Historia

Pie XII face aux nazis : Ce que révèlent les archives du Vatican

Le magazine Historia consacre son mensuel aux dernières révélations des archives du Vatican, au sujet du pape Pie XII. Tout commence lorsqu’en mai 2019, le pape François annonce que les « archives secrètes » du Vatican sur le pontificat de Pie XII vont être accessibles aux chercheurs. Pour les historiens, c’est l’occasion de faire la lumière sur le comportement adopté par ce pape, durant la Seconde Guerre Mondiale, face au nazisme et à la déportation de nombreux Juifs.

On a souvent reproché à Pie XII ses silences devant les actions menées par la Shoah, parfois aux portes du Vatican. Dans ses discours, le pape prend garde de ne jamais prononcer les mots « juifs » et « nazis » Lâcheté ? Prudence ? Stratégie de dissimulation de la part du Saint-Père ? En tout cas, ce n’est pas de l’ignorance car il est avéré que le Vatican est informé de la politique d’extermination des Juifs voulue par Hitler. Le comportement ambigu de Pie XII fait de lui, soit un pape « antisémite », « un pion dans le jeu du Führer », soit un pape « diplomate » qui aurait ménagé les nazis pour sauver la paix (ce qu’il doit faire en tant que chef de l’Église) et éviter des représailles contre les catholiques, qu’il se doit de protéger. Car malgré ses silences, Pie XII dénoncera timidement (ou subtilement) à trois reprises, la politique d’extermination menée par les nazis… des discours qui lui seront ensuite reprochés, parce qu’il n’a pas pris clairement position.

Mais en agissant ainsi, le pape n’a-t-il tout simplement pas appliqué la traditionnelle neutralité du Vatican ? Souhaitait-il également ne pas attirer l’attention des nazis pour mieux aider les Juifs persécutés ? Car au sein du Vatican, des réseaux d’assistance aux Juifs se mettent discrètement en place, grâce à des ecclésiastiques, qui seront parfois surveillés de près par le chef de la Gestapo. La chose n’est pas aisée, car autour de Pie XII gravitent des hommes importants de toutes nationalités, qui sont parfois antinazi (le secrétaire d’État Giovanni Battista Montini, futur Paul VI), ou fascistes convaincus (le père Tacchi Venturi, agent de liaison entre le Saint-Siège et le gouvernement d’Hitler). Au plus fort de la guerre, le pape est pris à partie par les membre de son entourage qui dénoncent le racisme et la haine anti-juive, et ceux qui veulent minimiser les violences et les atrocités perpétrées par les nazis : on trouve ainsi des écrits où des ecclésiastiques s’interrogent de la « véracité » de certains faits rapportés « car l’exagération est aussi facile chez les juifs ».

Pourtant, Pie XII a l’occasion de vérifier l’ampleur de la politique d’extermination lors des rafles de Rome, aux portes au Vatican, en octobre 1943. Si le pape exige des nazis « la non-répétition des arrestations » il ne condamne pas fermement la déportation de plus d’un millier de personnes. Un pape fasciste ? Trop neutre ? Si le pape fait publiquement profil bas, que penser de l’ordre discret donné ensuite par Pie XII aux ecclésiastiques italiens d’accueillir les réfugiés Juifs ? Grâce à cette directive, près de 4.000 personnes sont cachées dans des couvents, des monastères, des catacombes (!)… jusque dans les murs du Vatican où il faut pourtant composer avec des hommes hostiles à cet élan de solidarité, à l’exemple du chambellan de Pie XII, pour qui « il faut se méfier de l’influence des juifs ».

Si on a reproché à Pie XII de ne pas avoir dénoncé publiquement l’ampleur du génocide Juif, c’est que le pape dispose d’une arme spirituelle pour s’opposer aux choix ou à la politique d’un dirigeant : l’excommunication. Cette sanction est redoutée par tous les croyants et plusieurs papes y ont eu recours, depuis le IVe siècle, pour condamner tel ou tel comportement, à commencer par un massacre ordonné par l’empereur Théodose en 390. Dès lors, pourquoi Pie XII n’a-t-il pas utilisé ce procédé contre Hitler ? Craignait-il de fermer ainsi une porte pour régler pacifiquement le conflit ? Car il semblerait que le pape ait parfois joué le rôle d’intermédiaire entre les différentes nations durant la guerre. Découvrez les échanges et les négociations qui agitent le Vatican dans cette période trouble, où tout le monde s’observe pour alimenter les services secrets et les réseaux de renseignements.

Pie XII devait savoir que sa passivité serait dénoncée par la suite, puisqu’en 1941, il s’interroge déjà sur ce que la postérité retiendra de ses silences au sujet des Juifs. En permettant aux historiens de consulter les archives de ce pontificat si controversé, le pape François reste confiant, proclamant « L’Église n’a pas peur de l’Histoire ». Pour Monseigneur Gallagher (secrétaire aux relations avec les États), l’ouverture de ces archives va permettre à Pie XII « d’émerger dans toute sa grandeur ». A travers des documents inédits, rencontrez ce pape qui fait tant débat aujourd’hui, et faites-vous votre propre opinion à son sujet.

mensuel N°894 / juin  2021