Historia

Guerre d’Algérie : le choc des mémoires

Soixante ans après les accords d’Evian, le magazine Historia revient sur les tensions qui persistent entre la France et l’Algérie. Car le cessez-le-feu ne marque pas la fin des violences, pas plus que l’indépendance de l’ancienne colonie française, en juillet 1962. Sur le terrain, la haine contre les colons reste grande. Les harkis et les pieds-noirs subiront de plein fouet les conséquences de la guerre d’Algérie, abandonnés par la métropole.

Le 18 mars 1962, les accords d’Evian mettent fin à la guerre d’Algérie. Durant plus de sept ans, les violences et les négociations se sont succédé. Contrairement à ce que l’on a laissé croire aux français de métropole, c’est bien une guerre sanglante qui s’est déroulée sur le sol algérien. L’accès récent aux archives d’Algérie démontre que des atrocités ont été commises durant le conflit. Pour les harkis et les pieds-noirs, la fin de la guerre n’est que le début d’un long cauchemar.

Au lendemain des accords d’Evian, se pose la question du sort des harkis, ces soldats musulmans qui ont combattu pour la France durant la guerre d’Algérie. Alors que le gouvernement français s’était engagé à accueillir ces hommes et leurs familles après le conflit, Paris revient sur cette promesse après les accords d’Evian, indiquant que le rapatriement des harkis n’est « ni à prévoir, ni à souhaiter, encore moins à encourager ». Pourtant, ces familles n’ont d’autre choix que de quitter l’Algérie, qui leur est devenue hostile : à la fin de la guerre, les harkis subissent la colère des membres du FLN (Front de libération nationale) et sont victimes d’enlèvements, voire de massacres, car ils sont considérés comme des traîtres par l’Algérie. Pour les quelques 90 000 harkis qui fuient leur pays pour la France, commence un autre combat : celui de se faire une place. Découvrez les conditions de vie honteuses des familles, reléguées pendant des années dans des camps, oubliées de l’État français. Aujourd’hui, des harkis et leurs descendants font entendre leurs voix pour dénoncer les traitements « dégradants et inhumains » qu’ils ont subis, après s’être battus sous le drapeau tricolore. Des témoignages bouleversants qui font écho à la déclaration du président Jacques Chirac en 2001, selon laquelle la France « n’a pas su sauver ses enfants ».

La fin de l’Algérie française a également de lourdes conséquences pour les pieds-noirs, ces français et leurs descendances, qui se sont installés en Algérie et qui y ont développé une activité. Au sortir de la guerre, ils vivent dans un climat de terreur, reçoivent des menaces telle que « la valise ou le cercueil ». En quittant l’Algérie, les pieds-noirs laissent derrière eux des commerces, des entreprises, des exploitations… que l’État algérien leur confisque ensuite. De nombreuses familles perdent ainsi leur droit de propriété et se voient dépossédées. Décret après décret, de nombreux biens sont absorbés par l’État, rendant quasi-impossible un retour en Algérie pour les pieds-noirs qui ont été poussés par des intimidations à abandonner ce qu’ils avaient construit.

Si, à la fin du conflit, de tels actes sont commis en Algérie contre les harkis et les pieds-noirs, c’est que le pays est encore marqué par la violence dont a usé l’armée française au cours de la guerre. Pour effrayer la population algérienne et contenir l’insurrection, les soldats pratiquent ce qui restera un tabou jusqu’en 2018 : la torture. Alors que les méthodes des nazis avaient scandalisé les français durant la Seconde Guerre Mondiale, leur gouvernement use de ces mêmes pratiques en secret. Ainsi, en métropole, les français ignorent l’existence de cette « Gestapo d’Algérie », tandis que les hommes qui y ont recours sur le terrain sont protégés par leurs supérieurs. La terreur engendre la peur : ainsi, dans ce climat tendu où tout peut basculer, les algériens  voient des complots, des trahisons et des agents doubles partout… ce qui a pour conséquences des violences et des exécutions, parfois fratricides.

Soixante ans après les accords d’Evian, ce qui s’est passé sur le sol algérien durant – et après –  la guerre, a encore un impact sur les relations entre la France et l’Algérie. Il semble toujours exister des sentiments de méfiance d’un côté comme de l’autre. Mais au XXIe siècle, de plus en plus d’individus, des personnalités ou des anonymes, prônent l’apaisement entre les deux pays. Découvrez les témoignages de ceux qui ont vécu cette guerre et qui espèrent aujourd’hui une réconciliation durable. 

mensuel N°903 / mars  2022