard
Mme de Maintenon avec le duc du Maine et le comte de Vexin, en “Vierge à l’Enfant et Saint Jean-Baptiste”, attribué à Pierre Mignard

 Il existe également une autre version de ce tableau (on sait que trois exemplaires furent réalisés : pour le roi, Mme de Maintenon et Mme de Montespan) où, au milieu des nuages, un morceau du ciel se découvre et laisse apparaître deux angelots, qui posent un regard bienveillant sur les protagonistes. Faut-il voir dans ces anges une allusion discrète à deux bâtards premiers-nés, disparus en bas âge ? Cette version fait partie d’une collection privée (de la famille Ronot, tableau visible au musée des Ursulines de Mâcon) et ces anges sont présentés comme des enfants adultérins décédés. Peintre officiel de Louis XIV, Pierre Mignard aurait pu avoir accès à certaines informations confidentielles au sujet des bâtards du roi (au même titre que le marquis de Saint-Maurice). 

Mme de Maintenon, le duc du Maine et le comte de Vexin, attribué à Pierre Mignard (XVIIe siècle)
Mme de Maintenon, le duc du Maine et le comte de Vexin, attribué à Pierre Mignard (XVIIe siècle)

Ce ne serait pas la première fois que des enfants sont représentés sous la forme d’ange (dits aussi « Amour »). En 1670, le peintre Jean Nocret a peint les membres de la famille royale sous la forme de divinités. Les angelots du tableau sont, soit des enfants encore en vie (le duc d’Anjou, fils de Louis XIV), soit déjà décédés (le duc de Valois, fils de Monsieur).

Détails du tableau de Nocret. A gauche les enfants de Monsieur : Mlle de Valois (en vie) et le duc de Valois (décédé). A droite, le duc d'Anjou (décédé en 1671)
Détails du tableau de Nocret. A gauche les enfants de Monsieur : Mlle de Valois (en vie) et le duc de Valois (décédé). A droite, le fils du roi : le duc d’Anjou

Dès lors, il n’y aurait rien d’anormal à ce que des enfants décédés de Mme de Montespan apparaissent sur le tableau attribué à Pierre Mignard. Le fait qu’il y ait deux angelots tend à montrer que deux bâtards sont morts en bas âge, d’où la probabilité que la marquise de Montespan ait bien donné huit enfants à Louis XIV (décédés très jeunes, à 3 et 2 ans).

Mais pourquoi les angelots ne sont-ils pas présents dans la version conservé au château de Maintenon ? A-t-on voulu dissimuler la traces de ces deux enfants nés et morts dans l’ombre pour ne laisser visibles que les enfants reconnus par Louis XIV ? Car, jusqu’à leur légitimation, les enfants naturels du roi sont considérés comme de simples “bâtards”, dont l’existence entache l’image de leur royal père. Seul l’acte de légitimation les fait sortir de l’ombre et leur donne un statut, un titre. De même, lorsque Françoise d’Aubigné prend en charge les enfants adultérins d’Athénaïs de Montespan, elle n’est encore que la veuve Scarron. Peu de temps après la légitimation de ceux-ci, en décembre 1673, elle devient marquise de Maintenon (le 27 décembre 1674).  Aussi, il est plus gratifiant pour elle d’être représentée avec les enfants  légitimés (grâce à qui elle a pu s’élever), qu’avec ceux qui sont restés dans l’ombre et qui la renvoie à l’époque où elle n’était que la veuve du poète Paul Scarron. 

Détail du tableau de Mignard, représentant deux angelots (enfants de Mme de Montespan  morts en bas âge ?)
Détail du tableau de Mignard, représentant deux angelots (enfants de Mme de Montespan morts en bas âge ?)

Conclusion :

A la lumière des différents témoignages et du détail troublant du tableau de Pierre Mignard, je penche pour l’existence de huit enfants, dont deux seraient décédés à l’âge de 3 et 2 ans, sans pouvoir trancher sur les dates du second (1668-1670 ou 1669-1671). 

Qu’il y ait eu sept ou huit enfants nés des amours du roi et de Mme de Montespan, Louis XIV a su entourer de secrets l’existence des bâtards nés d’Athénaïs, jusqu’à ce qu’il décide de les sortir de l’ombre, comme il l’a fait avec les enfants nés de Louise de La Vallière. Georges Couton note : Les bâtards ne sont pas épargnés par la mort. La Vallière et la Montespan perdirent au moins – on ne sait trop – quatre enfants en bas âge chacune”. Ce “on ne sait trop” résume la part d’ombre qui entoure la naissance des enfants illégitimes du roi, ainsi que leur nombre.

Je remercie Jean-Christian Petitfils pour les précieux renseignements qu’il m’a fournis au sujet de cette affaire, qui, à défaut de la découverte d’autres témoignages, restera une énigme. J’adresse également mes remerciements à la Société d’émulation du Bourbonnais, qui m’a donné accès à ses archives. 

Cet article est le fruit de longues recherches, analyses et comparatifs. Si vous souhaitez partager celui-ci, je vous remercie par avance de citer votre source. 

Article associé : 

Le fils caché du Roi-Soleil

Bibliographie sélective : 

– Bulletin de la société d’émulation du Bourbonnais (article Madame de Montespan en Bourbonnais en 1668 ?, 1951)
– Les secrets de Louis XIV : mystères d’Etat et pouvoir absolu, par Lucien Bely

Dictionnaire du Grand Siècle, par François Bluche 
Lettres sur la cour de Louis XIV (1671-1673), par Thomas-François Chabod, marquis de Saint-Maurice
La chair et l’âme : Louis XIV entre ses maîtresses et Bossuet, par Georges Couton
Mademoiselle de la Vallière et Madame de Montespan, par Arsène Houssaye 
Trois familiers du Grand Condé : l’abbé Bourdelot, le Père Talon et le Père Tixier, par  Jean Lemoine
Madame de Montespan, par Jean-Christian Petitfils 

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