Historia

Les héros de l’Histoire de France : la bataille du roman national

Le magazine Historia revient sur les figures historiques qui ont participé à créer notre identité nationale. 

Depuis des décennies, de grands personnages sont utilisés par les politiciens pour rassembler les français et constituer notre roman national. Aujourd’hui, ce récit est remis en cause par les historiens et les professeurs, car le roman national n’est pas forcément le reflet de la réalité : on instrumentalise pour faire passer un message, quitte à dévier de la réalité historique pour mieux servir une idée. Au fil du temps, au gré de l’évolution des mentalités, le regard des français change et celui qui a été glorifié en un temps peut être ensuite méprisé, haï, oublié. 

Les héros nationaux changent, selon les époques, et selon les besoins. Ainsi, dès le Moyen-Age, Charlemagne est une référence pour les rois de France, qui vont jusqu’à donner son nom à la couronne du sacre. Même Napoléon Ier dira tirer sa légitimé de l’« empereur à la barbe fleurie », qui aurait souhaité que l’enseignement soit accessible à tous (thèse que reprennent les manuels scolaires sous Jules Ferry). Ainsi, un empereur d’origine germanique est francisé pour les besoins de la nation !

Si Vercingétorix est reconnu aujourd’hui comme un valeureux chef de guerre qui se sacrifia pour sauver les siens, il resta pourtant, jusqu’au XIXe siècle, un vaincu à la tête d’une armée de barbares. Il faut attendre la défaite de Sedan, en 1870, pour que l’image de Vercingétorix change : en effet, pour que les français se relèvent de cette guerre, les Prussiens du XIXe siècle sont comparés aux Romains de l’Antiquité et le chef des gaulois est dépeint comme un brave, glorieux dans sa défaite. Les manuels scolaires font également le lien entre ce héros martyr et les français, en faisant des gaulois nos ancêtres (ce qui est aujourd’hui remis en question) : la IIIe République a besoin d’encrer l’amour de la patrie française chez les enfants, afin de mieux préparer sa revanche sur l’Allemagne. Le Roman national a donc pour but de fédérer la population, autour de héros communs qui ont participé à l’éclat du pays.

D’autres noms, à une époque encensés, ont aujourd’hui mauvaise réputation : Louis XIV a longtemps été l’une des plus célèbres figures de notre Histoire, qui a fait la grandeur de la France. Son ministre, Colbert, était également un modèle, incarnant l’ardeur au travail. Mais au XXIe siècle, on reproche au Roi-Soleil ses nombreuses dépenses, et Colbert est désormais condamné pour être à l’origine du Code noir…

Les politiciens se servent également de lieux et/ou de personnalités, pour rassembler autour d’eux. Au XIXe siècle, Jeanne d’Arc devient une figure emblématique de l’amour de la patrie. Si l’Église la canonise en 1920, les différents partis républicains se disputent également sa mémoire : la gauche met en avant son patriotisme mais c’est l’extrême droite qui va prendre l’avantage au milieu du XXe siècle : Jeanne d’Arc devient un symbole du Front national, représentant celle qui « se dresse contre les envahisseurs ».

Des monuments deviennent également des « lieux-phares » de la nation, où une continuité entre monarchie et république s’instaure : ainsi, le président François Mitterrand marque le Louvre (résidence des rois) de son empreinte, en faisant édifier une « pyramide » à côté du château. Le domaine de Versailles, symbole du pouvoir monarchique, est également utilisé par le gouvernement républicain pour recevoir des chefs d’État, ou pour signer des accords (à l’exemple du traité de Versailles, en 1919, qui met fin à la Première Guerre Mondiale).

Les personnalités qui entrent au Panthéon illustrent aussi des choix politiques. En effet, en sélectionnant celles et ceux qui y sont transférés, la République française entend mettre à l’honneur certaines valeurs, selon les convictions de ses dirigeants. Si certains noms rendent hommage au génie français à travers la science et l’écriture, ou à « l’esprit de la Résistance », d’autres sont choisis pour répondre à l’actualité : ainsi, en 2021, lorsque Joséphine Baker est admise au Panthéon, c’est qu’elle remplie plusieurs critères : c’est une femme (elles sont peu nombreuses en ce lieu), engagée dans la Résistance durant la Seconde Guerre Mondiale. Mais en faisant entrer au Panthéon une femme de couleur, la France envoie également un message fort à l’Amérique ségrégationniste. Découvrez comment les personnalités sont choisies, ou écartées, au fil du temps, avec toujours ce même désir d’unifier les français.

Enfin, Historia donne la parole à des historiens et des enseignements, qui livrent leurs sentiments sur les méthodes à employer aujourd’hui pour transmettre l’Histoire et inciter à une réflexion, permettant ainsi de faire la part des choses dans notre Roman national.

mensuel N°904 / avril 2022