Cosaques : les guerriers de la liberté
Alors que la guerre se poursuit en Ukraine, le magazine Historia revient sur la construction de l’identité nationale de ce pays, qui s’est bâtie autour du mythe des Cosaques, guerriers redoutés du XVIe siècle, bataillant afin de gagner leur indépendance face à leurs voisins. Mais l’interprétation d’une même Histoire diffère chez les russes et chez les ukrainiens, menant parfois à la confusion.
Depuis le déclenchement de la guerre par la Russie, en février 2022, le peuple ukrainien étonne par sa détermination à résister par tous les moyens à l’envahisseur. C’est le souvenir des Cosaques, symbole de courage et de fidélité, qui pousse aujourd’hui les ukrainiens à se battre pour conserver leur liberté. Ces guerriers se sont soulevés, il y a cinq siècles, contre les grandes puissances qui tentaient de les asservir : actes de désobéissance, révoltes, violences, les Cosaques sont rapidement craints par la Pologne, l’empire russe et l’empire ottoman, qui rêvent pourtant de soumettre les ukrainiens et de conquérir leur territoire. Efficaces sur terre comme sur la mer, les Cosaques n’hésitent pas à massacrer les seigneurs, libèrent les esclaves et sont souvent rejoints par une paysannerie pauvre et exploitée.
C’est au milieu du XVIIe siècle que les Cosaques se placent sous la protection du tsar de Russie, avec le traité de Pereïaslav, signé en 1654. A la tête des négociations, on trouve Bogdan Khumelnitsky, l’un des chefs militaires des Cosaques d’Ukraine, à l’origine d’un soulèvement contre la noblesse polonaise, en 1648. En s’alliant avec la Russie, Bogdan Khumelnitsky pense parvenir à faire plier le roi de Pologne, Jean II Casimir Vasa, et obtenir plus de libertés pour le peuple ukrainien. Mais il ne faut pas longtemps pour qu’Alexis Romanov (1629-1676) ne se proclame « tsar de toutes les Russies, grande et petite » : l’Ukraine vient de devenir officiellement « la Petite Russie », prenant de court la population. Malgré sa colère, Bogdan Khumelnitsky ne parviendra pas à détacher son pays du « protectorat » russe : les Cosaques guerroient désormais pour le tsar et l’Ukraine devient, peu à peu, un instrument dans la politique russe.
L’action de Bogdan Khumelnitsky est sujette à plusieurs interprétations : pour les russes, il est l’homme qui a permis l’unification des terres de Russie, offrant l’Ukraine au tsar. La statue équestre du Cosaque, érigée à Kiev en 1888, célèbre ce héros qui œuvra pour réunir la Petite Russie à l’empire russe ! Pour les ukrainiens, au contraire, Bogdan Khumelnitsky n’a jamais pensé qu’à l’indépendance de son pays, alors sous domination polonaise. D’autres lui reprochent aujourd’hui son alliance russe, qui a placé l’Ukraine sous la domination de la Russie.
Bien qu’elle fasse désormais partie de l’empire russe, l’Ukraine ne cesse de s’agiter, espérant regagner son autonomie. C’est sans compter sur les Romanov, qui poursuivent une politique de « russification » et qui surveillent de près les déplacements des Cosaques. Plutôt que de faire la guerre à ses voisins, la tsarine Élisabeth (1709-1762) déploie ainsi plusieurs régiments de Cosaques à la frontière ukrainienne, afin de surveiller les tatars et les ottomans. A cette époque, le peuple d’Ukraine entrevoit la possibilité de se dégager de la Russie. En effet, l’époux morganatique de l’impératrice Élisabeth, Alexis Razoumovsky, est un Cosaque d’origine rurale. Son frère cadet, Cyril, est promu par la tsarine à la tête des Cosaques. Apprécié par les élites ukrainiennes, Cyril Razoumovsky est très proche de celle qui règne bientôt seule sur la Russie, Catherine II (1729-1796). Il espère alors faire déclarer la souveraineté des terres ukrainiennes au profit de ses propres descendants, ayant épousé une lointaine cousine de la défunte Élisabeth. La nouvelle impératrice craint alors que la Petite-Russie n’en profite pour proclamer son indépendance : Cyril Razoumovsky est écarté du pouvoir et la situation des Cosaques se dégrade au fil des années, jusqu’à ce que leur armée ne soit dissoute, à la fin du XVIIIe siècle.
Mais il en faudra plus aux ukrainiens pour qu’ils renoncent à leur autonomie. Leur soif de liberté, combinée au mythe du guerrier Cosaque, va provoquer de multiples soulèvements que la Russie doit réprimer, non sans mal. Lorsque le régime tsariste s’écroule en 1917, l’Ukraine tentera, une nouvelle fois, de rompre tout lien avec la Russie, avant de se retrouver au cœur des tractations entre les soviétiques et l’Allemagne…
mensuel N°906 / juin 2022