Marie-Louise O’ Murphy : la petite reine de Louis XV
Marie-Louise O’ Murphy est le douzième et dernier enfant d’un couple d’irlandais. Son père, Daniel O’ Murphy, est maître cordonnier ainsi qu’officier du roi de France. Quant à sa mère, Marguerite Igny, elle est connue pour fréquenter les bordels et vendre le pucelage de ses filles au plus offrant. La petite Marie-Louise naît le 21 octobre 1737 à Rouen et semble devoir suivre la destinée de ses quatre sœurs survivantes (le couple O’ Murphy perd cinq enfants en bas âge) qui sont figurantes à l’Opéra-Comique, collectionnent les amants et se font entretenir par ces derniers. Marie-Louise ne semble pas être destinée à avoir une place importante dans l’histoire de France. La seule fortune de la jeune fille reste sa beauté. On la dit jolie, fine, enjouée, blonde (ou brune selon les témoignages) bref, elle plait.
Vers 1750, Marie-Louise est remarquée par le célèbre Casanova, qui avancera par la suite avoir participé à son élévation. A la même époque, la jeune fille est présentée comme modèle au peintre François Boucher, probablement par l’une de ses sœurs aînées. Ce portrait, appelé « l’Odalisque blonde » parvient jusqu’à Dominique-Guillaume Lebel, Premier valet de chambre du roi, qui est chargé de trouver à Louis XV des petites maîtresses jeunes, belles et de basse condition. Le peintre a fait de la demoiselle un magnifique portrait qui met en lumière la beauté de Marie-Louise.
Une autre version du portrait, exécutée en 1752, est montrée au monarque qui est séduit. Il semble à qu’à cette époque, Marie-Louise est mise dans un couvent afin d’apprendre « les manières du monde ». La jeune fille est présentée à Louis XV à la fin de l’année 1752, alors qu’elle est âgée de 15 ans. Ce dernier est de suite conquis par sa beauté, sa jeunesse et sa naïveté. Les courtisans, qui soupçonnent que Louis XV ait une nouvelle maîtresse, ne mettront un nom sur cette conquête qu’en avril 1753. Jusqu’à cette date, afin d’entretenir le mystère, Louis XV utilise le terme de « Sirette » (le féminin de « Sire ») pour parler de Marie-Louise en public. Les rares personnes qui connaissent la liaison du souverain en déduisent que la demoiselle O’Murphy est devenue « la petite reine » de Louis XV. Bien vite, celle que les courtisans ont rebaptisée « Morphise » semble faire de l’ombre à la favorite en titre, Jeanne-Antoinette de Pompadour. En effet, la marquise est la favorite officielle de Louis XV à la cour de Versailles même si, depuis 1750, elle ne partage plus le lit du Bien-Aimé. Jeanne-Antoinette est désormais l’amie de Sa Majesté mais entend conserver sa place privilégiée à la cour. Ainsi, c’est elle qui choisit les maîtresses du roi et veille à ce que Louis XV s’en lasse rapidement. La marquise craint en effet qu’une nouvelle favorite ne la fasse chasser du palais. Or, cette fois, Mme de Pompadour n’a pas sélectionné la belle Morphise. Le roi l’a choisie lui-même, sans la consulter. Ainsi, dès le mois de mai 1753, il est question de la chute de la marquise et de l’ascension de la jeune fille.
Le monarque tient à rester discret et installe Marie-Louise au Parc aux Cerfs (notre actuel Quartier Saint-Louis). La jeune femme a à sa disposition deux cheveux et une voiture pour la conduire au palais, lorsque le roi la réclame. Parfois, c’est lui qui se déplace de nuit jusque chez sa petite maîtresse. Pour elle, il bouleverse ses déplacements, annule certains voyages quotidiens de la cour pour rester auprès de Marie-Louise. Une fois sa maîtresse sortie de l’ombre au printemps 1753, celle-ci se déplace avec le roi et les courtisans de château en château. Louis XV entreprend de terminer l’éducation de sa petite maîtresse en lui apprenant à lire et à écrire. Le Nonce du Pape note en mai 1753 qu’on apprend à Morphise « la danse et autres arts d’agréments pour la produire à la cour ». Rien d’étonnant à ce que la marquise de Pompadour se sente menacée par cette jeune fille de basse extraction. Quant à la famille de Marie-Louise, elle est d’abord mise à l’écart en raison de la réputation de ses sœurs. Les parents de la jeune fille avaient reçu deux cents louis lorsque Morphise avait été amenée à Louis XV. Depuis, Marie-Louise, reconnaissante envers les siens, leur fait verser de l’argent. Daniel O’ Murphy décède en juin 1753 mais les autres membres de la famille ont désormais les moyens de vivre bourgeoisement à Paris, grâce à la place de Marie-Louise.
Auprès du roi, Morphise fait preuve d’un certain talent de musicienne et ouvre les yeux de Louis XV sur l’avancée du mouvement philosophique orchestré par Voltaire. Après une fausse-couche en 1753, Morphise est de nouveau enceinte. Peu avant son accouchement, Marie-Louise disparaît de la cour pour accoucher secrètement. Le 20 juin 1754, elle met au monde une fille qui sera baptisée sous le nom d’ Agathe-Louise de Saint-Antoine de Saint-André. Cette naissance conforte la position de la jeune mère et Morphise se voit déjà déclarée maîtresse en titre. Néanmoins, à l’inverse de Louis XIV, le Bien-Aimé ne compte pas reconnaître ses enfants illégitimes. Marie-Louise n’appartenant pas à la noblesse, elle n’a aucun appui à la cour où elle ne paraît même pas de manière officielle et n’a, par conséquent, aucun moyen de pression pour que Louis XV reconnaisse l’enfant comme étant le sien.
Peu après son accouchement, la belle Morphise revient à la cour mais sans sa fille, qui a été mise en nourrice dès la naissance. Alors que le roi semble de plus en plus épris d’elle, en novembre 1755 Marie-Louise reçoit l’ordre de quitter sa demeure du Parc aux Cerfs pour Paris et de s’y marier selon les vœux de Louis XV. Cette soudaine disgrâce peut être due à une récente requête de la petite maîtresse : en effet, manipulée par la maréchale d’Estrées, Morphise aurait fini par exiger de son royal amant qu’il l’installe à Versailles et renvoie la marquise de Pompadour qu’elle surnomme « la vieille ». Cela aurait déplu au monarque, qui n’a jamais envisagé de faire de Marie-Louise sa favorite officielle, ni de se séparer de la marquise de Pompadour. Le roi aurait alors décidé de mettre un terme à la relation qu’il entretenait avec Marie-Louise. En réalité, la mise à l’écart de Morphise est probablement due au contexte politique et religieux. En effet, la marquise de Pompadour se montre de plus en plus pieuse (suite à la mort de sa fille en 1754) et Louis XV tient à se rapprocher du Clergé : le « sacrifice » de la demoiselle O’ Murphy est donc lié aux négociations spirituels du monarque. Il semblerait que Marie-Louise n’ait jamais pu faire partie de la vie de sa fille naturelle, placée au couvent avant d’être mariée par le roi et décédée prématurément en 1774.
Le 27 novembre 1755, Marie-Louise épouse, selon les vœux de Louis XV, un officier du régiment de Beauvais et major général d’infanterie, Jacques de Beaufranchet d’Ayat. Par cette union, Morphise acquiert une certaine position sociale. Quant au seigneur d’Ayat, ce mariage lui apporte une rentrée d’argent car sa famille, bien que de vieille noblesse, manque de trésorerie. Louis XV a fait doter Marie-Louise de 200.000 livres et son ancienne maîtresse conserve 1.000 livres de bijoux. Au mari complaisant, on donne également 50.000 livres. Sur les terres de son époux, Marie-Louise met au monde deux enfants :
– Louise Charlotte (1756-1759)
– Louis Charles Antoine (1757-1812) comte de Beaufranchet
Le fils de Marie-Louise naît posthume : quelques jours avant la naissance de l’enfant, en novembre 1757, Jacques de Beaufranchet est tué à la bataille de Rossbach à l’âge de 28 ans. Le jeune Louis de Beaufranchet aura pour parrain le roi de France. En février 1759, Marie-Louise se remarie avec François Nicolas Le Normand, comte de Flaghac et recommence à fréquenter Paris. Le 5 janvier 1768, la jeune femme met au monde une fille, Marguerite-Victoire. Cette naissance, survenue après neuf années de mariage, tient au miracle. Néanmoins, il semblerait que Marguerite-Victoire ait pour père Louis XV ! Celui-ci aurait rappelé Marie-Louise auprès de lui durant un temps, avant d’officialiser sa liaison avec la comtesse Du Barry en 1768. Celle-ci devient d’ailleurs la maîtresse du roi alors que Marie-Louise se remet de ses couches ! Entre 1765 et 1768, on ne connaît pas de petite maîtresse à Louis XV, qui se tourne de plus en plus vers la religion. Nostalgique, le monarque a très bien pu rappeler auprès de lui Morphise, qui est encore jeune. Argument en faveur d’un second enfant illégitime donné au roi par Marie-Louise : les dons du souverain à son ancienne maîtresse. Entre 1771 et 1772, la comtesse de Flaghac reçoit du roi 350.000 livres. Quant à Marguerite-Victoire Le Normand, lorsqu’elle se marie en 1786, toute la famille royale est présente lors du contrat de mariage. Enfin, sous la Restauration, Charles X lui fera verser une « indemnité annuelle » sur sa propre cassette.
Vers 1772, Marie-Louise voit entrer dans sa vie Joseph-Marie Terray, ministre, contrôleur général des Finances et Abbé. Ce dernier vient en effet de marier son neveu à la fille issue du premier mariage de François Le Normand. Marie-Louise devint sans doute la maîtresse de l’Abbé Terray. Les fortes sommes dont Joseph-Marie Terray fait dons à Marie-Louise, jusqu’à sa mort en 1778, attestent de leur liaison discrète mais connue, puisque la police révolutionnaire en fera mention plus tard, accusant le ministre des Finances d’avoir accordé trop de faveurs à Marie-Louise. De plus, dans son testament rédigé en 1776, Joseph-Marie Terray lègue à la jeune femme « sa maison de la rue Notre-Dame-des-Champs » et lui octroie 6000 livres « de rente viagère à prendre sur la succession ».
En 1783, Marie-Louise est de nouveau veuve. Le fils unique du défunt comte de Flaghac, né d’une première union, Jean-Jacques Le Normant, tente alors de s’approprier les biens laissés par son père, au détriment de Marie-Louise. Celle-ci obtient finalement gain de cause. C’est à cette période qu’elle rencontre Antoine-Claude de Valdec de Lessart, contrôleur général (puis ministre) des Finances. Marie-Louise et lui deviennent amants et ne cachent plus leur liaison en 1788. En 1792, Valdec de Lessart est arrêté et Marie-Louise fuit la capitale avec sa fille et ses petits-enfants pour se réfugier au Havre et attendre que le calme revienne à Paris. Cependant, l’année suivante, elle apprend la mort de son amant, gravement blessé lors des massacres de septembre 1792 et décédé quelques mois plus tard d’une fièvre maligne. Quant à sa fille, Marguerite-Victoire, elle divorce de son époux, Jean-Didier de Mesnard, afin de ne pas être entraînée dans sa chute. Il sera condamné par le Tribunal Révolutionnaire, et guillotiné en mars 1794.
En janvier 1794, Marie-Louise rentre à Paris, afin de prouver qu’elle ne cherche pas à quitter la France. Elle est arrêtée en février. La comtesse de Flaghac ne sera pas condamnée à l’échafaud en grande partie grâce à son fils, Louis de Beaufranchet, qui a adhéré très tôt aux idées révolutionnaires. Au bout de cinq mois de prison, Marie-Louise est libérée. Elle contracte alors un curieux mariage, en juin 1795, avec Louis-Philippe Dumont, « représentant du peuple à la Convention nationale », qui a près de trente ans de moins qu’elle… Marie-Louise devait sans doute voir dans ce mariage, avec un député de la nation, une protection face à la Terreur. Quant au jeune Dumont, il se trouvait marié à une femme possédant une immense fortune. Les troubles révolutionnaires calmés, le couple divorce en mars 1798. Curiosité de l’Histoire : après son divorce, la fille de Marie-Louise, Marguerite-Victoire, se remarie avec Constant Le Normant de Tournehem. Celui-ci n’est autre que le fils de Charles-Guillaume Le Normant d’Etiolles, mari de la marquise de Pompadour, qui s’était remarié avec une jeune danseuse après la mort de son épouse qui l’avait humilié en le trompant avec Louis XV. Marie-Louise s’éteint chez sa fille, à Paris, le 11 décembre 1814, âgée de 77 ans.
pour en savoir plus : « Le goût du roi, Louis XV et Marie-Louise O’ Murphy » de Camille Pascal