Membres de la famille Royale

Louis d’Orléans, fils du Régent, chap.1 : une jeunesse mouvementée

Le 4 août 1703, Françoise-Marie de Bourbon, épouse du duc d’Orléans, accouche d’un fils à Versailles. Cette naissance d’un enfant mâle, après l’arrivée de quatre filles, comble de joie la belle-mère de la duchesse, la princesse Palatine, qui se lamentait à la grossesse précédente : « C’est malheureux que tous les bâtards de mon fils soient des garçons et ses enfants légitimes des filles ». Dans sa correspondance, la future grand-mère écrit, en juillet 1703 : « Dieu veuille que ce soit un fils ». La princesse Palatine sera la marraine de cet enfant, titré duc de Chartres, tandis que le duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XIV, est choisi comme parrain et donne son prénom, Louis, à l’enfant. Malgré trois autres grossesses pour la duchesse d’Orléans, le duc de Chartres restera le seul fils de la fratrie. Enfant à la santé délicate, son entourage ne cesse de trembler pour sa vie durant sa jeunesse. L’état de santé du prince préoccupe d’autant plus que celui-ci semble être promis à un bel avenir, de par ses grandes qualités : confié à l’âge de 7 ans à l’abbé de Mongault, Louis est un élève appliqué, qui aime les sciences. Sa grand-mère témoigne, en 1718 : « Je crains que nous ne conservions pas le duc de Chartres ; il est trop délicat ; il est petit et mince pour son âge et il a pourtant quinze ans. C’est dommage car il est bon et honnête ; il a des moyens et n’a aucun vice. Il est bien élevé ».

Le duc de Chartres et sa mère, par Pierre Gobert (vers 1713)
Le duc de Chartres et sa mère, par Pierre Gobert (vers 1713)

Devenu Régent à la mort de Louis XIV en 1715, Philippe d’Orléans ne tarde pas à entraîner son fils dans une vie de débauche, au grand dam de la princesse Palatine, qui confie, en 1719 : « Ce que je craignais au sujet de mon petit-fils est arrivé. Il est tombé dans les mains des filles de l’Opéra : vous pouvez imaginer facilement ce qu’elles lui ont appris ». Lorsque la mère du duc de Chartres se plaint au Régent du chemin que prend leur fils, celui-ci « rit à s’en rendre malade. La chose n’est pourtant pas risible : avec ce genre de vie, ce garçon, qui est délicat, le corps et l’âme ». Imitant son père, Louis d’Orléans multiplie les petites maîtresses de basse extraction et serait devenu très tôt le père de plusieurs enfants naturels. Dans ses lettres, la princesse Palatine évoque de moins en moins son petit-fils, dont le comportement la déçoit autant de celui de ses sœurs, dont l’éducation a été négligée. L’avocat au Parlement de Paris, Edmond Barbier, contemporain des événements et proche de la famille d’Orléans, note au sujet du duc de Chartres : « Ce prince n’est pas aimé, il a l’esprit petit et mauvais ». A la tête de la France, le Régent tente de favoriser son fils, et « ressuscite » pour lui le titre de colonel général de l’infanterie française, laquelle avait disparue depuis le XVIe siècle. Mais Louis déçoit Philippe d’Orléans qui, d’après les contemporains, avoue à son fils, en plein Conseil des ministres, qu’il n’espère plus rien de lui.

Lorsque le Régent décède brusquement à Versailles, le 2 décembre 1723, le duc de Bourbon, né Louis-Henri de Condé, est le seul prince du sang présent au château. Celui-ci s’empresse de solliciter la place de Premier ministre, ce que Louis XV lui accorde. Ainsi, lorsque le duc de Chartres (qui était à l’opéra) arrive, « il trouva le duc de Bourbon installé déjà » à la grande indignation du clan des Orléans. Le fils du défunt Régent devient chef du Conseil d’État, en tant que plus proche cousin du roi, et reprend le titre de duc d’Orléans, hérité de son père.

Louis d’Orléans, fils du Régent, par l'atelier de Jean Ranc (vers 1720)
Louis d’Orléans, fils du Régent, par l’atelier de Jean Ranc (vers 1720)

Sa mère, désormais duchesse douairière, est bien décidée à marier Louis, afin de l’éloigner de ses travers. Le marquis d’Argenson commente : « M. le duc d’Orléans a toujours été outré en tout. Dans sa jeunesse […] il aima les femmes avec passion, et sans réfléchir aux risques que courait sa santé ». Le prince semble également troublé par la mort de son père et a de sombres pensées, ce qui inquiète. Sans doute le nouveau duc d’Orléans regrette-t-il de ne pas pu avoir pu contenter son père de son vivant. Aussi, durant la période de deuil, la duchesse douairière se met en quête d’une épouse qui pourrait rendre le sourire à son fils, le raisonner et, surtout, lui donner un héritier. En effet, Louis d’Orléans est désormais le premier prince du sang. Le jeune roi Louis XV (né en 1710) n’a pas encore de descendance et est souvent malade. Aussi, dans le cas où le souverain viendrait à mourir, son cousin Orléans pourrait ceindre la couronne. Il convient donc de le marier rapidement, afin qu’il fasse lignée.

A l’époque, peu d’options sont envisageables : la France vient de se brouiller avec l’Espagne, l’Autriche n’a pas de princesse à marier et l’Angleterre pose un problème de religion. Il faut donc regarder vers les princes allemands. C’est à la cour du « margrave » (titre du prince souverain) de Baden-Baden, que l’on trouve la candidate idéale pour le duc d’Orléans : Augusta Marie Jeanne, princesse de Bade, est née le 11 novembre 1704. Elle est la quatrième fille du défunt margrave Louis-Guillaume de Baden-Baden (1655-1707) et de Sibylle-Augusta de Saxe (1675-1733). C’est la seule de leur quatre filles à avoir survécu à la petite enfance. Depuis la mort de Louis-Guillaume, sa veuve assure la régence au nom de leur fils aîné, le jeune Louis-Georges, né en 1702. Quant à Augusta, elle passe sa jeunesse dans un couvent. Compte tenu de la situation de sa famille, la princesse de Bade n’est pas considérée comme un illustre parti, bien qu’elle soit « de très bonne maison d’Allemande, liée à tous les princes d’Europe » : la cour de Bade n’a alors aucun poids politique et le royaume est en difficultés financières. En dépit de cela, la princesse Augusta est choisie par la duchesse douairière d’Orléans, pour épouser son fils unique, à la grande surprise de la noblesse française. L’avocat Barbier relate : « Ce mariage étonne tout le monde, et l’on comptait que M. le duc d’Orléans, dans la place où il est, devait prendre plus élevé ». En effet, la cour de Louis XV s’attendait à ce que l’unique héritier de la maison d’Orléans convole avec une princesse d’un rang supérieur et une sœur du prince de Condé – le duc de Bourbon, alors Premier ministre du roi – avait même été proposée avant d’avoir été écartée, sans doute par rivalité : les princes de Condé venant juste derrière les princes d’Orléans, une union entre les deux branches aurait rapproché les premiers du trône de France. Augusta de Bade présente également l’avantage d’être catholique, vertueuse, et est en âge d’avoir des enfants. La duchesse douairière espère sans doute également que sa belle-fille lui sera reconnaissante d’avoir été choisie pour convoler avec son fils.

Augusta Marie Jeanne de Bade, duchesse d'Orléans, par Joseph Albrier (XIXe siècle)
Augusta Marie Jeanne de Bade, duchesse d’Orléans, par Joseph Albrier (XIXe siècle)

Les futurs époux n’ont pas été consultés et le mariage donne lieu à plusieurs chansons à Paris, à l’exemple de celle-ci :

D’Orléans la duchesse
A dit à son enfant
J’envoie avec vitesse
Au pays allemand
Chercher une fillette
Dont tu seras le mari
D’elle fort chéri

Le mariage a lieu sans grande pompe (en raison de la mort du Régent), le 13 juillet 1724, à Sarry (en Seine-et-Marne). Augusta de Bade apporte une dot de 80.000 livres, un montant qui pourrait sembler conséquent mais qui est bien maigre à l’occasion d’un mariage princier. L’avocat au Parlement de Paris, Edmond Barbier conclut : « Cette princesse est bien heureuse, au lieu d’épouser quelque prince d’Allemagne, de venir en France épouser le premier prince du sang, jeune et très riche et jouer à être reine de France ». Effectivement, à cette date il n’y a pas encore de reine à Versailles. C’est donc la nouvelle duchesse d’Orléans qui occupe la première place dans les cérémonies, jusqu’à ce que Louis XV soit marié. Mathieu Marais, juriste et avocat au Parlement de Paris, note : « Ce mariage ne plaît pas aux Condé : il les éloigne du trône, et l’on parle de renvoyer l’Infante qui, ne donnant pas des enfants au Roi de sitôt, en approche le duc d’Orléans ». En effet, en 1724, Louis XV est fiancé à l’infante d’Espagne Marie-Anne-Victoire, qui vit à Versailles mais qui n’est âgée que de 6 ans, ce qui retarde considérablement le moment de la naissance d’un dauphin.

Louis, duc d'Orléans, par l'Ecole française (vers 1735)
Louis, duc d’Orléans, par l’Ecole française (vers 1735)

Bien qu’ils se découvrent le jour de leurs noces, Louis d’Orléans et Augusta de Bade se plaisent de suite et le jeune marié s’assagit, au grand contentement de sa mère. Le couple semble préférer résider en son château de Saint-Cloud plutôt qu’au Palais-Royal, à Paris. Il possède cependant un appartement à Versailles, où leur rang implique d’y paraître régulièrement. La nouvelle duchesse d’Orléans devient vite très populaire à la cour de Louis XV et chacun loue sa vertu et sa gentillesse. Mathieu Marais indique que la princesse « est gracieuse , plaît à tout le monde, et a beaucoup d’esprit ». Seule sa belle-mère semble « jalouse de l’amitié que son fils avait pour elle », la veuve du Régent n’ayant pas le même caractère doux et agréable qu’Augusta.

La jeune duchesse tombe rapidement enceinte, ce qui n’arrange pas les relations entre les Orléans et les Condé, déjà vexés que l’on ait préféré marier le premier prince du sang à la princesse de Bade plutôt qu’à l’une des leurs. Mathieu Marais commente : « La cour est fâchée du mariage avec la princesse de Bade, qui est déjà grosse, tandis qu’on voit le roi, avec l’Infante, hors d’état d’avoir des héritiers avant longtemps ». Marais ne tarde pas à remarquer des rivalités entre les princes : « M. le Duc [de Bourbon] paraît ennemi déclaré de la maison d’Orléans. Il leur refuse tout. Cela fait deux partis à la cour et une division qui attirera des malheurs si on y remédie ». La situation poussera bientôt le Premier ministre à renvoyer la princesse espagnole à Madrid (avril 1725) et à chercher une autre fiancée pour le roi, en âgé d’être féconde.

Augusta Marie Jeanne de Bade, par l'Ecole française (XVIIIe siècle)
Augusta Marie Jeanne de Bade, par l’Ecole française (XVIIIe siècle)

Le 12 mai 1725, Augusta de Bade accouche d’un garçon, dans son appartement de Versailles. Titré duc de Chartres, l’enfant est prénommé Louis-Philippe. Mathieu Marais commente l’événement : « Grande joie dans la maison d’Orléans. Grand déplaisir chez les Condé ». Le nourrisson est de suite emmené au Palais-Royal et de grandes festivités sont organisées pour sa naissance. Augusta a rempli sa mission : avoir su plaire à son époux et donner rapidement un héritier à sa famille d’adoption. Marais poursuit : « Voilà une bonne réponse aux durs traitements du ministre [le duc de Bourbon] contre la maison d’Orléans. Le prince de Conti, en le voyant [le nouveau-né] dit « Monsieur, vous nous rejetez diablement loin  » » (les princes de Conti forment la branche cadette de la Maison des Condé).

En août de la même année, Louis d’Orléans est envoyé à Strasbourg pour épouser – par procuration – la princesse polonaise, Marie Leszczynska, au nom du roi. A la cour de France, une nouvelle grossesse est rapidement annoncée pour la jeune Augusta, tandis que le prince de Condé tombe en disgrâce en avril 1726, pour avoir déplu au roi. La duchesse d’Orléans est du même âge que la nouvelle reine, et il semble que les deux princesses se soient déjà côtoyées plus jeunes. Tout comme Augusta, Marie n’était pas le parti le plus prestigieux pour un roi, mais elle est, comme la princesse de Bade, catholique, vertueuse et en âge d’avoir des enfants.

Bibliographie

– Chronique de la Régence et du règne de Louis XV (1718-1763),  par Edmond Jean François Barbier
– Mémoires du Comte de Maurepas, par Jean Frédéric Phélypeaux de Maurepas
Histoire des d’Orléans d’après les documents et mémoires légitimistes et orléanistes, par Théodore-Paul Gazeau de Vautibault
– Journal des règnes de Louis XIV et Louis XV de l’année 1701 à l’année 1744, par Pierre Narbonne