Les fureurs du Moyen Âge
Le magazine Historia revient sur l’une des faces sombres du Moyen-Age, dont on ne retient souvent que les chevaliers et l’amour courtois des troubadours : les grandes colères qui poussent le peuple à se soulever contre l’autorité.
Si la France a mené de nombreuses guerres contre des puissances étrangères au cours de l’époque médiévale, le royaume connaît également des soulèvements internes, souvent violents. Ce sont, à la base, des colères paysannes qui déclenchent des émeutes et mènent à des guerres civiles, tout au long du Moyen-Age.
Ces mouvements de foule ne sont pas sans inquiéter le pouvoir royal, le souverain ayant besoin de ses vassaux, unis autour de lui. Or, ceux-ci sont pris à partie par les populations qu’ils encadrent. La stabilité du pouvoir est alors menacée, si les nobles ne parviennent pas à dompter les révoltes des paysans.
L’ordre social semble pourtant bien établi au Moyen-Age : chacun se doit de rester à sa place, déterminée par la naissance, s’il veut espérer accéder au paradis. C’est ainsi que le Clergé tente de maintenir l’ordre. Mais lorsque de nouveaux impôts sont levés uniquement pour le petit peuple, et non pour la noblesse ou l’Église, la populace se soulève et les révoltes doivent être réprimées dans la violence car elles constituent un sacrilège civil.
Le pouvoir royal, déjà affaibli par la Guerre de Cent Ans, doit également composer avec ces « fureurs populaires ». Si les émeutes se multiplient au XIVe siècle, c’est en raison de la guerre qui n’en finit pas. L’enlisement du conflit entre la France et l’Angleterre et les nombreux pillages/massacres qui en découlent à travers le royaume, mettent en lumière l’incapacité du roi à en finir avec ces querelles dynastiques. La noblesse peine également à se faire respecter dans ces temps troublés. Lorsque le roi Jean II est capturé à la bataille de Poitiers, en 1356, le peuple ne comprend pas que les chevaliers n’aient pas réussi à défendre leur souverain. Dès lors, comment faire confiance à la noblesse et au roi, incapables de les protéger face à l’ennemi ? Les paysans s’insurgent : le souverain et ceux qui l’entourent les ont trahis. Par conséquent, comment peut-on exiger de leur part un effort financier avec des taxes supplémentaires s’ils ne bénéficient d’aucune protection en retour ?
Lorsque les paysans refusent de payer l’impôt (nécessaire pour renflouer les caisses du royaume), le roi (ou le dauphin en son absence) montre son autorité en faisant arrêter et exécuter les meneurs des révoltes. C’est toute une ville ou un village qui peut subir la colère du souverain, en se voyant contraint(e) de payer de lourdes amendes. Car l’État a besoin de ressources pour continuer à fonctionner, quitte à écraser le peuple de taxes pour financer une guerre interminable.
Malgré de lourdes sanctions et de nombreuses condamnations à mort, les soulèvements s’enchaînent et, après les révoltes de la paysannerie, c’est au sein de la noblesse que les divisions éclatent. Au XVe siècle, Charles VI puis Charles VII doivent gérer une guerre interne entre les Armagnacs et les Bourguignons, deux branches cadettes des Valois. Alors que le pouvoir royal exige une parfaite soumission de la noblesse, celle-ci se révolte à son tour, afin de mener ses querelles familiales comme elle l’entend, le plus souvent à force de complots et d’assassinats (Louis d’Orléans en 1407, Jean sans Peur en 1419…). Le propre fils de Charles VII, le futur Louis XI, se dresse contre le roi, espérant peut-être le renverser. C’est finalement l’armée de Charles VII qui écrase cette révolte du sang bleu. Malgré la sévérité du roi à l’encontre la noblesse (bannissements, exécutions…), ce ne sera pas la dernière fois que les princes se soulèveront contre leur souverain.
Dans les campagnes, les famines et les maladies (telle que la Peste noire) entraînent également des émeutes. Alors que l’Église y voit une punition de Dieu et encourage le peuple à faire pénitence, celui-ci est de plus en plus convaincu de la corruption du Clergé. Mais qui se dresse contre les représentants de Dieu récolte les foudres de l’Église : ainsi, les fauteurs de troubles sont accusés d’hérésie, d’être possédés par le diable et condamnés au bûcher. Durant des décennies, le Clergé trouve des boucs émissaires à chaque catastrophe, pour tenter de contenir la colère du peuple touché par le malheur : les lépreux, les juifs, mais également les individus au comportement ambigu, que l’on n’hésite pas à traiter de sorciers ou sorcières et à offrir en sacrifice pour s’attirer la bienveillance de Dieu. De nombreuses processions ont également lieu, durant lesquelles les fidèles se flagellent volontairement, pour expier leurs péchés et ceux de l’humanité, rendant grâce au Seigneur pour sa miséricorde. Mais au fil du temps, des laïcs encouragent le petit peuple à se révolter contre une Église hypocrite qui impose des privations à ses fidèles mais qui, parallèlement, amoncelle des richesses. Dès lors, les religieux sont menacés de la colère de la paysannerie, qui vit dans des conditions précaires : durant l’époque Médiévale, plusieurs soulèvements contre l’autorité religieuse amèneront à des pillages et des massacres… à tort ou à raison.
Que nous disent les sources du Moyen Age sur ces « fureurs » ? Quel crédit devons-nous apporter aux témoignages de l’époque, rédigés par des hommes lettrés et donc socialement élevés ? Sous leur plume, les paysans sont souvent qualifiés de démons sanguinaires et sans pitié, des barbares massacrant les religieux et les notables, mutilant les dépouilles, allant jusqu’à faire rôtir le cœur de leurs victimes…
Historia fait la lumière sur ces « fureurs » qui ont embrasé la France (mais également ses voisins) ainsi que sur leurs conséquences sur le long terme.
mensuel N° 909 / septembre 2022