Le Grand Voyage de la Marie-Amélie
Roman historique d’Olivier Cojan, paru en 2019
« Je n’ai pas encore examiné de Nègre, je n’en ai même jamais vu ! Mais j’ai étudié l’anatomie humaine. Je suis capable de soigner des Nègres, dans la mesure du possible ». Jeune chirurgien de 25 ans, la tête remplie de rêves, Simon Levrault s’apprête à embarquer sur la Marie-Amélie pour un long voyage, depuis Nantes.
« Il ne s’agit pas de soigner les Nègres, il s’agit de trier les bons d’avec les autres […] C’est pour ça que vous êtes engagé, pour trier et pour veiller sur ceux qu’on a acheté jusqu’à ce qu’on les revende ». Voilà ce que le capitaine du navire lui rétorque.
Nous sommes en 1741. Pour oublier un chagrin d’amour, et se soustraire à la destinée qu’on lui a choisie au sein de l’Église, Simon Levrault décide de quitter la France, pour une longue traversée sur un navire marchand. Aspirant à une vie meilleure, le jeune homme est engagé comme chirurgien, sur un bateau négrier, pour veiller à la santé des matelots. Mais les compétences médicales de Simon doivent surtout lui permettre de faire le tri parmi les captifs que la compagnie qui l’emploie va acheter. Il devra également marquer au fer rouge les « nègres », déracinés de leur Afrique, aux initiales de leur « nouveau propriétaire », qui finance l’expédition.
Au cours du voyage qui le mène vers les côtes africaines, le jeune chirurgien, qui ne connaît rien à la traite négrière, écoute les marins lui parler des Nègres : des hommes et des femmes à la peau noire qui sont plus proches des animaux que de l’Homme blanc, qui ne ressentent pas la douleur, qui n’éprouvent pas de sentiments. En revanche, ils sont sournois, vicieux, toujours à comploter et il faut s’en méfier… Mais lorsque Simon découvre la réalité, il est déstabilisé tant il trouve de ressemblances entre les Nègres et les Blancs. Si le corps d’un homme noir présente de nombreuses similitudes avec celui d’un homme blanc, le chirurgien comprend vite que ces futurs esclaves ont également des émotions : ils sont terrorisés par ce qui leur arrive, la peur se lit dans leurs yeux, des mères pleurent pour ne pas être séparées de leurs enfants…
Simon Levrault prend conscience que la traite négrière n’est qu’un sordide et odieux trafic d’êtres humains et qu’il est complice, malgré lui, de cette horreur. Le jeune homme n’ose se révolter car il n’est pas bon d’être l’ami des Nègres : il serait perçu par tout l’équipage de la Marie-Amélie comme un traître. Le chirurgien tentera donc d’adoucir le calvaire enduré par les captifs durant la traversée, toujours tiraillé par le doute : car en soignant les Nègres et en limitant le nombre de morts jusqu’aux Antilles, Simon permet à ceux qui ont financé le voyage de s’enrichir. En effet, le but de toute expédition négrière est de « limiter les pertes », pour parvenir à vendre au meilleur prix le plus grand nombre d’esclaves possible. Il est donc impératif qu’ils arrivent à destination en « bonne » santé. Quand on sait quel va être leur futur dans les plantations, n’aurait-il pas mieux valu qu’ils ne survivent pas à la traversée ?…
Seul et dépourvu au milieu de l’océan avec son dégoût pour la traite négrière, Simon Levrault parviendra-t-il à exprimer sa colère contre ce système d’une impitoyable cruauté envers des hommes ?
J’ai beaucoup apprécié la lecture de ce roman, qui tient le lecteur en haleine jusqu’au bout et qui fourmille de détails sur le commerce triangulaire du XVIIIe siècle. Au fils des pages, on suit des captifs arrachés à leur terre natale et embarqués sur un océan qui leur est inconnu. L’auteur nous fait revivre les conditions du tri des Nègres par les acheteurs, celles – inhumaines – de la détention lors du voyage qui amènent parfois à des tentatives de révoltes de la part des captifs désespérés. Enfin, nous découvrons l’enfer de la vente aux esclaves, du travail dans les plantations régi par des punitions terribles en cas de désobéissance, mais également la dure réalité des esclaves affranchis qui peinent à survivre au milieu des hommes blancs.
Ce qui rend ce roman si captivant, c’est sans doute le personnage très attachant de Simon Levrault ainsi que sa réflexion, tout au long de son voyage, sur la nature humaine.