Historia

La Régence : Succès et scandales (1715-1723)

A l’occasion du tricentenaire de la disparition du Régent, Philippe d’Orléans (1674-1723), le magazine Historia consacre son mensuel à ce personnage longtemps décrié, qui se retrouve à la tête de la France en 1715, durant la minorité de Louis XV. Libertin, athée et fasciné par les sciences, le neveu de Louis XIV est entouré d’une légende noire. Celle-ci fait souvent oublier à la postérité la rigueur avec laquelle le prince endossa pleinement ce rôle auquel il n’était pas préparé.

Louis XIV a longtemps cru l’avenir de sa dynastie assurée, avec un fils, trois petit-fils et deux arrière petit-fils. Mais entre 1711 et 1714, la mort fauche tous ses héritiers, à l’exception d’un petit garçon, le futur Louis XV, qui n’a que 5 ans à la mort de son aïeul. Une régence est alors nécessaire, jusqu’à la majorité du nouveau souverain. D’ordinaire, ce sont des femmes qui l’exercent, au nom de leur fils : l’Histoire fourmille d’exemples, depuis celui de Brunehaut au Ve siècle, jusqu’à ceux, plus récents, de Catherine et Marie de Médicis, ou d’Anne d’Autriche. Mais le petit Louis XV est orphelin. Son plus proche parent n’est autre que Philippe d’Orléans, l’unique neveu de Louis XIV. Jusqu’à l’hécatombe qui frappe la famille royale sur trois années, ce prince n’était destiné qu’à faire de la figuration à la cour. S’il a démontré sa bravoure sur les champs de batailles, au cours de sa jeunesse, Louis XIV l’a rapidement écarté du domaine militaire, craignant que son neveu n’ait trop d’ambition. Philippe ne peut trouver de réconfort dans la sphère privée : forcé de se marier avec une fille illégitime du roi, le duc d’Orléans ne s’entend pas avec son épouse. Pour tromper son ennui, le prince fréquente les théâtres et y choisit ses maîtresses parmi les actrices. Il y gagne rapidement une réputation de débauché. Privé de commandements au sein de l’armée du roi, Philippe met à profit son temps libre pour se cultiver : il s’intéresse à la peinture, à la musique mais s’entoure également de savants et s’adonne à la chimie. Il n’en faut pas davantage pour que le duc d’Orléans ne soit accusé d’avoir empoisonné les héritiers de Louis XIV pour se rapprocher du trône. La rumeur est si tenace qu’elle se répand dans toute l’Europe et jusqu’en Russie, puisque le tsar Pierre Ier est convaincu que le Régent pourrait supprimer le jeune Louis XV par « quelques pilules, afin de s’assurer le trône de France ».

Pourtant c’est ce prince qui a légalement le droit de revendiquer la régence à la mort de Louis XIV. Dans son testament, le monarque a tenté de limiter le pouvoir de son neveu, au profit de ses fils naturels, le duc du Maine et le comte de Toulouse. Mais le duc d’Orléans obtient l’appui du Parlement (en lui rendant son droit de remontrances) et d’une grande majorité de la noblesse, qui préfèrent soutenir un prince du sang plutôt que les bâtards du défunt roi. Ce sont les partisans de ces derniers qui vont tenter de noircir un peu plus la réputation du Régent, afin de le décrédibiliser : des pamphlets circulent, accusant le duc d’Orléans d’avoir renié la foi catholique et d’organiser de véritables orgies lors de ses « petits soupers » où il rassemble ses intimes. Le jeune Voltaire, proche de la duchesse du Maine, va jusqu’à accuser le Régent de commettre l’inceste avec sa fille, la duchesse de Berry… ce qui lui vaut un séjour un prison. On notera tout de même que, même si Philippe doit faire face à quelques conspirations, celles-ci sont rapidement déjouées, et la période de sa régence est bien plus paisible pour le royaume de France que les précédentes (souvenons-nous des guerres de religions sous Catherine de Médicis ou de la Fronde sous Anne d’Autriche).

Ainsi, bien que Philippe d’Orléans soit dépeint comme un débauché qui passe ses nuits en galante compagnie, cette attitude tranche avec celle qu’il manifeste en journée. Le Régent se plonge avec ardeur dans le travail et la tâche est rude : en effet, à la mort de Louis XIV, la France est au bord de la banqueroute, à cause des dernières guerres trop coûteuses. Si ses opposants accusent le prince de vouloir « vendre » le royaume à l’Angleterre lorsqu’il se approche de « l’ennemi séculaire », il n’en est rien. Intelligent, Philippe a compris que la France doit cesser de guerroyer pour que l’état des finances s’améliore. Grâce à sa politique, le Régent permettra au royaume de connaître une période de paix durable, pendant près de vingt ans…

Bien que Philippe d’Orléans cherche avant tout à renforcer le pouvoir royal, les années de régence voient apparaître les premiers signes d’une révolution : le fait que le prince se détourne de la religion remet en cause le comportement à adopter de son vivant, pour espérer gagner le paradis ensuite. C’est la porte ouverte aux idées philosophiques, qui se propageront sous le règne de Louis XV. L’intérêt que le Régent montre pour les sciences renforce l’idée que les connaissances doivent être partagées avec le peuple. Mais ces avancées et la naissance des « Lumières » suggéreront bientôt que la France n’a pas forcément besoin d’une monarchie absolue pour connaître la prospérité.

Prince moderne, le duc d’Orléans ose des réformes audacieuses, comme lorsqu’il met en pratique l’idée que lui soumet l’écossais John Law, pour relever les finances de l’État : remplacer la monnaie métallique en circulation par des billets de banque. Un système cependant trop fragile, à l’époque, pour perdurer…

Usé par de longues journées de travail – et des nuits de plaisirs – le Régent s’éteint brusquement, le 2 décembre 1723. De par ses multiples facettes, Philippe d’Orléans demeure un personnage énigmatique, qui mérite que l’on s’attarde sur le bilan de ses huit années de régence, plutôt que sur les faiblesses de l’homme…

mensuel N° 924 / Décembre 2023