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Charlotte de Montmorency : la dernière passion d’Henri IV

Fille d’Henri Ier de Montmorency (1534-1614) et de Louise de Budos (1575-1598), Charlotte Marguerite naît le 11 mai 1594, à Pézenas. Son père, Connétable de France et gouverneur de Languedoc, est très pris par ses fonctions. Aussi, lorsque Charlotte perd sa mère en 1598, elle est confiée à l’une de ses tantes paternelles, Catherine de Montmorency, duchesse de Ventadour, qui l’élève et en fait une jeune fille cultivée et pieuse. Dans sa jeunesse, la duchesse de Ventadour a été fille d’honneur de Catherine de Médicis. Charlotte suit le même parcours et entre, dès 1606, au service de l’épouse d’Henri IV, la reine Marie de Médicis.

C’est au cours de la répétition d’un ballet au Louvre, le 16 janvier 1609, que le roi Henri IV pose ses yeux sur la demoiselle qui n’a pas encore 15 ans. Charlotte est alors fiancée à François de Bassompierre (1579-1646), un ami du roi. Mais Henri IV, qui désire par dessus tout mettre Mademoiselle de Montmorency dans son lit, fait annuler le projet de mariage, pour faire épouser à Charlotte son cousin, le prince de Condé, Henri II de Bourbon (1588-1646). Le Vert-Galant espère de la sorte voir souvent la jeune femme. De plus, il pense ne pas avoir de mal à séduire Charlotte car son futur époux aurait un penchant pour les hommes. Ce mariage déplaît au prince de Condé et apporte un nom des plus prestigieux à la jeune demoiselle de Montmorency. Le cousin d’Henri IV doit se soumettre et convole le 17 mai 1609 avec celle qui est le « dernier coup de foudre du roi ». Charlotte est surprise en découvrant la passion du roi pour elle. Il semble cependant que, si la demoiselle de Montmorency fut flattée d’avoir attiré l’attention du Ver-Galant, il ne semble pas qu’elle l’ait encouragée dans sa nouvelle folie amoureuse.

Charlotte de Montmorency, par Pieter Rubens, en 1610
Charlotte de Montmorency, par Pieter Rubens, en 1610

Il ne se passe pas longtemps avant  qu’Henri II de Bourbon ne vienne contrarier les plans du roi : non seulement le prince de Condé ne tient pas à être la risée de la cour, en permettant à son épouse d’entrer dans le lit du roi, mais il est, lui aussi, tombé sous le charme de Charlotte. Il faut dire que la jeune princesse de Condé passe alors pour l’une des plus jolies femmes de son temps. Même les maladies qu’elle contracta, dont la petite vérole, ne lui enlevèrent rien de sa beauté. Le prince de Condé, jaloux de la passion du roi, emmène alors sa femme en cavale à travers l’Europe, sans en demander l’autorisation du monarque. Ce départ fait « grand bruit » : à Paris certains s’indignent que le cousin du roi enfreigne les ordres d’Henri IV, tandis  d’autres déplorent que ce prince doivent « défendre son honneur conjugal » en choisissant de s’exiler à l’étranger. Il semble également qu’Henri II de Bourbon complote avec l’Espagne de Philippe III, dans le but d’être proclamé roi de France à la mort du Vert-Galant, au détriment du dauphin Louis. En effet, avant son union tardive avec Marie de Médicis en 1600 (le roi et alors âgé de 47 ans), Henri IV avait désigné son cousin, le prince de Condé, comme son successeur, en 1595. Depuis la naissance du dauphin, en 1601, Henri II de Bourbon n’est plus que le premier prince du sang, mais n’a pas renoncé à l’optique de monter un jour sur le trône de France.

Alors que Charlotte se trouve aux Pays-Bas espagnols contre son gré, Henri IV, qui supporte de plus en plus mal son épouse Marie de Médicis, se met en tête d’enlever la princesse de Condé, de faire casser son mariage avec Henri II – qui est désormais considéré comme un traître – et de répudier Marie de Médicis pour épouser la belle Charlotte !  C’est le frère de la défunte favorite du roi Gabrielle d’Estrées, François-Annibal Ier d’Estrées, qui est chargé d’enlever la princesse de Condé, qui se trouve à Bruxelles. Mais la reine de France, mise au courant de l’affaire, prévient l’ambassadeur espagnol, lequel envoie au prince de Condé une lettre dénonçant le complot. L’opération élaborée par Henri IV échoue. Quelques semaines plus tard, le roi de France est assassiné le 14 mai 1610, avant d’avoir pu tenter quoique ce soit de plus pour récupérer Charlotte. Pour la jeune femme, il était prêt à faire la guerre à l’Europe entière.

Henri II de Bourbon et son épouse regagnent Paris où le prince promet fidélité à Marie de Médicis et au jeune roi Louis XIII. En retour, le prince entend bien avoir « le rang et le crédit que sa naissance et sa bonne conduite lui devaient faire espérer ». 

Charlotte Marguerite de Montmorency (attribué à Claude Deruet), en 1610
Charlotte Marguerite de Montmorency (attribué à Claude Deruet), en 1610

Malgré son allégeance à Louis XIII, Henri II de Bourbon profite du jeune âge du roi, et de l’inexpérience de Marie de Médicis, pour  reprendre part aux intrigues et complots. En tant que premier prince du sang, et parce qu’il manœuvre habillement avec ses alliés,  Henri II de Bourbon devient maître du Conseil du jeune roi en mai 1616. La reine mère et se méfie de lui. Aussi, le 1er septembre 1616, le prince de Condé  est arrêté en plein Conseil – sur ordres du cardinal de Richelieu – et envoyé à la Bastille. Alors que le couple Condé vit séparé depuis son retour des Pays-Bas espagnols (la princesse n’a pas apprécié l’exil forcé que lui a imposé son mari), Henri II réclame son épouse et Charlotte de Montmorency appuie sa demande, en sollicitant du roi la permission de pouvoir  rejoindre son mari en prison en 1617, afin de dénoncer l’affront que le pouvoir royal ose faire à un prince de sang : « Mme la princesse de Condé va saluer le roi et le supplier de bien vouloir lui permettre d’entrer prisonnière à la Bastille, avec M. le Prince […] Mme la princesse entra à la Batille où elle fut reçue de M. le Prince  avec tous les témoignages d’amitié qui se peuvent imaginés » (Arnauld d’Andilly, contemporain des évènements).

Quelques mois plus tard, en  septembre 1617, un complot visant à faire évader Henri II de Bourbon est éventé et le prince de Condé est transféré au donjon de Vincennes, avec Charlotte, alors enceinte. C’est là qu’elle va accoucher prématurément d’un fils mort-né en décembre et l’on craint pour sa vie :  » Mme la princesse est très malade […] elle fut plus de quarante-huit heures sans mouvements ni sentiments ». En novembre 1618, ce sont des jumeaux, morts à la naissance, dont Charlotte est délivrée. A cette occasion, « le roi témoigne d’un fort déplaisir. Plusieurs personnes eurent permission d’aller voir [la princesse de Condé] ». Il est permis de penser que les conditions d’emprisonnement, qui sont strictes à cause du caractère d’Henri II qui ne pense qu’à s’évader, ont joué un rôle dans la mort des premiers-nés de Charlotte de Montmorency. Les trois enfants suivants survivent à la petite enfance :

– Anne Geneviève (1619-1679), épouse Henri II d’Orléans-Longueville en 1642 (dont postérité)
– Louis II (1621-1686), duc d’Enghien et futur « Grand Condé », épouse Claire Clémence de Maillé-Brézé en 1641 (dont postérité)
– Armand (1629-1666), prince de Conti, épouse Anne-Marie Martinozzi en 1654 (dont postérité)

Henri II de Bourbon, prince de Condé (anonyme, XVIIe siècle)
Henri II de Bourbon, prince de Condé (anonyme, XVIIe siècle)

Le couple Condé est libéré deux mois après la naissance de leur fille, grâce à l’intervention du duc de Luynes, lequel souhaite renforcer sa position auprès de Louis XIII (contre le cardinal de Richelieu), en s’alliant au premier prince du sang.  Les deux derniers fils de Charlotte naitront à l’hôtel de Condé, à Paris. Ainsi, Henri II de Bourbon est déclaré innocent de tous les crimes qui lui ont été reprochés (et que l’on impute désormais à Concino Concini, le favori de Marie de Médicis, assassiné en 1617) : le prince de Condé « reprend son rang et tous ses honneurs ».

Cultivée, la princesse de Condé fréquente énormément les salons parisiens et raffole des mondanités.  Elle apprécie la vie à la cour mais n’aime pas le cardinal de Richelieu et ne se mêle pas aux intrigues à l’inverse de son frère unique, Henri de Montmorency. En 1632, celui-ci est arrêté et condamné à mort, pour avoir comploté avec le frère du roi, Gaston d’Orléans, contre le monarque. Si la colère royale ne peut s’abattre sur le duc d’Orléans (alors héritier présomptif du trône en l’absence d’un dauphin), Richelieu et Louis XIII veulent faire un exemple avec Henri de Montmorency, coupable du crime de lèse-majesté. Malgré les supplications de Charlotte, le roi se montre inflexible et le dernier prince de Montmorency est décapité le 30 octobre 1632. Écœurée, la princesse de Condé s’éloigne de la cour. C’est à cette époque que Charlotte  et son mari se séparent : tandis que le prince de Condé emmène avec lui son fils aîné, son épouse prend soin de leur fille et du petit prince de Conti.

En 1641, Henri II de Bourbon accepte de marier son fils aîné, le duc d’Enghien, à Claire Clémence de Maillé-Brézé, nièce du cardinal de Richelieu, afin de plaire à Louis XIII.  Mais ni le duc d’Enghien ni Charlotte ne sont favorables à cette union, méprisant celle qui intègre la maison des Condé. La pauvre Claire Clémence de Maillé-Brézé sera toujours traitée avec mépris par son époux et sa belle-mère. 

Charlotte Marguerite de Montmorency, princesse de Condé, par Jean Ducayer (XVIIe siècle)
Charlotte Marguerite de Montmorency, princesse de Condé, par Jean Ducayer (XVIIe siècle)

Charlotte de Montmorency est proche de la reine Anne d’Autriche, qu’elle tient en grande estime. La reine lui montre son attachement en la faisant marraine de son fils aîné, le dauphin, futur Louis XIV, baptisé le 21 avril 1643. Ce n’est qu’après la mort de Louis XIII  (14 mai 1643) que la princesse de Condé revient à la cour. Malgré les tensions entre les princes du sang sous la Fronde, Charlotte reste fidèle à la reine. Elle est déchirée lorsqu’elle voit ses enfants passer du côté des frondeurs mais jamais la princesse de Condé ne se mêle de politique.

Lorsque son époux meurt le 26 décembre 1646, Charlotte en éprouve du soulagement, comme le relate Mme de Rambouillet : « Madame la Princesse n’avait eu que deux belles journées avec Monsieur le Prince, qui furent le jour où elle l’épousa, par le haut rang qu’il lui donna ; et le jour de sa mort, par la liberté qu’il lui rendit et le grand bien qu’il lui laissa ».  Celle qui est désormais la princesse douairière s’éteint le 2 décembre 1650, à Châtillon-Coligny, sans avoir revu ses enfants : ses fils sont alors en prison et la duchesse de Longueville a quitté la France. Charlotte Marguerite de Montmorency est inhumée à Paris, au couvent des Carmélites du faubourg St Jacques. Elle est restée dans les mémoires comme la mère du Grand Condé mais également comme  l’impossible favorite d’Henri IV.

Bibliographie 

Les princes de Condé : rebelles, courtisans et mécènes dans la France du Grand Siècle par Katia Beguin
– Les reines de France au temps des Bourbons : les deux régentes par Simone Bertière
Henri IV le passionné par  André Castelot
– Madame de Longueville  par Victor Custin