Historia

Séparation de l’Église et de l’État : la guerre des caricatures (1880-1905)

Le magazine Historia revient sur « la guerre des caricatures » qui secoue la France sous la IIIe République, au nom de la liberté d’expression. 

« Tuons-les par le rire » disait alors l’écrivain français Léo Taxil, anticlérical. Depuis la loi du 29 juillet 1881 qui garantit la liberté de la presse, les caricaturistes s’en donnent à cœur joie pour exprimer leurs opinions sur le clergé. Tandis que la France traverse une crise sur le sujet de la laïcité, les républicains radicaux utilisent la caricature pour ridiculiser l’Église catholique, en s’en prenant aux saints, voire à Dieu, afin de la discréditer. 

Les caricatures anticléricales ne sont pas nouvelles. Elles circulent en France bien avant 1881, puisqu’on en trouve durant les guerres de religions, au XVIe siècle, où les curés sont représentés en cochons par les protestants. Au XIXe siècle, le dessin d’un « christ à tête d’âne » datant du IIIe siècle était découvert à Rome, démontrant que l’Église a toujours été la cible favorite des dessinateurs satiriques.

Mais si la censure permet de freiner la diffusion des caricatures, la loi du 29 juillet 1881 met fin à toutes les limites qui encadraient la presse. Celle-ci se déchaîne alors, d’autant que la France est en train de glisser vers la laïcité, brisant ainsi l’union « antique » entre l’Église catholique et le pouvoir politique.

Pour les anticléricaux, les catholiques sont les ennemis de la République. Dès lors, l’école – tenue par des religieux et des sœurs – devient le théâtre de tensions et l’un des sujets favoris des caricaturistes : on s’amuse de la « virginité » de Marie, on dénonce le luxe dans lequel vivent les hauts membres du clergé. Sur le papier, à travers les images, les religieux deviennent des hommes avides et rondouillets, prédateurs sexuels des enfants de chœur et des jeunes femmes… qu’elles soient nonnes ou pas.

A travers la caricatures, les anticléricaux reprochent à l’Église de mal préparer les enfants à leurs futurs devoirs de citoyens, mettant en avant la défaite de la France en 1870 dans la guerre franco-prussienne, qui a eu pour conséquence la perte de l’Alsace-Moselle, laissant les français meurtris et traumatisés. Le clergé est alors accusé d’avoir failli dans l’instruction donnée aux plus jeunes : sous le crayons, les prêtres deviennent des « bourreurs de crânes » et l’instruction religieuse est résumée au « gavage » que subissent les oies.

Si la caricature a été l’arme des anticléricaux, dans le combat opposant les républicains radicaux à l’Église catholique pour la direction morale de la société au début du XXe siècle, la « guerre des crayons » prend aujourd’hui un nouveau virage : en s’attaquant à la religion, les caricaturistes offensent un certain nombreux de personnes, qui voient dans leurs dessins une attaque envers leurs croyances et/ou leur identité religieuse. Ce qui avait pour but de « tourner en dérision » la religion devient un blasphème, aux yeux d’individus blessés dans leur foi.

Découvrez de nombreuses caricatures, nées sous la IIIe République, qui ont participé à la séparation de l’Église et de l’État votée en 1905. Décryptez ces dessins, à la lumière des évènements de l’époque, qui circulent librement dans un climat de tensions et de confrontations, souvent violentes.

Dans le contexte actuel, les historiens posent aujourd’hui le problème d’une liberté d’expression trop « permissive », puisque de plus en plus de caricatures antireligieuses choquent et conduisent à des drames. Doit-on rappeler que la Constitution de 1958 indique que la République « respecte toutes les croyances » ? Mais les dessins satiriques n’ont-ils pas pour but de  justement susciter un débat ? …

mensuel N°889 / janvier 2021